Procès BCIA: Des peines allant jusqu’à 10 ans de prison requises

PROCES BCIA

Des peines allant jusqu’à 10 ans de prison requises

par H. Saaïdia, Le Quotidien d’Oran, 21 février 2007

Des peines entre un an de prison ferme et 10 ans de réclusion criminelle ont été requises hier dans l’affaire BCIA.

Le représentant du ministère public a requis la peine maximale contre 8 parmi les 43 accusés jugés contradictoirement.

La peine de 10 de prison a été requise par le procureur général contre l’ex-directeur de l’agence Yougoslavie 74 Oran de la BEA, Adda Larbi, 3 ex-responsables de l’agence Sig de cette même banque publique, Lotfi Mohamed, Benyattou Nacer et Bentayeb Mohamed, ainsi que 4 opérateurs commerciaux, Fouatih Ahmed Belkacem (actionnaire majoritaire du Groupe Fouatih et Nebia, un consortium de 9 sociétés), Addou Samir (patron de Sotrapla), Selmane Abderrahmane (propriétaire d’une entreprise d’import-export, Kordoba) et Ouala Rezzek (propriétaire de 3 entreprises d’import-export). L’avocat général a par ailleurs requis 8 ans de prison ferme contre Reffas Lahcen et Guetti Saâd, deux commerçants, et 7 ans de prison ferme contre le directeur général de la BCIA, Bengadi Ahmed, et 2 autres commerçants, Amara Abdelkader et Jouabi Mohamed. 24 autres accusés, tous des commerçants, ont vu une peine de 6 ans de prison ferme requise contre eux par le représentant du parquet, qui a d’autre part requis 5 ans de prison ferme contre 2 autres accusés, 4 ans de prison ferme contre un accusé, 2 ans de prison ferme contre 2 accusés et un an de prison ferme contre le 43ème accusé. Ce dernier, nommé Derrar Mohamed Djamel, un agent maritime mandaté par Addou Samir pour les procédures inhérentes au déchargement d’un navire de sucre, est le seul accusé pour abus de confiance, contrairement aux autres qui sont tous accusés de dilapidation de deniers publics et complicité.

Toutes les peines de prison requises par le procureur général sont assorties d’une amende de 1 millions de dinars, sauf pour Derrar Djamel dont la peine est assortie de 20.000 dinars.

Une procédure de jugement par contumace sera engagée au terme du procès contre 8 accusés en fuite, dont le P-DG de Union Bank, Beây Ali.

Avant de prononcer ses réquisitions, l’avocat général, Gnaoui Omar, a poursuivi hier au 18ème jour du procès, qui se tient au tribunal criminel d’Oran depuis le 27 janvier, son réquisitoire qu’il avait entamé mardi. Après un «flash-back» sur la genèse des faits qui a coïncidé, selon le procureur général, avec, d’une part, «l’agonie financière» de la banque privée BCIA et, de l’autre, le déclin de l’activité commerciale de Addou Samir et Fouatih Ahmed Belkacem et la mauvaise posture financière par laquelle ces deux opérateurs passaient, le PG s’est attardé sur les faits reprochés à chacun des 43 accusés. Dans son préambule, le PG a tenu à faire la projection sur le climat qui prévalait dans le milieu BCIA, pour démontrer plus tard que la croisée des chemins des Kharoubi, les patrons de cette banque, avec Addou Samir, Fouatih Ahmed Belkacem et Adda Larbi et un peu plus tard avec Selmane, Guitti et les autres, n’est pas le fait du hasard. Dans cette optique, il rappellera «l’antécédent» du P-DG de la BCIA, Kharoubi Ahmed, qui, 2 mois après avoir reçu l’agrément de la Banque en 1998, a commis une grave infraction, la délivrance de bons de caisse sans garantie suffisante à un client, qui ont permis à ce dernier d’encaisser 5 milliards de centimes au CPA pour accomplir une transaction. Mais Kharoubi Ahmed a rejeté la décision d’honorer le crédit consenti par le CPA en contrepartie des bons de caisse garantis par sa banque, et ce au motif de dépassement de délais, le même motif que les Kharoubi utiliseront en avril 2003 pour se dérober au paiement des 41 traites avalisées, fait remarquer le PG.

L’infraction relative aux bons de caisse sera l’un des principaux griefs retenus par la Commission bancaire contre Kharoubi Ahmed, qui a été déchu de la présidence du conseil d’administration de la BCIA pour une durée d’un an. Qualifiant l’affaire BCIA comme «le plus grand scandale du système bancaire de l’Algérie, une escroquerie à grande échelle qui a sali l’image de notre pays», le PG a voulu ôter l’habillage, le déguisement «commercial» et mettre à nu le vol, l’extorsion des fonds de la BEA. Incombant une grande part de responsabilité à Adda Larbi qui est, selon lui, l’élément central du mécanisme, le représentant du ministère public dira: «Il n’y a pas que deux commerçants en Oranie, Addou Samir et Fouatih Ahmed. Tant de commerçants, d’honnêtes investisseurs ont frappé à la porte de cette banque (l’agence Yougoslavie de la BEA, qui était classée n°2 à l’échelle nationale) pour bénéficier de crédits, mais se sont vu signifier un rejet du dossier par Adda qui n’avait d’yeux que pour ses deux clients chouchous, Addou et Fouatih». Revenant sur les virements de compte à compte qui se faisaient entre Addou Samir et Ouala, le PG dira que «ces opérations, qui étaient exécutées par Adda Larbi hors des horaires, avaient pour but de décompresser le compte de Addou en transférant une partie du solde dans celui Ouala, et ce pour ne pas mettre la puce à l’oreille des inspecteurs, car ceux-ci se seraient inquiétés en constatant que le compte du premier avait atteint la cote alerte».

