Ali Yahia Abdennour: Quelle révision du code de la famille ?

Le président de la Laddh interpelle le gouvernement

Quelle révision du code de la famille ?

Par Maître Ali Yahia Abdenour, Liberté, 7 mars 2005

Le statut de la femme est devenu une question majeure de la société et du débat politique. La promotion ne va pas sans tâtonnements ni conflits. Elle se heurte à des résistances dans le domaine politique, dans sa vie professionnelle et privée qui se déroule sous le signe de la contrainte, de la soumission et de la subordination. Chaque année, le 8 Mars, Journée internationale de la femme, fournit l’occasion de dénoncer l’oppression, la discrimination et les inégalités dont sont victimes les femmes, de constater qu’en dépit d’engagements solennels, leur situation n’évolue guère.

La révision du code de la famille a rencontré une résistance farouche qui a fait reculer ses initiateurs. Feu Abdelmadjid Meziane, président du Haut Conseil islamique, a déclaré, au cours d’un colloque, qu’il était pour la révision du code de la famille dans l’ensemble et dans le détail. Il était pour l’abrogation de la polygamie, le droit de la femme au divorce, ainsi que le droit de choisir son tuteur lors de son mariage. Ses positions ont été critiquées et rejetées par la majorité des membres du Conseil islamique.

Dans une longue interview accordée le 29 avril 2004 au journal Liberté, Mme Boutheïna Cheriet, alors ministre de la Famille et de la Condition féminine, a déclaré que “le principe de la révision du code de la famille a été retenu, et que le projet de loi sera soumis au Parlement à la prochaine session d’automne. Une commission d’experts dans le domaine de l’anthropologie, de la législation et des sciences islamiques, éloignée de toute influence et considération idéologique, élaborera ce projet”. La révision du code de la famille ne relève pas de spécialistes, mais de la volonté politique. Dans son discours du 10 novembre 2004, prononcé à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire, le président de la République a déclaré : “La révision du code de la famille est loin de toute idée de se démarquer de la charia, et demeure en accord avec les grands principes fondamentaux de la Constitution et en harmonie avec les valeurs humaines universelles.” Trouver les faiblesses de l’ancien code de la famille, les mettre à découvert, les analyser et s’instruire auprès d’elles, voilà ce que doit faire aussi bien l’homme politique que le théoricien politique. Cette approche nécessite science et conscience, modestie et prudence, compréhension et tolérance.

La révision du code de la famille projetée n’introduit aucun changement profond et ne résout qu’en surface une situation complexe qui peut être comparée à la quadrature du cercle. Le président de la République n’avait qu’une chose à faire, ouvrir la porte de la réforme du code de la famille pour accompagner l’évolution de la société, ou la fermer, mais pas les deux ensemble et en même temps.

L’Islam représente pour les jeunes un courant social protestataire et contestataire qui les libère de la pesante tutelle familiale. C’est pourquoi ils rejoignent ses rangs, particulièrement les femmes. La révision du code de la famille maintient le wali pour le mariage de la femme majeure. Le tutorat est l’obligation pour une femme d’avoir l’autorisation d’un tuteur pour se marier. La femme peut exercer une haute fonction dans tous les domaines d’activité, mais pour se marier il lui faut un tuteur. Du point de vue de l’Islam, aucune contrainte ne peut s’exercer sur la femme pour lui imposer un mariage qu’elle refuse. Le temps est fini où la famille qui marie, et où on se marie avec la famille. Si une Algérienne aime à partager son lit et sa vie avec un homme, et donner un père à ses enfants, elle doit le faire en toute liberté. Une lecture de l’Islam s’oppose à la polygamie, car il est dit que l’homme ne peut épouser deux à quatre femmes, que dans la mesure où il peut les aimer de la même façon. L’autorisation de la première épouse devant le juge est requise, dans le but de contrôler l’exercice de la polygamie qui n’est, il faut le rappeler, ni un droit ni une obligation, mais seulement une autorisation. Le risque est que la première épouse qui refuse d’autoriser son mari à épouser une deuxième femme peut se voir répudiée. La polygamie et la répudiation sont le privilège de l’homme.
Pour les islamiques, ceux qui revendiquent l’interdiction de la polygamie savent qu’il y a en Algérie plus d’hommes mariés qui ont des maîtresses que de polygames. Il est à remarquer que la totalité des responsables politiques islamiques algériens ne sont pas polygames. La polygamie est en nette régression, mais aucune statistique nationale n’a été réalisée pour l’évaluer.

La seule mesure positive de la révision du code de la famille est l’obligation faite au mari de loger la femme divorcée qui a la garde des enfants communs.

Certaines dispositions du code de la famille révisé sont attentatoires à la Constitution.
L’égalité non pas théorique mais réelle des droits de chaque homme et de chaque femme est l’essence même de la Constitution. Le principe d’égalité et de non-discrimination est essentiel, incompatible avec l’inégalité qui considère qu’il y a deux catégories d’Algériens, les hommes et les femmes, ceux du premier collège, les hommes qui ont tous les droits, et celles du deuxième collège, les femmes, qui sont privées d’une partie de leurs droits. La femme est l’égale de l’homme avec le respect en plus. Le respect de ses droits constitutionnels est le plus élémentaire devoir de l’État dans une société qui se veut à l’échelle humaine. La mission du Conseil constitutionnel est de veiller au respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales définis par la Constitution, la femme est digne de tous les droits de l’homme, qui sont aussi ceux de la femme, cela va sans dire mais cela vaut mieux en le disant, et doit pouvoir en jouir sans restriction aucune. Défendre l’égalité de la femme, c’est servir la liberté et la dignité humaine. Il faut la rétablir dans sa dignité, ses droits et sa liberté. Et élargir, dans cette société masculine, son espace de liberté. Les hommes doivent remettre en cause leurs privilèges au nom de l’égalité des droits et de la dignité humaine, mettre fin à leur domination et nouer des relations d’égalité avec les femmes. Le corps social ne peut être entier et fonctionner de manière harmonieuse que si les femmes ont non seulement accès à la parole, car les hommes s’arrogent le droit de parler à leur place, mais aussi accès au pouvoir.

