Rebondissement dans l’affaire de l’assassinat des moines de Tibhirine

Rebondissement dans l’affaire de l’assassinat des moines de Tibhirine

Ouverture d’une information judiciaire à Paris


Le Matin, 11 février 2004

Une information judiciaire a été ouverte, hier, sur l’assassinat des sept moines de Tibhirine par le parquet de Paris et sera probablement confiée aux juges antiterroristes. Ce rebondissement dans l’affaire des trappistes français enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 à Médéa a été provoqué par Patrick Baudouin, avocat de leurs proches. Ce dernier a, en effet, introduit il y a quelque temps une demande pour une nouvelle enquête auprès du parquet pour « séquestration, enlèvement et assassinat en relation avec une entreprise terroriste ». La précédente instruction judiciaire se basait sur une plainte contre X et relevait de l’infraction du droit commun sans être liée à un acte terroriste. En réalité, ce n’est pas l’unique motif de cette nouvelle plainte. Les plaignants disent, plus de sept ans après les faits, n’être pas convaincus « par la thèse officielle autour de ces assassinats » qui attribue cet acte au GIA. Ils pensent que les services de sécurité algériens ont, pour les besoins de cette opération, manipulé les membres de ce groupe terroriste. Les proches des moines donnent ainsi crédit aux accusations lancées par Tigha, un ancien lieutenant de l’Armée algérienne. Il avait affirmé dans l’édition du 24 décembre 2002 du journal Libération que l’ANP était impliquée dans l’enlèvement des sept moines et leur assassinat. Le scepticisme affiché par l’archevêque d’Alger Henri Teissier quant à ces révélations est pourtant à méditer.
« Ce que je peux dire au nom de l’Eglise d’Algérie est que nous n’avons aucune information nouvelle qui nous permette, aujourd’hui, d’ajouter foi à la version publiée, dans son édition d’hier, par le quotidien français Libération se basant sur les déclarations d’un ancien lieutenant de l’Armée algérienne impliquant les services du DRS d’être derrière l’assassinat des moines de Tibhirine, à Médéa. Je tiens à préciser que celui qui a donné les informations les plus claires est Benhadjar qui était lui-même dans la région en contact avec les différents groupes terroristes et ses déclarations ont été largement publiées par la presse », écrit-il à l’époque à ce journal français. Dans un entretien accordé à notre quotidien quelques mois plus tôt à l’occasion de la tenue d’une rencontre sur saint Augustin à Alger, cet homme de foi s’était dit convaincu de l’implication des groupes islamistes dans ce rapt. La version donnée par Benhadjar, ancien bras droit de Sayeh Attia, « émir » en 1993 du GIA, accrédite la thèse d’un enlèvement sur fond de guerre intestine entre les différents chefs de ce groupe terroriste. Il raconte que Sayeh Attia s’est présenté le 23 décembre 1993 aux portes du monastère pour « demander aux pères de ne pas convertir au christianisme les gens d’ici et de ne pas refuser de soigner les malades et les blessés du GIA » en contrepartie de quoi ils seront épargnés. Cette promesse avait été tenue, selon ses dires, jusqu’à que Djamel Zitouni eut l’idée de faire un grand coup médiatique susceptible de propulser le GIA au-devant de la scène politique internationale. Quoi qu’il en soit, des zones d’ombre persistent toujours dans cette affaire des moines victimes avant tout de la cruauté du GIA. La confirmation par certains journaux français de l’existence de contacts entre les islamistes et les autorités françaises à l’époque pour tenter de négocier leur libération a encore plus compliqué la hiérarchisation des responsabilités. Si le GIA a kidnappé les moines, les services de sécurité français par routine bureaucratique n’ont-ils pas aussi compromis leur libération des mains des terroristes ? Un expert de la question cité par Le Figaro en mai 1996 évoque le temps extrêmement long qu’aurait mis la cassette dans laquelle on entendait les trappistes répéter les exigences de leurs ravisseurs, transmise par un émissaire du GIA à l’ambassade de France à Alger pour remonter la chaîne hiérarchique. Selon lui, ce dysfonctionnement dans certains services de renseignements français a causé la perte des moines de Tibhirine.
Nissa H.