Coïncidences

Coïncidences

par Ghania Oukazi, Le Quotidien d’Oran, 8 juillet 2009

C’est au moment où il est question de restructurer les services de sécurité et de réfléchir en parallèle sur la problématique d’une amnistie générale au profit des terroristes qu’un militaire français vient d’affirmer que c’est l’armée algérienne qui a tué les 7 moines de Tibehirine.

La déclaration du général français à propos de l’assassinat en 1996 des 7 moines trappistes qui vivaient sur les hauteurs de Médéa, à Tibehirine, coïncide avec des événements très particuliers pour l’Algérie. L’auteur de la déclaration et les médias français ont en effet, bien choisi le moment pour la rendre publique. L’Algérie célèbre ces jours-ci un double événement, son indépendance et la fête de la jeunesse. Un moment où l’armée est glorifiée pour avoir réussi à chasser le colonisateur français. Et le 4 juillet dernier, le président de la République a décoré de nouveaux généraux sur les hauteurs des Tagarins, siège du ministère de la Défense. C’est donc une conjoncture où l’institution militaire est mise à l’honneur.

Le général français n’est pas le premier à douter des commanditaires et exécutants de l’assassinat des moines français. En 2001, un journaliste français a remonté les traces de ce tragique événement et avait affirmé que ce sont les services de sécurité algériens qui ont commandité le crime. Le journaliste ne dira pas plus. Il sera assassiné en France quelque temps plus tard. L’on ne connaîtra peut-être jamais le mobile de son assassinat. Pour le moment, c’est celui des moines qui remontent à la surface. Le général français affirme avoir été informé par un ancien militaire algérien sur ce qu’il a qualifié de bavure de l’armée algérienne.

Vu du côté algérien, ces affirmations sont très lourdes de sens lorsqu’on apprend de sources crédibles que le président de la République réfléchit sur un projet amnistiant tous les terroristes. Pour rappel, c’est lui-même qui a répondu instantanément à une voix qui s’était élevée du milieu d’une salle pour lui demander «El âafou echamil, sid Er-raïs !» (l’amnistie générale, monsieur le Président !). C’était lors d’un meeting électoral qu’il avait animé à Tamanrasset, une région qui n’avait vraiment souffert du terrorisme durant les années 90. «Une amnistie générale, jamais !», avait-il crié avant de préciser: «Je ne déciderais d’une amnistie générale qu’à condition que tous les terroristes déposent les armes, ceux qui ont commis des crimes demandent pardon à la Nation et le champ politique soit redéfini», avait-il affirmé. Ainsi, avait-il fait savoir implicitement que l’option d’une amnistie générale faisait bel et bien partie de son programme durant ce troisième quinquennat présidentiel. Ceci, bien sûr, si tout marchera comme il l’aura voulu et décidé.

Mais d’ores et déjà, l’on apprend que sa montée aux Tagarins, le 4 juillet dernier, ne lui a procuré aucun bonheur. Il était de très mauvaise humeur. C’est du moins ce que soutiennent ceux qui l’ont vu de près. «Il avait même accroché des galons à l’envers, tellement il était énervé», nous dit-on. La colère du président aurait une cause importante, du moins à ses yeux.

 

La raison d’une colère

 

Bouteflika avait, selon nos sources, demandé qu’on lui remette la liste des militaires retraitables mais il ne l’avait pas eue. Il faut croire que l’établissement d’une liste pareille remet en cause la force qu’a toujours eue l’institution militaire à garder ce qu’elle veut de ses responsables et éjecter ce qu’elle veut d’entre eux et au moment où elle le décide. Les exemples de limogeage inattendus lui sont légion. Le chef de l’Etat compte, selon nos sources, procéder lui-même à la mise à la retraite des hauts gradés qui doivent l’être et retenir pour nécessité de service ceux qu’il estime indispensables pour la situation. Bouteflika n’a pas encore eu, selon nos sources, les informations qu’il veut avoir à ce sujet. Sa colère contre l’institution militaire intervient à un moment où la sécurité du pays exige plus que jamais des institutions de l’Etat, rigueur, présence et efficacité absolues. Selon nos sources, le président n’est ni content ni convaincu de ce qui se fait sur le terrain. Revoir le fonctionnement de l’institution militaire est une option qui coïncide avec la rumeur faisant état du retour de l’ancien chef d’état-major, le général de corps d’armée Mohamed Lamari, en remplacement de Abdelmalek Guenaïzia, l’actuel ministre délégué auprès du ministère de la Défense. Annoncée il y a quelques temps dans ces mêmes colonnes, l’information a fait dire à certains hauts responsables que «ce retour serait très possible puisque Lamari a été invité aux deux cérémonies, celle de l’annonce par Bouteflika de sa candidature à l’élection présidentielle du 9 avril dernier et à celle de sa prestation du serment présidentiel. Une invitation et une présence qui auraient selon certains irrité des responsables militaires, notamment Guenaïzia.

