Le général à la retraite Hocine Benhadid jugé jeudi dernier

Le général à la retraite Hocine Benhadid jugé jeudi dernier

Une peine d’un an de prison requise par le parquet

El Watan, 10 mars 2018

Une peine d’un an de prison ferme a été requise, jeudi dernier, par le procureur près le tribunal d’Alger, qui rendra son verdict le 22 mars.

Entouré par plusieurs hauts gradés à la retraite, Benhadid s’est défendu en maintenant ses propos et en les expliquant dans une longue déclaration dans laquelle il a parlé «des dérapages, de l’égoïsme et de la surestime de soi dans la gestion des affaires publiques et particulièrement au sein de l’armée, au détriment de l’intérêt général».

Le général à la retraite Hocine Benhadid a comparu, jeudi dernier, assis sur une chaise, devant le tribunal de Sidi M’hamed, près la cour d’Alger. Le procès s’est tenu en présence de ses anciens compagnons d’armes, en majorité des hauts gradés de l’armée, admis à la retraite pour certains depuis des années et pour d’autres depuis pas longtemps.

Dès l’ouverture de l’audience, en début de matinée, le juge appelle le prévenu à la barre. Ses avocats, Mes Mustapha Bouchachi, Khaled Bourayou et Bachir Mechri, se succèdent pour relever ce qu’ils estiment être des «vices de forme», notamment l’absence d’une plainte préalable, ainsi que précisé par les articles 144 et 146 du code pénal, pour lesquels Benhadid est poursuivi.

La première disposition évoque l’outrage à la personne en exercice de ses fonctions, en l’occurrence le chef de l’état-major et vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaïd Salah. «Or, dans le dossier, il n’y a pas de plainte préalable de ce dernier.

La seconde fait état de l’outrage à l’institution militaire, dont le premier responsable est le président de la République. Ces deux chefs d’inculpation ne peuvent être retenus ensemble et aucun des deux ne repose sur des faits avérés (…)», notent les avocats, avant que le magistrat décide de joindre ces demandes à l’examen du fond de l’affaire.

Il se tourne vers le général à la retraite et lui demande : «Vous êtes accusé d’outrage à un corps constitué, qu’avez-vous à dire ?» Benhadid tire de sa poche quelques feuilles blanches bien pliées, qu’il déplie lentement et commence à lire d’une voix difficilement audible. «En ce 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, le régime me poursuit alors que je suis un officier supérieur de l’armée, qui n’a commis aucun crime, si ce n’est d’avoir entendu ma conscience (…).

Lorsque je vois la menace qui pèse sur le destin de l’Algérie, je ne mesure pas les conséquences, surtout lorsque je suis convaincu de l’effondrement de l’éthique professionnelle et patriotique de la nation algérienne et que je vois les principes défendus par la Révolution foulés aux pieds», déclare Benhadid.

Il rappelle son engagement dans la Révolution à l’âge de 17 ans, son parcours sans faille durant la construction du pays, mais surtout son engagement pendant les années 1990, où il a eu à diriger des opérations antiterroristes à travers plusieurs régions du pays. «Pour ces raisons, je reste attaché à des principes ancrés, que je défends à chaque fois que j’ai le sentiment que le pays est en danger et que la République, que les martyrs ont voulu démocratique et populaire, commence à s’effondrer devant moi.

Cela me pousse encore une fois à maintenir mes déclarations (…). Les propos que j’ai tenus en 2015 ont trait aux dangers qui commençaient à guetter le pays, notamment les équilibres au sein de l’Etat, à travers cette gestion qui ne construit pas les institutions algériennes et qui me pousse à ne jamais garder le silence, à ne pas renier mes principes, pour lesquels j’ai consacré ma vie au service du pays», poursuit le prévenu.

Il s’arrête un moment puis reprend : «J’ai été humilié en tant qu’officier supérieur, sans aucune considération aux principes, à la morale et au patriotisme, alors que j’ai servi mon pays avec fidélité, comme beaucoup d’autres camarades. En me traitant de manière abjecte, c’est l’institution militaire qu’on a humiliée.

