Un ancien officier algérien tabassé dans le métro

Un ancien officier algérien tabassé dans le métro

Réfugié à Paris, auteur de «la Sale Guerre», Habib Souadia pourrait avoir été victime d’une vengeance d’Alger.

Par José GARÇON, Libération, 24 janvier 2007

L’affaire pourrait n’être qu’une altercation qui tourne mal si la victime n’était pas un ex-militaire algérien, aujourd’hui réfugié politique en France. Auteur en 2001 de la Sale Guerre, un livre à succès qui dénonce les exactions de l’armée algérienne au cours des affrontements de la décennie 1990 en Algérie, Habib Souadia est, ce 11 janvier vers 20 heures, dans le métro avec sa femme, ligne 7, direction Mairie-d’Ivry. Faute de place, elle seule s’assied. «Mais on se parlait et c’était clair qu’on était ensemble», raconte Souadia. A la station Place-d’Italie, un homme prend soudain la jeune femme par les cheveux et l’insulte de manière très ordurière, avant de descendre du wagon. Habib le rattrape sur le quai sans voir qu’un autre homme est aussi descendu.

Rage. Alors que Souadia l’interpelle, une pluie de coups de poing le met à terre sur ce quai quasi désert. «Ils avaient une rage incroyable. Pendant que l’un me tenait, l’autre m’a donné un coup de genou en pleine figure avant de s’acharner à coups de pied sur mes jambes», raconte Habib. Les agresseurs ­ deux jeunes algériens ­ s’enfuient en courant vers la sortie. «Fracture du nez, gros oedème de la jambe», constate l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

Hasard ? Peut-être, mais le 11 janvier n’est pas une date anodine outre-Méditerranée. C’est le jour où, en 1992, les généraux algériens ont annulé les élections remportées par les islamistes du FIS après avoir «démissionné» le président Chadli. Le jour où l’engrenage de la violence s’est enclenché dans le pays. Or à Paris, ce matin du 11, Souadia a trouvé les vitres de sa voiture brisées. «Comme pour m’obliger à prendre le métro.»

Ex-membre d’une unité d’élite chargée de la lutte anti-islamiste, Habib Souadia a payé le prix fort ­ condamné à mort par contumace en 2006 en Algérie ­ pour avoir été le premier militaire à témoigner à visage découvert contre les généraux, y compris dans un procès à Paris en 2002 ( Libération du 1 au 6 juillet 2002). «Depuis, il est la bête noire du régime car il reste l’un des rares opposants à refuser de baisser les bras», estime son éditeur François Gèze.

Plainte. En 2005, Souadia est en contact avec Brahim Merazka, un des officiers à avoir déserté l’Algérie de la sale guerre. Installé à Orléans, ce capitaine, qui a enquêté sur des massacres les 12 et 21 mars 2001 dans la région de Tipaza, meurt le 9 août 2004 dans cette ville. Ecrasé à un feu rouge.

A la même période, l’appartement de Souadia est «visité». Quelques dossiers disparaissent, dont un sur ces tueries. Le commissariat, arguant de l’absence d’effraction, refuse d’enregistrer la plainte de Souadia. Une lettre adressée au ministre de l’Intérieur essuie une réponse analogue.

Le 23 décembre, deux semaines avant l’agression du métro, le site Algeria-Watch publie un article sur les viols de femmes pendant la sale guerre. «Systématiquement attribuée aux « terroristes », cette violence a aussi été le fait des militaires», affirme l’auteur. Il s’appelle Habib Souadia.