Hocine Malti à propos du limogeage de Toufik : « Bouteflika a obéi aux Américains »

Hocine Malti à propos du limogeage de Toufik : « Bouteflika a obéi aux Américains »

Le Matin, 6 octobre 2015

Dans cet entretien, Hocine Malti explique que le limogeage du patron du DRS, contrairement à la thèse officielle diffusée par le pouvoir à travers la presse, n’est pas d’une décision prise en toute indépendance par Abdelaziz Bouteflika. Il estime qu’elle n’est pas non plus la victoire du clan présidentiel sur celui du DRS. C’est bel et bien une exigence des grandes puissances occidentales, suite à l’affaire de la prise d’otages de Tiguentourine par Mokhtar Belmokhtar.

Le Matindz : Vous faites partie de ceux qui soutiennent que le limogeage du patron du DRS n’est pas vraiment le fait du clan présidentiel. Ce dernier aurait donc agit pour le compte de puissances étrangères. Pouvez-vous étayer votre argumentaire ?

Je confirme qu’effectivement le limogeage de Toufik n’est pas une décision prise en toute indépendance par le président de la République, ni qu’il symbolise une victoire du clan présidentiel sur celui du DRS. Pourquoi ? Souvenons-nous de ce qui s’est passé lors de l’attaque terroriste contre les installations pétrolières de Tiguentourine au mois de janvier 2013. Le groupe terroriste d’une vingtaine de membres, armés jusqu’aux dents, avait parcouru environ un millier de kilomètres à travers le Sahara sans être repéré, ni arrêté, malgré la présence de l’armée, de la gendarmerie, malgré les check-points, et malgré la surveillance aérienne.

Ensuite, lors de l’assaut donné par les forces spéciales, 38 otages occidentaux ont été tués par ces forces dirigées par le général Hassen, l’opération elle-même étant supervisé par celui qui est devenu aujourd’hui nouveau patron du DRS, le général Athmane Tartag, dit Bachir. J’avais déjà indiqué dans un article daté de décembre 2013 que les autorités britanniques, américaines et norvégiennes (leurs services de sécurité tout particulièrement) avaient considéré que cette opération était un échec patent des services de sécurité algériens et que, s’ils n’avaient pas été en mesure de détecter le groupe terroriste tout le long de son périple, c’est que ces services étaient incompétents, à moins qu’il n’y ait eu – ce qui est encore plus grave – complicité. D’autre part, ces mêmes autorités étaient furieuses – et l’ont fait savoir – de la manière dont avait été mené l’assaut des forces spéciales. Elles avaient considéré cet assaut comme étant un massacre.

Souvenez-vous que moins de 15 jours après, le Premier ministre britannique, David Cameron en personne, flanqué du patron du MI6 était venu demander des comptes aux Algériens. Que 38 Occidentaux aient été tués lors de cet assaut, était tout simplement impardonnable. Seconde conclusion à laquelle étaient arrivés Britanniques et Américains, c’est que le DRS n’était plus en mesure de noyauter et de manipuler les groupes terroristes, puisque c’est le groupe de Mokhtar Belmokhtar, qui était considéré jusque-là comme étant leur homme et qu’ils avaient réussi à « vendre » en tant que tel aux Américains notamment qui avait mené l’attaque de Tiguentourine. A la suite de quoi, ils avaient alors exigé des Algériens que des sanctions exemplaires soient prises contre les hauts responsables du DRS, ce qui fut fait. C’est alors que l’on assista à la première vague de limogeages dans les rangs du DRS, de la gendarmerie et de l’état-major. Athmane Tartag, Abdelmalek Guenaïzia, Rachid Lallali, M’henna Djebbar et Fewzi furent mis à la retraite.

Le Matindz : Est-ce que vous pensez réellement qu’Abdelaziz Bouteflika ait pu décider seul un tel nettoyage au sein de l’armée, comme on nous l’a répété sur tous les tons ?

Les Occidentaux avaient également exigé que soient revues les attributions du DRS, ce qui fut fait en partie notamment par le rattachement de la DCSA à l’état-major. Le seul qui ait échappé alors au limogeage était le général Toufik. Mais il a certainement compris déjà, à cette date-là, qu’il était sous surveillance de la CIA et du MI6 et qu’à la première faute, il passerait à la trappe lui aussi.