Après la mise sous mandat de dépôt de mon fils, et juste après avoir quitté l’audience, j’ai été encerclé en pleine autoroute par une section commandée par la Gendarmerie nationale, puis kidnappé, en dépit de mon âge avancé et de mon état de santé, pour être conduit au quartier général de Bab Jdid, entendu pendant plus de 30 heures et mis en détention à 23h30.

Ma détention pendant 300 jours, ma mise sous contrôle judiciaire à ce jour n’ont fait que donner une mauvaise image de notre armée et de l’Etat de droit. Cela n’a fait que me convaincre de rester attaché à mes propos. Pour moi, et pour tout citoyen, c’est un devoir de le faire. La critique et son acceptation constituent la base de l’avancée des peuples et du renforcement des libertés.»

«Faire taire tous ceux qui tentent de dévoiler leurs dérapages»

Il revient à sa carrière militaire consacrée à la défense du pays, qui a suscité, dit-il, des ambitions, qu’il résume à travers plusieurs points. D’abord le rajeunissement du commandement à travers l’application du statut militaire qui définit l’âge du départ à la retraite et que, précise-t-il, «le haut commandement a jugé d’atteinte au moral des troupes, alors qu’en réalité, mon intervention était en parfaite adéquation avec le discours de 2012 du président de la République à Sétif.

Moi-même j’ai donné l’exemple, en laissant la chance aux jeunes officiers patriotes et compétents, à travers mon départ à la retraite à l’âge de 52 ans, après 35 ans de service».

Pour Benhadid, sa génération a aidé à «la formation de tous ces jeunes de l’après-indépendance, axée sur la fidélité et l’exemplarité vis-à-vis de leur hiérarchie, dans le but de les voir un jour au commandement et non pas avec des ambitions détruites et poussés à quitter prématurément leur carrière militaire au détriment de la rentabilité et de la compétence».

Pour ce qui est de la consultation en matière de prise de décision, explique Benhadid : «J’ai dit qu’elle évite les dérapages et l’égoïsme, qui malheureusement ont pris le dessus sur la gestion des affaires publiques et particulièrement au sein de l’armée (…).

Chaque jour, les citoyens voient les dépassements de certains responsables qui refusent toute critique constructive ou débat objectif de leur manière de gérer, au point de donner l’impression qu’ils gèrent leur bien privé en se disant : après moi le déluge. Ils ont promulgué la loi sur l’obligation de réserve pour faire taire tous ceux qui tentent de dévoiler leurs dérapages et fermer définitivement tout débat au sein de l’institution.»

Pour Benhadid, ni les pratiques d’humiliation ni les pressions dont il a fait l’objet ne le pousseront à abandonner ses principes, auxquels il est attaché pour «la pérennité de la nation, la défense des libertés, les valeurs nationales, l’éthique, les critiques objectives et les droits de l’homme. Je vois aujourd’hui ces pratiques et visions limitées de certains responsables qui poussent le pays vers la faillite, l’effondrement, et le pourrissement (…).

De par ma carrière militaire et mon devoir national, j’ai exprimé une position qui reflète ce que je crois être nécessaire pour renforcer le pays et le protéger de tous les dangers auxquels il est confronté. Je ne crois pas qu’un homme comme moi puisse avoir comme objectif de porter atteinte au moral de l’armée ou de ses troupes». Le juge insiste : «Vous êtes accusé d’outrage à corps constitué. Qu’avez-vous à dire ?» Benhadid parle d’une voix très basse : «Je n’ai outragé personne.

Je viens de vous expliquer ce que j’ai dit.» Le juge : «Votre déclaration est mise dans le dossier. Je veux vous entendre sur les faits.» Benhadid maintient ses propos et le procureur l’interroge : «Si vous étiez responsable, auriez-vous accepté qu’une personne vous diffame ?» lui lance-t-il, avant que Me Mechri n’intervienne : «Il ne s’agit pas de diffamation, mais de critique constructive.» Le procureur revient à la charge et Me Bourayou précise : «Il y a un problème dans la définition. Si je dis que Me Bourayou est incompétent, est-ce un outrage ?»

