FERHAT ABBAS, Premier Président du GPRA

Cinquantième anniversaire de la création du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA)

Conférence débat animée
par Abdelhamid MEHRI et Daho DJERBAL
19 septembre 2008 – Alger

Témoignage d’Abdelhamid Mehri, ancien ministre du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne

FERHAT ABBAS, Premier Président du GPRA

Ferhat Abbas représentait pour moi et pour des générations de militants PPA le porte-parole d’une école politique que nous avons combattu. Ferhat Abbas prônait, avant la deuxième guerre mondiale, l’assimilation comme moyen pour les algériens, soumis aux obligations de leur statut de français, d’en acquérir les droits.

A la fin de la guerre, les positions de Ferhat Abbas ont évolué vers des positions plus proches de la revendication de l’indépendance. Les dialogues menés avec lui par le Dr Lamine Debbaghine et le Dr Chawki Mostefai, dirigeants du PPA, y avaient grandement contribué. Et ce fut le Manifeste du peuple algérien, puis les Amis du Manifeste et de la Liberté (AML). Immense mouvement d’union populaire qui a marqué la lutte politique du peuple algérien contre le régime colonial.

La tragédie du 8 mai 1945 et la dissolution des AML ont provoqué la dislocation de cette union, emmené Ferhat Abbas à créer l’Union Démocratique du Manifeste Algérien (UDMA) et s’inscrire dans la vision du Général De Gaulle qui voulait transformer l’empire colonial français en union « librement consentie »: l’Union Française. Les députés UDMA proposaient, en conséquence, à l’Assemblée Nationale Française le projet d’une République Algérienne fédérée à cette Union.
Ce projet a été également combattu par notre génération et rejeté, en même temps, par le Gouvernement français.

Aujourd’hui, avec le recul, je demeure convaincu que le combat contre la politique prônée par Ferhat Abbas, pour la solution du problème algérien, devait être mené. Et il est heureux qu’il l’ait été.
Le Premier Novembre a éloigné ce passé avec ses clivages politiques. Mais c’est l’homme de ce passé qui est accueilli, au sein du FLN, par les hommes qui l’avaient combattu. Tous les dirigeants de première ligne de la révolution étaient, en effet, issus du PPA, son principal adversaire politique. L’événement n’était pas anodin et les contacts au début étaient un peu laborieux et prudents. Les retenues et les réserves étaient, peut-être, de la même nature des deux cotés. L’adhésion de Ferhat Abbas au FLN ne pouvait effacer d’un trait les traces d’un passé chargé de divergences politiques et idéologiques, mais aussi de préjugés et de séquelles de polémiques pas toujours heureuses.

Mais l’adhésion de Ferhat Abbas était sincère, honnête et réfléchie. Il a su s’adapter à un milieu politique très différent de son itinéraire et de son expérience politique. Il a fait des efforts méritoires pour s’intégrer à ce nouvel environnement, l’accompagner, le comprendre. Il a même aidé à maintenir et à consolider sa propre cohésion. Son apport au combat de la libération était considérable et son rôle au sein des organismes dirigeants de la Révolution (CCE et GPRA) très important.

Les contacts avec Ferhat Abbas ont commencé après l’installation de Abbane Ramdhane à Alger.

Ce dernier me disait, en mai 1955, que ses contacts avec le leader de l’UDMA étaient encourageants et qu’il a été agréablement surpris par les dispositions de l’homme. Ces contacts entrepris par Abbane auprès des acteurs politiques, on l’a appris par la suite, préparaient le terrain à la tenue du Congrès de la Soummam qui a scellé l’union de toutes les familles du nationalisme algérien. Lors de ces assises, Ferhat Abbas et d’autres personnalités politiques d’horizons fort éloignés du PPA, ont fait leur entrée au Conseil National de la Révolution Algérienne (CNRA). Les décisions politiques et organisationnelles de la Soummam ont eu de grandes répercussions à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Mais cette ouverture politique provoqua des remous dans les sphères dirigeantes de la Révolution, notamment chez certains « historiques ».

Ces remous se transformèrent en crise aiguë, après la sortie du CCE et lors la première session du CNRA, réunie au Caire en août 1957.

Dans une première phase de cette crise, la contestation remettait en cause, simplement, tous les organismes dirigeants mis en place par le Congrès de la Soummam et son orientation générale. Mais un compromis, sauvant l’essentiel des décisions du Congrès, a pu être dégagé au prix d’efforts considérables de dialogue et de contact. Ferhat Abbas a pris une part importante à cet effort de conciliation.

