Procès BCIA: L’autre affaire des traites avalisées

Procès BCIA: L’autre affaire des traites avalisées

par H.Saaïdia, Le Quotidien d’Oran, 11 février 2007

Au 10ème jour du procès, beaucoup parmi les présents dans le prétoire avaient l’impression d’assister à un mini-procès (Union Bank) dans un grand procès (BCIA).

Néanmoins, ces deux affaires, à première vue indépendantes l’une de l’autre, sont liées avec comme dénominateur commun des traites et des transactions fictives et la même victime, la BEA.Tribunal criminel d’Oran. Il est 9h. L’espace public est déjà plein. Les robes noires jettent un dernier coup d’oeil sur leurs copies. Les détenus sont encore dans la geôle du Palais de justice. Le greffier commence à faire l’appel des 57 témoins. Ceux-ci ont été répartis par le tribunal en 2 groupes. Certains seront auditionnés à partir d’aujourd’hui, les autres à partir de lundi. Leur rendez-vous connu, les témoins ont été priés de quitter la salle.

9h30. Le tribunal reprend l’audience. Djouabi Mohamed, le 35ème accusé auditionné depuis l’ouverture du procès, le 27 janvier, est appelé à la barre. 33 ans, commerçant de gros à Sig, Djouabi est impliqué dans une affaire de traites signées en blanc, d’un montant global de 4,19 milliards de centimes, sans garantie et sans qu’il y ait transaction. Propriétaire et gérant d’une entreprise privée, il fait ses premiers pas dans l’importation fin 2001. «C’est Haddad Yacine (accusé en fuite) qui m’a proposé l’association. C’est un commerçant connu et débrouillard, bien pénétré dans le marché de l’import et le circuit bancaire. Je l’ai mandaté pour disposer de mes 3 comptes bancaires BCIA (Oran), BNP Paribas (Alger) et ABC. Notre accord, c’était de faire des petites affaires ensemble, l’achat de produits de première nécessité tels que sucre, café et lait, et leur distribution sur le marché de gros. Je me suis engagé par mon registre de commerce et mes comptes, lui se chargeait des opérations commerciales et les démarches bancaires. Ma part était de 30% du bénéfice net», relate l’accusé. Et d’ajouter: « C’est lui (Haddad) qui m’a convaincu d’ouvrir un compte à la BCIA d’Oran, fin 2001».

Le juge: «Mais c’est vous qui avez signé en blanc des traites d’un montant de près de 5 milliards de centimes, traites qui ont été par la suite escomptées par la BEA au profit de Guetti Saâd». L’accusé: «Jamais», soulignant qu’il faisait une confiance totale à son associé Haddad. Le juge ne veut pas croire que Djouabi faisait une totale confiance à une personne qu’il connaissait à peine, au point de lui donner mandat absolu sur la manipulation de ses propres comptes. Pas plus que les avocats de la partie civile, la BEA, qui ont posé à l’accusé une série de questions. De son côté, le procureur général veut une réponse par «oui» ou par «non» à la question: «Est-ce que vous avez signé des traites pour Guetti Saâd ?». La réponse de Djouabi est «non».

Boukhatem Saïd Karim, le chef du service des devises à l’agence Yougoslavie 74 Oran de la BEA, passe à la barre (accusé non détenu). Les charges qui pèsent sur ce banquier se rapportent à deux traites avalisées par la BEA au profit d’un homme d’affaires, Oualah Abderrazak (accusé), précisément au bénéfice de l’une de ces 3 entreprises commerciales, SCTO dont l’activité converge vers l’import de l’alimentation générale et des céréales. Ces deux traites, de 103 et 105 millions de DA respectivement, ont été avalisées par l’agence Yougoslavie de la BEA sans comptabilisation de l’opération.

