Benflis à propos des changements au DRS : «Qui agit au nom du Président ?»

Benflis à propos des changements au DRS : «Qui agit au nom du Président ?»

El Watan, 16 septembre 2015

Le président du parti Talaie El Houriat trouve dangereux que des décisions aussi lourdes que les derniers changements opérés au sein des services du renseignement soient effectués à un moment marqué par «la vacance du pouvoir». Sur le plan économique, l’ancien chef de gouvernement se dit catastrophé par le manque d’initiative et doute des capacités du gouvernement face à la crise, soutenant qu’un pouvoir illégitime ne peut pas mobiliser la nation.

Toutes les questions brûlantes de l’actualité nationale ont été au menu de la conférence de presse animée, hier, par le président de Talaie El Houriat, Ali Benflis, au siège de son parti situé à Ben Aknoun, sur les hauteurs d’Alger. Première interrogation des journalistes : que pense l’ancien candidat à l’élection présidentielle d’avril 2014 de la mise à la retraite du puissant patron du DRS, le général des corps d’armée Mohamed Mediène dit Toufik ?

Très méthodique et tranchant, Ali Benflis développe un raisonnement qui ne déroge d’un iota des positions qu’il défend depuis plus d’une année. «S’il est évident que les commandements de toutes les armées dans le monde connaissent des changements, ils sont opérés conformément à des critères et à des principes qui obéissent à des lois», estime Ali Benflis.

«Dans les pays démocratiques, ils se déroulent dans la clarté et la transparence, ils ne sont pas considérés comme un secret», ajoute le conférencier. «Qu’en est-il alors chez nous», s’interroge M. Benflis. Et d’ajouter, s’adressant à l’assistance d’un ton ferme en faisant un rappel sans concession de la réalité du pouvoir : «Vous savez tous que nous sommes face à un régime qui a spolié les droits du peuple algérien, détourné sa souveraineté, un régime illégitime.»

Le président de Talaie El Houriat livre toute sa pensée en disant que les changements qui ont eu lieu ont été opérés «selon les desideratas de personnes dans l’opacité». Selon lui, «les changements faits au sein du commandement de l’Armée nationale populaire se sont déroulés dans des conditions particulières : la vacance du pouvoir». «Depuis le 8 mai 2012, le Président ne s’est pas adressé aux Algériens ne serait-ce que pour leur dire Saha Aïdkoum (bonne fête de l’Aïd). Il ne leur a parlé ni à la télévision ni au téléphone, alors je m’interroge légitimement sur la source de la prise de décision : quelle est l’identité de celui qui a pris ces décisions ?»

«C’est cela, affirme Ali Benflis, qui met l’ANP, le garant premier de l’Etat-nation, au centre des conflits.» «L’ANP a assez de défis sécuritaires pour lui ajouter d’autres fardeaux», dit-il. «Ces changements, dans une démocratie, émanent de la souveraineté populaire et d’un pouvoir légitime», indique le conférencier, avant d’évoquer la révision de la Constitution dont on parle depuis cinq ans : «Pensez-vous que la révision constitutionnelle intéresse les Algériens aujourd’hui ?» Pour le président de Talaie El Houriaet, la réponse est évidente : «Ça n’est pas leur priorité aujourd’hui.»

Pour Ali Benflis, «celui qui veut réviser la Constitution aujourd’hui, en l’absence de légitimité et dans un contexte de vacance de pouvoir, va aggraver la crise». L’ancien candidat à l’élection présidentielle d’avril 2014 ne comprend pas, par ailleurs, le régime qui reproche à l’opposition de faire peur au peuple alors qu’il est lui-même à l’origine de la faillite : «L’opposition, dont je suis membre, est-elle responsable de la dépense de 800 milliards de dollars pour aboutir finalement à la crise économique que vit le pays ?»

Ali Benflis affirme qu’à la fin de l’année en cours, «les revenus pétroliers vont diminuer de moitié». «Le déficit budgétaire est de l’ordre de 2600 milliards de dinars, soit 26 milliards de dollars, et nos importations sont au niveau de 60 milliards», indique le conférencier, qui accuse le pouvoir de «mensonge» parce qu’il n’inclut pas d’autres dépenses, celles des services et les dépenses spéciales. Faisant parler son expérience d’ancien chef de gouvernement, ildonne des chiffres qui font froid dans le dos.

«Le peuple n’acceptera pas une austérité imposée par un régime illégitime et qui a échoué»

Selon Ali Benflis, les dépenses réelles varient entre 80 et 90 milliards. Pour lui, ce n’est certainement pas avec la LFC et les mesures d’austérité qu’elle contient que le déficit sera réduit. Selon l’orateur, «l’heure est grave». Que peut faire le gouvernement devant une telle situation, surtout lorsqu’on sait que «le pays ne tiendra que deux ans avec les réserves ?» s’inquiète Ali Benflis. Et d’ajouter que «ce sont ces statistiques et cette crise qui font peur, non pas l’opposition».

La solution ? L’ancien candidat à la présidentielle affirme que le pays a besoin de réformes structurelles, de rigueur et d’austérité pour sortir de l’économie de rente et de la crise. «Mais est-ce que ce régime, qui a échoué, qui est responsable de la crise après avoir gaspillé autant de milliards, peut venir aujourd’hui demander aux Algériens de consentir des efforts, d’accepter l’austérité ?» Pas sûr. «La souveraineté populaire ne peut pas l’accepter», indique le président de Talaie El Houriat, qui tranche : «La clé, c’est la fin de la vacance du pouvoir et le retour à la légitimité par les urnes.»

L’ancien candidat à l’élection présidentielle a répondu aussi à une question sur la décision prise de légaliser l’argent de l’informel en l’introduisant dans le circuit bancaire. Si Ali Benflis pense que la question doit passer d’abord par un débat national, il conteste, par ailleurs, le pourcentage (7%) prélevé par l’Etat sur l’argent de l’informel. Faisant part des expériences de certains pays face au même problème, il affirme qu’il n’y en a pas un qui ait fait un prélèvement de moins de 20% ; la plupart ont imposé 30%, dit-il.

Et ce n’est pas fini. L’ancien chef de gouvernement considère aussi que l’Etat doit obliger que l’argent soit investi dans le secteur d’activité qu’il définira lui-même. A propos de l’agrément délivré par le ministère de l’Intérieur à son parti, Ali Benflis, exprimant sa solidarité avec ceux qui attendent encore le fameux sésame, indique que c’est grâce aux sacrifices des militants de Talaie El Houriat et à leur patience que le pouvoir a fini par lâcher du lest après 14 mois de tergiversations. Pourtant, rappelle-t-il, lors de la dernière présidentielle, «le président-candidat s’est plaint de moi au ministre des Affaires étrangères espagnol en m’accusant de terrorisme. Une chaîne de télévision m’a accusé d’avoir ramené des armes de Libye».

Said Rabia