Le journaliste français Didier Contant poussé au suicide


Le journaliste français Didier Contant poussé au suicide

Victime du qui tue qui

Salima Tlemçani, El Watan, 19 février 2004

Reporter-enquêteur, âgé de 43 ans, ancien rédacteur en chef de l’agence Gamma, Didier Contant a, dans la nuit de dimanche à lundi, chuté du septième étage de l’immeuble où réside une de ses connaissances à Paris.

Le journaliste est mort en laissant derrière lui des amis terriblement choqués et des confrères effarés par les circonstances qui l’ont poussé à ce geste de désespoir. Sans le savoir, en entamant son enquête sur l’assassinat des moines de Tibhirine de Médéa, Didier n’a pas mesuré le danger qui le guettait. Il avait proposé le sujet à la rédaction de Figaro Magazine, dont la première partie avait été publiée au mois de novembre dernier. Les révélations du déserteur Abdelhak Tigha, un transfuge du DRS, arrêté en Thaïlande, impliquant les services français et algériens dans l’enlèvement puis l’assassinat des sept religieux, ont poussé le journaliste à aller très loin dans ses investigations. Le sujet semblait intéressant pour Figaro Magazine, qui a donné l’accord pour sa publication. Le reporter s’est déplacé à Alger, à Médéa puis à Blida où il a eu à rencontrer de nombreuses personnes et réussi à arracher des témoignages assez intéressants sur les agissements de Abdelhak Tigha, lorsqu’il était en poste dans cette ville. Il a insisté pour voir l’épouse de celui-ci, qui l’a d’ailleurs reçu à son domicile. Avec ce témoignage, Didier venait de clore son enquête. Tout content de voir ses efforts de plusieurs semaines en Algérie récompensés, il est rentré à Paris pour remettre son travail à la rédaction de Figaro Magazine. De manière incompréhensible, celle-ci a refusé de publier l’enquête. «…Un journaliste de Canal+ dénommé Jean Baptiste Rivoire fait une enquête sur moi et appelle les rédactions avec lesquelles je travaille pour leur tenir des discours du genre : Didier pourrait travailler pour les services secrets algériens (…). Il a été été vu à Blida avec une équipe de la sécurité militaire allant visiter la famille de Tigha. Nous en sommes certains, nous avons été alertés par Amnesty International de Londres (…), cela avec suffisamment de poids pour que déjà Figaro Magazine ne veuille plus me voir de peur du scandale et ne publiera en aucun cas la suite de mon enquête. D’après ce que je sais maintenant et de sa propre voix, Rivoire travaille avec Tigha pour un livre en commun et est en relation constante avec Patrick Baudouin, avocat de la Fédération internationale des droits de l’homme. Il semble que mon travail affaiblisse grandement leur version sur l’enlèvement des moines par l’armée algérienne…», avait écrit par e-mail Didier à Cherifa Kheddar, présidente de l’association des familles des victimes du terrorisme, Djazaïrouna, le 8 février 2004. Les messages électroniques adressés à plusieurs de ses amis en Algérie se ressemblent. Didier subissait une terrible pression de la part du duo Jean-Baptiste Rivoire et Patrick Baudouin, qui menaçait toutes les rédactions avec lesquelles il avait des relations, dont le Figaro Magazine, de faire état du «dossier hallucinant» que tous deux ont monté contre lui. Il continuait à alerter ses amis et confrères contre ceux qu’il qualifiait de «talibans qui mènent un combat sacré contre l’Algérie actuelle pour qui toute voix discordante doit être supprimée». En dépit du fait qu’il fut averti par ses amis algériens sur la capacité de nuisance de ces lobbies, Didier a persisté et a même réussi à trouver un journal, Pèlerin Magazine, pour publier son enquête sur Tigha. Il était tellement heureux qu’il avait lancé la nouvelle à tout le monde, précisant qu’il allait retourner en Algérie durant cette semaine. En annonçant la nouvelle de son retour en Algérie, Didier donnait l’air d’avoir réglé son problème, même s’il reconnaissait que la menace de Me Baudouin et du journaliste de Canal+ pesait toujours sur lui au point de demander que les témoins qui ont accepté de lui parler «attestent leurs déclarations par écrit». Une demande que les concernés ont tout de suite acceptée. Didier préparait sa défense au cas où Me Baudouin viendrait à mettre à exécution ses menaces de recourir aux tribunaux. Didier a décidé de mettre fin à son calvaire en se jetant d’un balcon du 7e étage. Ses amis disent qu’il avait bu une quantité considérable d’alcool et ingurgité au moins une trentaine de cachets d’aspirine. Pour ceux qui l’ont approché, Didier n’est pas un buveur, et a toujours été allergique à l’aspirine. Il est mort en emportant avec lui son secret.