«Quand l’intéressé (Oualah) s’est présenté à mon service, la première chose que j’ai faite c’était de demander au directeur de l’agence, Adda Larbi, si ces traites avaient une contrepartie. Il m’a répondu que ce client avait un nantissement de bons de caisse. Quand j’ai calculé les frais et les commissions sur ces deux traites, j’ai trouvé un compte débiteur. J’ai alors tiré le frein car le forçage du compte débiteur n’est pas de mes prérogatives. Mon travail s’est arrêté là, j’ai entré dans l’ordinateur les indications relatives à ces deux traites et j’ai demandé une dérogation par écrit au directeur qui m’a donné l’avis ‘bon à exécuter’».

Le juge rappelle à l’accusé que «ce n’est pas ce que vous avez déclaré au juge d’instruction». «Vous avez dit que vous aviez refusé de signer les 2 traites mais Adda Larbi vous a obligé à le faire», lui dira le juge. Soulignant qu’il n’a pas été auditionné par le magistrat instructeur en présence de son conseil, l’accusé persiste et signe: «Je n’ai pas déclaré ça. La vérité, c’est ce que vous entendez aujourd’hui». Le juge veut savoir la suite du parcours de ces deux traites. Boukhatem Saïd: «Elles ont été envoyées vers la chambre de compensation pour leur escompte par Arab Banking Corporation (ABC). La BEA les a payées ensuite à cette banque». L’un des avocats de la partie civile interroge l’accusé par l’intermédiaire du tribunal si quelqu’un avait un quelconque intérêt à ce que l’enregistrement de ces traites ne se fasse pas. «Je ne peux accuser personne. Mais si le forçage ne se faisait pas, l’opération est systématiquement abandonnée», répond l’accusé.

Le juge ne comprend pas pourquoi l’aval des traites dont la valeur était en DA devait passer par le service des devises. Il a eu comme réponse: «C’est pas à moi que cette question doit être posée mais plutôt aux hauts responsables de la BEA qui ont mis au point le système Delta qui gère notre banque». Pour tirer au clair cette affaire, le tribunal provoque une confrontation entre le chef du service des devises de cette agence BEA et son directeur, Adda Larbi. Confrontation qui n’a pas servi à grand-chose et le tribunal n’a pas eu d’avancée sur ce point, les deux accusés ayant subtilement fui le face-à-face. Boukhatem rejoint le box, cédant la barre à Lakhdar Fouatih Tahar, le plus âgé de ses 42 coaccusés avec ses 74 ans. Ce dernier, alors petit commerçant à Relizane, dira avoir été contacté à la fin des années 90 par Fouatih et Nebia pour la mise en place d’un distributeur exclusif de leur groupe au niveau des wilayas de Relizane, Tiaret et Mascara. Ainsi, ajoute-t-il, ils ont créé une société nommée Dib-Rel (Distribution Relizane) dont il détenait, lui, une part de 5%, contre 95% pour Nebia et Fouatih. «Fouatih Belkacem m’a demandé alors d’ouvrir un compte à la BCIA Oran pour, m’a-t-il expliqué, les besoins de virement de compte à compte et le règlement des achats-ventes. Les approvisionnements en produits alimentaires et cosmétiques, notamment, parvenaient régulièrement de Fouatih et Nebia (Oran) vers Dib-Rel qui les distribuait sur l’axe Relizane-Tiaret- Mascara», déclare l’accusé, remis en liberté provisoire avant le procès.

Le juge passe aux faits incriminés, les 2 traites de 7,6 et 7,3 milliards de centimes supposées signées par Lakhdar Fouatih Tahar. Mais auparavant, le juge voulait savoir le lien de parenté entre ce dernier et Belkacem Fouatih. Ce dernier répond alors depuis le box: « Lakhdar Fouatih Tahar est un cousin à moi et en même temps mon beau-père». Concernant les deux traites en question, Lakhdar Fouatih Tahar nie les avoir signées et cachetées. «Je n’ai jamais vu une traite de mes propres yeux», soutient-il. «Alors comment expliquez-vous qu’il y a votre signature et votre cachet sur ces traites établies à l’ordre de Reffas ?». L’accusé s’étonne. Le représentant du ministère public: «Si vous êtes convaincu que ce n’est pas vous le signataire, pourquoi vous n’avez pas déposé plainte pour imitation de signature». L’accusé n’a pas de réponse. Et dans la foulée, Fouatih Belkacem se lève et reconnaît: «C’est moi qui ai signé ces 2 traites monsieur le président». Le débat est clos autour de ce sujet.

