Les avocats déterminés à étendre leur protestation

Considérant le droit de la défense en danger

Les avocats déterminés à étendre leur protestation

El Watan, 28 novembre 2012

Considérant que le droit de la défense est en danger et que leur profession sera vidée de sa substance si le ministère de la Justice mettait en œuvre son projet de loi sur le statut de l’avocat, les robes noires se disent déterminées à aller jusqu’au bout de leurs actions de protestation.

Les avocats prévoient d’entamer une grève allant du 2 au 7 décembre, boycottant ainsi l’ouverture de l’année judiciaire. Et si le ministère de tutelle ne daigne pas prêter une oreille attentive à leurs doléances, ils prévoient d’enclencher une grève illimitée à partir du 25 janvier prochain.
Le secrétaire général du barreau de Boumerdès, maître Affif, considère que ce qui se passe actuellement dans le secteur de la justice est «historique». Le fait est, d’après lui, que les avocats se battent pour empêcher le ministère de la Justice de mettre en application un projet de loi «rétrograde», visant à museler la liberté de l’avocat. «L’avocat porte la robe noire parce qu’elle le protège, dit-il. Avec cette loi, ils plantent un poignard dans son dos.» Si ladite loi est mise en œuvre, le magistrat pourra arrêter – à sa guise, d’après Me Affif –, l’avocat s’il juge ses propos outrageants. Le texte ne précise pas les cas susceptibles d’être sanctionnés.

«Dès que nous en avons parlé, nous l’avons rejeté catégoriquement», souligne-t-il, précisant que lors d’une assemblée générale tenue à Béjaïa, une commission représentative des différents bureaux a vu le jour pour décider du sort de ce projet de loi. Les avocats ont opté pour un amendement de ce texte afin, indique Me Affif, de l’expurger de tous les articles attentatoires au droit de la défense. Les avocats des différents barreaux d’Algérie ont ainsi mis en œuvre un texte de loi, s’inspirant notamment de lois faites par les pays voisins. Mais les propositions émises par les avocats n’ont pas eu la réaction escomptée. Et au représentant du barreau de Boumerdès d’établir une mise au point : «L’avocat et le magistrat ne sont pas en guerre. Ils représentent un couple mais c’est là que le bât blessera si vous donnez plus d’indépendance au magistrat en restreignant les libertés de l’avocat. La défense, par essence, est une mission libre. Si on restreint cette liberté, il faudra trouver une autre appellation à la profession d’avocat, car cela ne voudra plus rien dire.» Et d’ajouter : «Cela ne s’est fait nulle part au monde, sauf dans les dictatures. Ce qui n’est pas le cas de notre pays. L’Algérie est une République. Si l’on met en application un tel texte de loi, c’est le peuple qui en subira les conséquences.»

L’un des représentants du barreau de Annaba, Me Lezzar, y voit un «conflit récurrent». «La profession d’avocat fait face à des défis qui menacent son essence même, il est déplorable que ce soit là l’unique préoccupation du ministère», commente-t-il. Me Lezzar plaide pour une lutte continue des avocats pour faire avorter les «tentatives autoritaires» contenues dans cette loi. «La lutte est une bataille permanente, dit-il, il ne suffit pas d’organiser des actions de protestation par à-coups, mais une manifestation soutenue des avocats.» D’autres avocats, à l’instar de maître Khaled Bourayou, considèrent qu’il faut situer ce projet de loi en deuxième position des préoccupations de la corporation. «Nous assistons à une régression de la justice depuis près de 10 ans. La justice n’est plus une valeur sociale, mais une industrie de statistiques.

La chancellerie a une tutelle tentaculaire sur l’appareil judiciaire et le ministère public est omnipotent», soutient-il, en décrivant des scènes obscènes qui ont lieu dans les cours de justice. Pour lui, le nombre d’affaires qui sont jugées en cour d’appel confirme le marasme de la justice. Quant à ce projet de loi qui devra régir la profession d’ici 50 ans, il juge essentiel de «situer le droit de la défense dans le droit international». «Dans d’autres pays, il est étendu à la garde à vue. Il y a aussi une représentation devant le tribunal criminel, car il faut un avocat pour tenir tête à un juge chevronné», justifie-t-il. Faisant référence au refus du syndicat des avocats de s’asseoir autour de la table de négociations avec les représentants du ministère de la Justice, Me Bourayou soutient son adhésion au boycott de l’ouverture judiciaire, mais considère que le dialogue est une vertu.
Amel Blidi