Silence gênant

Un secret qui dérange terriblement l’avocat de la Fédération internationale des droits de l’homme et le journaliste Jean-Baptiste Rivoire. Contactée par téléphone, la rédaction de Figaro Magazine a refusé de s’exprimer sur le sujet, de même que le journaliste de
Canal + Jean Baptiste Rivoire. Par contre, l’avocat de la FIDH, Patrick Baudouin, a démenti totalement les révélations de Didier Contant. «Je ne l’ai vu qu’à deux reprises, une fois au mois de décembre après ma plainte dans l’affaire des moines assassinés, et la seconde, après son retour d’Algérie, où il m’a fait état de son enquête sur le sujet…» L’avocat a également nié être le défenseur de Abdelhak Tigha, auquel, a-t-il précisé, il n’a fait que prodiguer quelques conseils dans le cadre de son statut de membre de la FIDH pour lui trouver un pays d’accueil. «C’est possible qu’il y ait eu une divergence d’idées sur le dossier entre moi et le journaliste, mais je ne détiens aucune vérité.» Me Baudouin a également nié l’existence d’un quelconque projet de livre avec un journaliste de Canal + sur la question des moines de Tibhirine et a affirmé qu’il n’a appris la nouvelle du suicide qu’«accidentellement par la bouche d’un journaliste». Pour sa part, l’organisation de Robert Menard, Reporters sans frontières, était hier «surprise» d’apprendre la nouvelle. La responsable du bureau Europe de RSF a estimé que l’information ne lui a pas été transmise et qu’elle n’a jamais été saisie de cette affaire de Didier Contant, «d’autant que la presse française n’en a pas fait état».
Par S. T.

RÉACTIONS DES PROCHES DU JOURNALISTE

Didier est «victime de sa vérité»Le suicide de Didier Contant a été reçu comme un choc par les proches de ce journaliste enquêteur connu à Paris pour ses investigations assez pertinentes.

Certains de ses amis et collègues ont confirmé les pressions que le défunt a subies de la part du journaliste de Canal+ et de l’avocat de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), Me Patrick Baudouin. Le journaliste d’investigation, Alain Hanon, de l’agence Gamma, qui connaît Didier depuis des années, a révélé que «le télégramme de la chancellerie a évoqué, en expliquant les motifs du suicide, des histoires personnelles, et le fait qu’il soit entré en conflit avec des journalistes de Canal +». Le journaliste a estimé que Didier avait été victime d’«attaques virulentes et très dures de la part de certains journalistes de Canal +. La rédaction du Figaro Magazine a fini par céder au chantage et aux pressions exercés par ces derniers. Il est vrai que pour l’instant la thèse du suicide est plausible, mais Didier n’aurait pu se jeter septième étage s’il n’avait pas été poussé par les terribles pressions et les hallucinantes attaques dont il a fait l’objet au point où sa crédibilité était sérieusement mise en jeu. Ils avaient souillé son honneur et sa dignité de journaliste. Ses collègues l’ont vu sortir, il y a quelques jours du bureau de son rédacteur en chef adjoint, à Figaro Magazine, pleurant à chaudes larmes. S’il en est arrivé à cela, c’est qu’il a du subir l’intenable.» Luc Balbon, journaliste à Pèlerin Magazine, a révélé que Contant a très mal pris les «les lourdes accusations de certains journalistes de Canal +, dont Jean- Baptiste Rivoire. La rédaction de Figaro Magazine a refusé de lui publier son enquête. Mais il donnait l’impression de quelqu’un qui se battait, un véritable guerrier. Les partisans du «qui tue qui le qualifiaient d’agents des services secrets algériens et français. Ce qui le rendait malade». Cherifa Kheddar, présidente de l’association des familles des victimes du terrorisme Djazaïrouna, qui a aidé Didier dans son enquête sur l’affaire de Tibhirine, a exprimé sa «colère» à l’encontre des responsables du Figaro Magazine, «qui n’ont pas su protéger le journaliste des terribles pressions et menaces qu’il subissait. J’étais en contact permanent avec lui, et il me racontait, à travers les messages e-mail qu’il m’envoyait, les intimidations dont il faisait l’objet. Jean-Baptiste Rivoire et Patrick Baudouin ainsi que les responsables de la rédaction Figaro Magazine, doivent porter l’entière responsabilité de sa mort. Ils l’ont poussé au suicide juste parce qu’il avait ramené avec lui des vérités qui risquaient de mettre en danger leur thèse de qui tue qui. Comment un avocat d’une organisation de protection des droits de l’homme peut-il accepter qu’un journaliste soit censuré ou menacé parce qu’il a exprimé une opinion différente ? Pourquoi la mort de Didier n’a pas suscité des interrogations au sein de la rédaction du Figaro Magazine ?».

Par Salima Tlemçani