La séance d’après-midi a commencé avec l’audition de Sahel Mohamed. 52 ans, propriétaire de deux entreprises commerciales, Société Sahel et fils et Société Achref, basées à Alger, Sahel Mohamed, remis en liberté sous contrôle judiciaire jusqu’au procès, fait dans l’import. Le sucre constitue 50% de son chiffre d’affaires. «Début 2003, déclare-t-il, le DG de Union Bank, Baây Ali, m’a contacté par téléphone alors que j’étais en France pour me proposer une affaire avec un de ses clients, un certain Selmane Abderrahme (accusé), concernant une commande de produits alimentaires que je devais fournir à ce commerçant de gros. Quand je suis rentré au pays, Ali Baây m’a remis 24 chèques certifiés par la BEA qui devaient représenter la contrepartie de la marchandise…». Le PG intervient pour demander au tribunal qu’on fasse sortir Fouatih Belkacem, qui à ce moment ne se sentait pas bien, pour être examiné par le médecin de l’audience. L’accusé Sahel Mohamed est prié de poursuivre.

«J’ai conservé 4 chèques d’un montant de 3,9 milliards de centimes, la valeur d’une partie de la marchandise (1.500 tonnes de sucre et un conteneur de lait en poudre) et j’ai déposé 16 autres dans mon compte Union Bank, 4 dans mon compte Natexis et un autre dans mon compte Rayan Bank. Mais, à ma grande surprise, début juin 2003, la police me convoque pour des chèques falsifiés, me disant que la BEA a rejeté ces chèques», déclare l’accusé, qui affirme ne pas connaître le client Selmane Abderrahmane et qu’il avait négocié l’affaire du début à la fin par le seul intermédiaire, le DG de Union Bank, Baây Ali (accusé en fuite). Mais le juge évoque une autre charge retenue contre Sahel Mohamed, sa signature et son cachet humide sur des traites avalisées par Union Bank, agence Hydra (Alger), et escomptées par l’agence BEA de Sig. L’accusé nie avoir signé ces traites, affirmant avoir requis une expertise scientifique mais qu’elle ne lui pas été accordée. PG et partie civile se sont montrés sceptiques dans leurs questions quant à l’entremise d’un DG d’une banque entre deux commerçants dans une transaction et sa remise en main propre à l’un d’eux des chèques de l’autre. L’accusé nie en bloc les faits qui lui sont reprochés et clame son innocence.

Belarbi Yahia comparaît à la barre. Il est reproché à ce commerçant de Chteïbo (Oran) d’avoir signé en blanc 6 traites au profit de Reffas en contrepartie de sommes d’argent, sans qu’il y ait transaction. Bouzina Moulay lui succède à la barre. Presque les mêmes charges pèsent sur ce commerçant de Tlemcen, avec 3 traites d’un montant global de près de 24 milliards de centimes pour l’achat fictif de produits cosmétiques et alimentaires au groupe Fouatih. Interrogés par le juge, 2 accusés ont identifié Bouzina comme étant le commerçant qui les a contactés sous un prête-nom, Djaoued. Ce qu’a nié le mis en cause. Chrif Hadria Chrif, 54 ans, est appelé à la barre. Remarquant qu’il peinait à se tenir debout, le juge demande à ce qu’on lui ramène une chaise.

Ce propriétaire d’une station-service à Sig est poursuivi pour avoir bénéficié de 3 traites d’un montant de 1,5 milliard de centimes de la part de la BCIA comme crédit pour l’équipement de sa station-service. L’intéressé a affirmé avoir bénéficié de ces traites en bonne et due forme. L’audience a été levée aux environs de 18h. Elle reprendra aujourd’hui avec le début d’audition des témoins.