Selon le représentant du parquet, «un autre point relevé par la Commission bancaire contre Adda Larbi, les chèques certifiés sans provision, qui ont été envoyés à la BCIA pour doper son compte à la compensation de la Banque d’Algérie. Certains de ces chèques sans provision sont retournés 126 fois, à savoir les 35 au nom de FNF Fouatih pour un montant de 4 milliards de dinars. Et les avances sur bons de caisse au profit de Ouala, Bouneb et Sahraoui, d’un montant de 1,8 milliard de dinars». Le PG est convaincu que «la rétractation au procès de la plupart des accusés par rapport à leurs dépositions devant le juge d’instruction ne peut être que le fait d’une entente en prison. Ces accusés ont fait des déclarations librement et en présence de leurs conseils devant le magistrat instructeur. Et aujourd’hui, ils s’ignorent devant le tribunal. Bien que je n’aime pas lire les dépositions à l’audience, la mise en scène des accusés, leur scénario m’obligent à le faire aujourd’hui». Et le PG de lire les dépositions de plusieurs accusés, qui contiennent plusieurs contradictions avec leurs déclarations à la barre. Le regard pointu vers Fouatih Ahmed au box, le PG lâchera: «Nous saluons le courage de Fouatih Ahmed qui a reconnu devant le tribunal avoir signé à la place de son beau-père, Lakhdar Fouatih Tahar. Nous comprenons que ça pesait sur sa conscience, qu’il était lanciné par le regret. Mais nous aurions aimé que Fouatih Ahmed libère sa conscience en avouant les autres faits qu’il a commis, par exemple sa signature des bons de caisse de 240 millions de dinars».

Après avoir délimité la responsabilité de chacun des 43 accusés dans ces «actes criminels», le PG passe à un point sensible du dossier, l’expertise. Soutenant que l’expertise de Djaâfri Mokhtar est objective, désintéressée, solide et complète, il réplique à l’avocat qui l’a sévèrement critiquée, Me Zehdour. «Djaâfri Mokhtar est un expert agréé et assermenté. L’avocat bien aguerri (qui l’a mis en doute) le sait mieux que moi. Pourquoi il a posé sa question: Avez-vous prêté serment devant le juge d’instruction ? . Cette question ne devait pas être posée par un avocat bien exercé. Le premier expert, Bentaouès, a demandé au juge d’instruction de le décharger de la mission pour des raisons qui lui sont propres. Celui-ci sera chargé après par le magistrat instructeur d’une mission bien définie qui concernait Djaâfri Bouhdjer (inspecteur régional et ancien directeur régional de la BEA».

Plus tard, l’un des avocats de la défense fera de ce point, l’expertise, son cheval de bataille lors de sa plaidoirie. Il évoquera notamment « une lettre adressée par l’expert Bentaouès au juge d’instruction se plaignant contre le fait que Djaâfri Mokhtar l’avait mis à l’écart et qu’il travaillait tout seul désormais », invoquant le lien de parenté entre l’expert Djaâfri Mokhtar et le responsable de la BEA, Djaâfri Bouhdjer.

Dans sa plaidoirie, Me Mokrane Aït Larbi s’insurge d’emblée contre « l’inobservation du principe sacré, la présomption d’innocence, tout au long du procès. Si on n’observe pas ce principe, tout le monde sera accusé ». Il s’est dit avoir été étonné d’entendre « le ministre de la Justice déclarer que nous avons enrôlé l’affaire pour telle date . J’aurais aimé entendre ça du parquet général par exemple. N’était-il pas plus judicieux de consulter les avocats constitués dans l’affaire ? Dans l’arrêt de la chambre d’accusation, nous lisons une série d’attendus: Attendu que Maître…, l’avocat de… et en conclusion, la chambre d’accusation décide… , sans lire le contenu des mémoires (conclusions) des avocats. Des mémoires pour des mémoires ! ». Et d’ajouter: « Comment voulez-vous que le jury puisse bâtir son intime conviction alors qu’il est catapulté de chiffres, de milliards de dinars, de traites, de malversations… Difficile de ne pas être influencé. Un citoyen, un simple citoyen, m’a rencontré non loin du palais de justice et m’a dit: Maître, vous être dans l’affaire BEA ? . Je lui ai répondu: Non, c’est l’affaire BCIA . Il m’a répliqué en disant que depuis 2003, on entend affaire BCIA , mais on apprend aujourd’hui qu’il n’y a aucun responsable de la BCIA au procès», plaide Me Mokrane, le défenseur de Adda Larbi et de Selmane Abderrahmane, qui a reproché au PG d’avoir « passé le plus clair de son réquisitoire à lire des dépositions alors que l’instruction, la vraie, c’est celle qui se fait à l’audience ». Il lui a reproché aussi, sans le citer nommément, d’avoir versé dans un discours politique lorsqu’il a dit au tribunal: « Quand vous allez vous retirer pour délibérer, vous aller délibérer au nom du peuple algérien, au nom des citoyens honnêtes, au nom des travailleurs qui gagnent le pain par leur sueur, au nom des veuves… ». Il fera les mêmes reproches aux avocats de la partie civile qui, selon lui, « ont tenté de politiser l’affaire outre mesure ». « Ceux qui veulent exprimer un message politique ou social, ils sont libres. Mais pas à partir de cette tribune. Ici, c’est la loi, le code pénal qui est seul maître », plaidera le même avocat, qui à l’instar de Me Brahimi et autres avocats de la défense, a critiqué l’expertise.

Le procès se poursuivra aujourd’hui avec les plaidoirie des autres avocats de la défense.