Le juge : «Gardez vos remarques pour la plaidoirie.» Me Bourayou interroge son mandant : «Lorsque vous étiez au sein de l’armée, est-ce que la critique était tolérée à l’intérieur de l’institution ?» Le prévenu : «Bien sûr et à tous les niveaux.» L’avocat poursuit son interrogatoire pour faire comprendre que le prévenu n’a pas évoqué un secret professionnel ou insulté le commandement de l’armée, mais plutôt émis des critiques constructives sur la manière de gérer du commandement de l’armée.

«Le drame dans ce pays, c’est qu’on le gère par téléphone»

D’une voix inaudible, le procureur requiert sans aucune argumentation un an de prison ferme, avant que Me Bourayou entame sa plaidoirie en rappelant au tribunal : «Dans cette salle, un journaliste, Mohamed Tamalt, a été assassiné, oui, assassiné pour avoir outragé le Président.» Mais, le président du tribunal lui demande de «rester dans le sujet» et l’avocat continue. Il s’attarde sur l’article 144, pour lequel Benhadid est poursuivi et qui a trait à l’outrage.

Il commence par préciser que la seule personne qui se cache derrière cette affaire est le chef de l’état-major de l’Anp et affirme que le parquet, qui a déclenché cette affaire, «ne fait pas la différence entre un corps constitué et une institution de l’Etat. Il n’a même pas jugé utile d’avoir une plainte préalable comme le stipule la loi».

Il plaide pour l’annulation de la poursuite judiciaire et cède la barre à Me Bachir Mechri, qui revient lui aussi sur la mort du journaliste Mohamed Tamalt en détention, après avoir été condamné à deux ans dans la même salle d’audience, avant que le juge ne lui demande de rester dans l’affaire Benhadid. Selon l’avocat, l’article 144 «ne s’applique nullement» à son mandant, «parce qu’à aucun moment il n’a outragé l’institution militaire, mais a plutôt émis une critique dans le but de préserver le pays. Le tribunal doit le relaxer».

Me Mustapha Bouchachi qualifie cette affaire de «tragique, elle lève le voile sur une réalité amère, celle d’un pays dirigé par téléphone et non pas par la loi». Il remonte aux faits en disant que Benhadid «avait déclaré à une petite radio, faiblement écoutée, qu’il n’y avait pas de cohésion au sein du commandement de l’armée, que les débats entre les chefs de Région n’existaient pas et qu’il n’y avait pas de centre de décision.

Il connaît l’institution, puisqu’il a commandé trois Régions militaires, 3e, 5e et 4e, toutes frontalières. Comment peut-on confondre entre la critique et l’outrage ?» Me Bouchachi rappelle les circonstances du braquage de Benhadid par les gendarmes et sa détention durant plus de 9 mois, au cours desquels les quatre demandes de mise en liberté lui ont été refusées, en précisant que la dernière datait du 28 juin 2016, alors que sa libération a eu lieu le 9 juillet de la même année.

«Cela prouve que le pays fonctionne par le téléphone et non pas par la loi. Ont-ils eu peur d’un deuxième cas Tamalt ?» note Bouchachi. Lui aussi insiste sur le fait que l’article 144 ne s’applique pas au prévenu, «dans la mesure où il est assujetti à une plainte préalable qui n’existe pas dans le dossier».

L’avocat s’interroge aussi sur l’absence du journaliste qui a interrogé Benhadid, d’autant que dans toutes les affaires liées à la presse, aussi bien le journaliste que son interlocuteur sont poursuivis. «Pourquoi est-ce Benhadid qui est ciblé ? Et ne me dites surtout pas, Monsieur le procureur, Allah ghaleb.» Le juge décide de mettre en délibéré l’affaire et précise que le verdict sera prononcé le 22 mars.

Salima Tlemçani