Au cours du dernier trimestre de 2013, lors d’accrochages avec des groupes terroristes dans les montagnes proches de la frontière algérienne, l’armée tunisienne avait découvert des salafistes algériens parmi les morts et récupéré sur leurs corps des téléphones portables dont les puces avaient enregistré des communications téléphoniques avec des responsables du DRS. Les Tunisiens avaient communiqué l’information aux Américains qui ont alors exigé un nettoyage encore plus complet dans les méthodes et les rangs du DRS. C’était pour eux la goutte qui a fait déborder le vase. Ils en avaient marre des manipulations du DRS, des manipulations qui allaient à l’encontre de leurs intérêts. Vu l’importance de la Tunisie à leurs yeux, ils ont probablement fait savoir en maintes occasions aux Algériens qu’ils ne devaient pas y toucher (ceci est d’ailleurs valable pour le Maroc également). Le DRS, Toufik et Hassan avaient donc joué avec le feu. Je pense que c’est probablement à cette date, vers janvier/février 2014 que fut prise la décision de limoger Toufik.

Dans un premier temps, c’est un autre général, Abdelkader Ait Ouarabi, dit Hassen qui fut arrêté. Est-ce que vous pensez un instant que Toufik, vu son expérience passée, vu les réseaux qu’il a constitué et contrôlé un quart de siècle durant, vu sa connaissance des techniques de la CIA et les contacts qu’il a de tous temps entretenus avec ses plus hauts responsables, est-ce que vous pensez donc qu’il n’a pas senti, qu’il n’a pas remarqué de changements d’attitude, qu’il n’a pas compris ou qu’on ne lui ait pas dit tout simplement qu’il était temps pour lui de « faire ses bagages »?

Par ailleurs, un tel personnage, vu l’extrême importance du poste qu’il occupait, vu l’énorme responsabilité qui était la sienne, ne peut pas être débarqué en 24 heures. Quant à l’opération elle-même, elle ne peut pas se faire sans qu’il ne le sache, sans qu’il ne soit associé au changement. D’autant plus que, de son côté, il a dû certainement négocier son départ et choisi son remplaçant, car il connaît parfaitement les techniques qui prévalent dans ce genre de milieu, en Algérie tout particulièrement. Gare à celui qui tombe. Il sait que son passé lui vaut le passage au TPI et il a donc cherché à se protéger contre une telle éventualité, en proposant un homme en qui il avait confiance et qui est tout autant que lui candidat au TPI. C’est donc le candidat idéal pour le couvrir. Bachir Tartag couvrira également de nombreux autres, civils et militaires, contre toute action en justice, internationale surtout. C’est pourquoi l’ensemble de l’opération a duré un an et demi, dont une année pour « laver » jusqu’à un certain point le passé rouge de sang de Bachir Tartag, en le nommant conseiller à la présidence. Cette nomination arrange les Américains également qui ont eux aussi couvert de nombreuses actions « tordues » du pouvoir algérien. Il leur faut donc à eux aussi des complices au sein du pouvoir algérien et au DRS tout particulièrement.

Mais l’intervention américaine n’a pas porté que sur les sanctions à prendre contre les hommes. Afin d’éviter tout nouveau dérapage dans le futur, ils ont imposé une nouvelle restructuration du DRS: que celui-ci se consacre au cœur du métier, à savoir l’espionnage et le contre-espionnage, toute autre activité doit soit disparaitre, soit être transférée ailleurs. Pour le moment, on a officiellement transférer à l’état-major toutes les activités qui n’entrent pas dans le cadre espionnage/contre-espionnage. Je suis cependant convaincu que nombre de ces structures vont cesser d’exister ou être éclatées, peut-être à travers les régions militaires.

Enfin pour s’assurer que les « consignes » étaient bien respectées, on a vu le directeur du renseignement américain James R. Clapper venir s’en assurer en personne à Alger au moment même (à 24 heures près) où le général Hassan était arrêté. Sa visite très discrète avait pour but, nous a-t-on dit de rencontrer le ministre des Affaires étrangères ! Pour qui nous prend-on ? Qu’a à voir le patron du renseignement américain avec les Affaires étrangères algériennes ? Il vient à Alger et il ne rencontre ni Toufik (encore en poste à cet instant), ni Tartag, ni Gaïd Salah. Impensable, tout simplement.

Enfin dernière remarque que je vous ferais, c’est que visiblement les Américains ont dû imposer également aux Algériens qu’ils ne permettaient dorénavant aucun impair, aucun nouveau dérapage. Le général Benhadid semble avoir été le premier à faire les frais d’une telle consigne.

Entretien réalisé par Hamid Arab