En même temps que l’armée, la restructuration des services de sécurité, tous corps confondus, toujours selon nos sources, apparaît très visiblement dans les approches sécuritaires développées en haut sous le sceau de la révision de la stratégie antiterroriste. L’assassinat des 18 gendarmes et celui de plusieurs gardes communaux durant ces derniers temps posent aujourd’hui véritablement la question de l’efficacité de ce qui est opérationnel en matière de sécurité. Le décès de Smaïl Lamari et du général Fodil Chérif imposent le changement. Il y a eu déjà vent dans ces mêmes colonnes de la création d’un super ministère de la Sécurité que dirigerait l’actuel ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, Nouredine Yazid Zerhouni. «L’Algérie a plus que jamais besoin de centraliser ses services de renseignements parce que le monde l’exige tout autant que la sécurité dans le pays», nous disait hier un ancien responsable. Cette option imposerait la mise sous contrôle par Zerhouni de l’ensemble des services de sécurité existants. Ce qui signifie qu’il déchargera les services actuels y compris ceux de l’institution militaire d’importantes prérogatives qu’ils ont toujours gardées jalousement tout au long de l’histoire du pays. Réputé pour être un malgache influent (membre du MALG: ministère algérien des Liaisons générales) pour avoir été le chef de la région Ouest, «très proche de Bouteflika», Zerhouni a de fortes chances d’accaparer cet héritage sous une nouvelle appellation, bien sûr, mais aussi sous une nouvelle forme, moderne et professionnelle.

 

Le retour du «Qui tue qui ?»

 

Telles que présentées, les choses sont loin d’être simples dans un pays comme l’Algérie où le renseignement fait presque défaut. «Sauf peut-être quand il s’agit de ficher des futilités», nous disait un haut fonctionnaire. Entre la restructuration des services et l’idée d’amnistier les terroristes, il y a l’armée qui, même si elle a toujours été placée en tête des pouvoirs selon un ordre d’importance bien établi, elle a eu, pour rappel, grand-peine à faire entendre sa voix quand les adeptes du «Qui tue qui ?» avaient envahi les enceintes des grandes institutions occidentales pour l’accuser d’être à l’origine de nombreux crimes. Depuis, l’accusation la poursuit jusqu’à continuer de menacer la quiétude de ses responsables. L’aventure à l’aéroport militaire français, le Bourget, de Khaled Nezzar, lorsqu’il a été évacué sur Alger en urgence et dans le secret, en reste un exemple frappant. Les échos du «Qui tue qui ?» et de cet épisode retentissent aujourd’hui à travers les propos tenus par ce général français qui dit avoir été informé par un ancien militaire algérien. En fait, tout est dans cette affirmation, d’un Algérien qu’on dit ancien colonel qui aurait informé un général français. Si l’armée est accusée d’avoir assassiné les moines trappistes, c’est que ceux qui le soutiennent veulent continuer à faire semer le doute sur l’origine des criminels des années 90. Du coup, ce sont les terroristes islamistes qui gagnent en sympathie auprès des opinions publiques pour ne pas être considérés comme étant les seuls à avoir assassiné durant cette tragique décennie. Une amnistie générale leur serait donc permise au cas où le chef de l’Etat déciderait de la décréter. Ceci étant dit, une amnistie si elle est générale, elle pourrait aussi profiter à l’armée. Pour rappel, la charte pour la paix et la réconciliation nationale a beaucoup servi aux agents de sécurité de l’Etat, tous corps confondus, pour leur avoir consacré une disposition qui les absout de tout dépassement ou bavure. Aucune personne n’a en effet le droit de poursuivre en justice ces agents-là pour quoi que ce soit même si elle possède tous les éléments utiles pour cela. Le président de la République pourrait décider d’un texte qui prendrait en compte tous les aspects de la question d’amnistie pour que tout le monde trouve son compte. Encore une fois, la déclaration du général français sur les moines français, 13 ans après leur assassinat, n’est pas fortuite.

Il faut reconnaître que l’ouverture de dossiers aussi brûlants dans une conjoncture qui l’est tout autant pour le pays tombe dans un moment où le président de la République vient de perdre sa mère avec qui l’on dit qu’il avait des liens particulièrement forts. L’on dit qu’elle a été le ciment qui gardait la famille très unie, surtout dans les moments les plus difficiles. «C’est grâce à elle et à sa présence à ses côtés, que le président a pu traverser tout ce parcours, depuis son très jeune âge à ce jour», nous disait un de ses proches. Le président a aussi son frère Mustapha qui est très malade et est hospitalisé à Genève depuis plus d’un mois. Mustapha, gentil et aimable qu’il est, a lui aussi été à ses côtés et lui a été d’une grande disponibilité. Il faut dire qu’il a été au président, depuis sa maladie, son médecin de garde permanent.