L’élu local, «kfaza» et alléchantes tentations

Zerhouni veut augmenter ses indemnités à un niveau «honorable»

L’élu local, «kfaza» et alléchantes tentations

par M. Saâdoune, Le Quotidien d’Oran, 24 mars 2008

On ne devient pas élu local pour les indemnités mais pour le pouvoir que cela donne. Augmenter les indemnités rendra-t-il les élus moins attirés par les alléchantes tentations? Question philosophique dans un pays où le travail a cédé le pas à la «kfaza» Augmenter «honorablement» les indemnités des élus locaux. C’est ce qu’a annoncé le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, Noureddine Yazid Zerhouni. Ces indemnités seront «hissées à un niveau honorable qui permettra à l’élu de se consacrer pleinement à l’exercice de ses missions principales». Hisser, c’est le mot, pour un élu local honnête qui se contente de son indemnité et qui ne monnaye pas sa position dans un «carrefour» du pouvoir local.

Ce n’est pas en général l’indemnité qui suscite les «vocations» mais la possibilité de faire «fructifier» une position dans une assemblée ou un exécutif communal. C’est aussi cet usage qui provoque la déconsidération générale des gens à l’égard de la probité des élus.

Mais si l’on se place dans l’optique «normale» d’un élu honnête, qui ne s’offre pas des extras en marge de la légalité et dans l’abus de pouvoir, les indemnités perçues par un élu local sont une misère comparativement à celles des députés. Outre 3.000 dinars d’indemnité de représentation, les élus perçoivent 550 dinars lors des réunions et une prime de 700 dinars pour les plénières.

4.250 dinars au maximum, c’est tout ce que percevra un élu local honnête. Les membres de l’exécutif sont détachés et conservent leur salaire de l’établissement ou entreprise où ils travaillaient. A titre de comparaison, les députés perçoivent près de 150.000 dinars auxquels on pourrait ajouter des extras bien légaux comme le prêt sans intérêt pour l’achat d’un véhicule et la «prime de logement» de l’ordre de 65.000 dinars par mois. Et surtout ne criez pas au scandale, de nombreux députés considèrent qu’ils sont très mal payés…

Rêver du temple du farniente…

Question d’appréciation, sans doute. Mais on peut rester dans le domaine objectif et, sans faire insulte à ceux qui occupent, occasionnellement, les travées de l’Assemblée populaire nationale ou du Conseil de la Nation, que de constater que les élus locaux travaillent beaucoup plus qu’eux et qu’ils sont surtout plus exposés à la vindicte populaire. D’ailleurs le plus beau rêve d’un élu local, en prise avec les problèmes constants et les colères non moins constantes des administrés, c’est de sauter vers ce haut lieu de tranquillité et de farniente qu’est l’Assemblée nationale. Là, aucun égout à déboucher, aucun émeutier à calmer… Il suffit juste d’approuver et de lever la main, quand il le faut… S’il n’y avait que l’indemnité comme «attrait», hors de doute que les vocations seraient nulles au niveau local. Il faut donc soit être animé d’une foi absolue dans le service de la population -ce qui est rare en ces temps cyniques- soit, comme c’est le cas le plus général, en faire un tremplin pour améliorer son statut social et ses ressources pour les discrètes possibilités qu’offre le pouvoir communal en matière d’affectation de logements ou de terrains. Il y a un humour involontaire chez M. Zerhouni quand il annonce l’augmentation des indemnités des élus communaux à un niveau «honorable» afin qu’ils puissent se «consacrer» à leur mission principale et être «à l’abri d’éventuelles tentations». On pourrait d’ailleurs en faire un sujet de réflexion aux étudiants d’économie: à partir de quel niveau d’indemnités est-on à l’abri des tentations? Dans l’Algérie où la «kfaza» l’a emporté sur le travail, même un «pauvre» salaire de député ne met pas à l’abri. Souhaitons donc aux élus honnêtes -pardon d’avoir à le préciser à chaque fois- de très bonnes indemnités et surtout de vrais moyens pour travailler.