Ce que les sociologues appellent la complémentarité inégalitaire des sexes réserve aux femmes la sphère domestique et aux hommes la sphère sociale, celle de la politique. La femme est associée à la nature, l’homme à la culture et à la loi qu’il incarne. La femme n’est pas la moitié de l’homme mais un être entier. Ses performances intellectuelles sont égales à celle de l’homme. Elle n’est ni supérieure ni inférieure à l’homme mais son égale, qui sait le soutenir et le réconforter. Il est vrai que la femme, comme l’homme, participe à la domination masculine. Selon Bourdieu, la personne dominée œuvre à sa propre domination, contribue à la perpétuer et participe à la construction de ce qu’elle subit. La femme réfléchit à sa condition avec les idées qui proviennent de la domination elle-même. Elle finit par adopter le jugement que le dominant porte sur le monde et sur elle-même.

Mais la question qui revient est : que doit-elle faire pour s’en sortir ?
La société connaît de nombreux drames dus à la désunion des familles par la destruction des relations conjugales. Il y a une crise de la famille et beaucoup d’enfants sont livrés à eux-mêmes. Les couples connaissent souvent l’épreuve de la rupture, se désunissent et trop d’enfants sont privés de l’appui équilibré qu’ils devraient trouver dans l’harmonie complémentaire de leurs parents. Les enfants, qui sont les premiers concernés par les conflits de famille ou même par l’évolution des rapports familiaux, doivent être entendus dans la procédure de divorce.

La moyenne d’âge pour le mariage est actuellement de 31 ans pour les garçons et de 29 ans pour les filles, dans les zones urbaines. Le nombre de vieilles filles est élevé du fait que les hommes de moins de trente ans ne peuvent pas se marier dans leur majorité, compte tenu de leur situation sociale. Sans emploi et à la charge de leur famille dans l’attente de jours meilleurs, peu nombreux sont ceux qui fondent une famille dans ces conditions. La solution n’est pas dans la polygamie, mais dans la lutte contre le chômage et dans la construction de logements sociaux.

Le nombre de foyers, dont la responsabilité incombe à la femme, augmente de manière constante et inquiétante. La revendication de la femme divorcée à être gardienne et tutrice de ses enfants, et à exercer les attributs de la puissance paternelle est légitime. L’égalité devant la loi en matière de mariage, de divorce, de partage équitable du patrimoine commun en cas de divorce, le droit de la femme au logement quand elle a la garde des enfants doivent être reconnus par la loi. Fruit d’une histoire différente, le féminisme algérien maintient une division des rôles. La revendication de demain pour l’Algérienne qui n’accepte pas le mariage forcé et ne se résigne pas à subir la polygamie ou la répudiation ne sera pas la parité mais la mixité. L’école et l’indépendance économique la libéreront des interdits que secrète la société. La nomination d’une poignée de femmes à des postes importants de la Fonction publique ne marque pas un changement, mais seulement une propagande destinée à faire croire à la promotion réelle de la femme. Chaque étape de la vie nationale doit être marquée par l’accès aux responsabilités d’une plus grande participation féminine. L’obligation pour une femme de cacher ses cheveux était mentionnée 1700 ans avant l’ère musulmane par les lois assyriennes attribuées au roi Phalazar premier (1112-1074 avant l’ère chrétienne) : “Les femmes voilées qui sortent dans la rue n’auront pas leur tête découverte. Les filles d’hommes libres sont voilées. La prostituée ne sera pas voilée, sa tête sera découverte.”
Le foulard assimilé au tchador ou au hidjab est considéré par le gouvernement français comme le signe extérieur de l’idéologie islamique, alors que, selon les croyants, il protège seulement l’intimité de la femme. La laïcité, qui est le principe de la séparation de la religion et de l’État, ne prône pas l’athéisme, mais le respect de la liberté du culte. Le voile choisi librement par les jeunes filles peut être un moyen de protection, voire d’émancipation des tutelles familiales qui leur permet de suivre un chemin scolaire et professionnel. La loi antifoulard islamique, qui exclut une partie de la population sans prétexte de son ethnie et de sa religion, renvoie à une laïcité frileuse. Interdire le port visible de tout signe religieux à l’école, c’est exclure la liberté religieuse et la liberté d’opinion. Le port d’un signe manifeste d’appartenance religieuse ne nuit pas à autrui, ce qui est essentiel, ne constitue aucune atteinte à la dignité et aux droits civils des autres élèves et des professeurs, ce qui est primordial. La liberté d’expression est le droit de manifester publiquement sa pensée, et de choisir ses propres croyances. En quoi des jeunes filles qui portent le foulard islamique menacent-elles l’ordre public, l’ordre républicain ?
Exclure de l’école des filles, futures éducatrices de leurs enfants, n’est pas la bonne manière d’aborder la question de la laïcité.

Alger le 1er mars 2005
Maître Ali Yahia Abdenour,
président de la LADDH