Au point que les contestataires, qu’on appelait les militaires, ont surpris lorsque il s’est agit de la formation du Comité de Coordination et d’exécution (CCE). Car, au moment ou ces contestataires reprochaient à Dahleb et à Benkhedda leur tiédeur à l’égard du projet insurrectionnel et insistaient pour leur élimination du CCE, ils tenaient à ce que Ferhat Abbas y figure malgré les réserves de certains, dont je faisais partie, mais pour des raisons différentes.

Cela explique, en grande partie, que lors de la formation du GPRA, le nom de Ferhat Abbas était celui qui réalisait le consensus le plus large pour le présider.

Le CCE, puis le GPRA, présidé par Ferhat Abbas, connurent des phases difficiles et des crises internes. L’attitude de Ferhat Abbas, en ces moments là, a été toujours marquée par une volonté tenace de les résoudre, ou les atténuer, par le dialogue et la concertation.

Arrive la grande crise de l’été 1962. N’étant pas convaincu des motifs invoqués par les deux camps, j’ai vainement essayé de persuader Ferhat Abbas de rester en dehors de la mêlée pour continuer de jouer le même rôle. Je n’ai pas réussi à le convaincre. Il a choisis de prendre position avec le Bureau politique.

Il me confia ultérieurement, et il l’a répété à d’autres amis, qu’il a profondément regretté cette prise de position.

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Il m’est arrivé, quelques fois, d’accompagner le Président Ferhat Abbas lors de rencontres de chefs d’État. La trame de fond de toutes ces rencontres était évidemment la question algérienne. Mais certains gestes et paroles de l’Homme, sont restés en mémoire.

J’évoquerais trois moments significatifs à certains égards:

1. Rencontre avec le Président Jamal Abdennasser.

Si mes souvenirs sont exacts, c’était la première rencontre entre les deux hommes. Et il n’a pas était facile de l’organiser. Car l’image de Ferhat Abbas dans les fiches des services de renseignements égyptiens était, peut être, à l’origine de certaines réserves. Mais finalement la rencontre s’est déroulée dans une atmosphère sereine, emprunte de respect et de franchise, même si elle manquait de chaleur. En quittant les lieux où nous avons été reçus, Ferhat Abbas résumait ses impressions dans cette phrase: « C’est un grand homme, dommage qu’il traîne une bureaucratie millénaire!! »

2. Rencontre avec le Président Habib Bourguiba à un moment de brouille avec Jamal Abdenasser.

Entre les deux hommes, tout le monde le savait, le courant ne passait pas. Leurs désaccords tournaient parfois à la crise ouverte. Au début de la conversation, Bourguiba commençait à évoquer cette brouille. Alors que personne ne s’y attendait, Ferhat Abbas l’interrompit brusquement: « Mon cher ami cesse de te chamailler avec Abdennasser… (Les deux hommes se tutoyaient)…nous sommes en train de faire face à une guerre atroce et sachez bien que nous avons besoin de vous tous! ». Je m’attendis à une réplique coléreuse habituelle de la part de Habib Bourguiba. Ce fut un silence pesant qui me paraissait long. Puis Bourguiba esquissait un large sourire et change de sujet. Le message du président Abbas était bien reçu. Les conversations revinrent vers l’objet initial de notre rencontre.

3. Rencontre avec sa Majesté Mohamed V (août 1958 moins de deux mois avant la formation du GPRA).

Dépêchés en mission urgente auprès de Sa Mohamed V, Ferhat Abbas et moi nous fument reçus au Palais Royal dés notre arrivée à Rabat. Une grande tension régnait alors aux frontières algéro-marocaines dans la région de Béchar. Des heurts graves et regrettables avaient eu lieu entre des éléments des deux pays. La circulation dans la région était sévérement réglementée et un blocus établi autour de certains points de présence de l’ALN. Sa Majesté Mohamed V nous a reçus, comme il a toujours fait avec les responsables du FLN, avec simplicité et gentillesse. Informé de l’objet de notre mission, il entra directement dans le vif du sujet. « Vous savez que moi et le Maroc tout entier sommes aux côtés de la révolution algérienne. Je peux vous assurer que cela ne changera pas. Mais, en tant que chef d’État, j’ai des obligations envers mon Pays et son unité territoriale. Il y a un problème de frontières entre nos deux pays et j’aimerais que l’on en discute dès maintenant. Je désigne le Prince Moulay El Hassen pour présider la délégation marocaine »

L’audience était brève mais édifiante. Ce que l’on croyait être des incidents locaux limités, était en fait lié un problème sérieux posé officiellement, et solennellement.

Ferhat Abbas était d’autant plus désolé qu’il devait quitter le Maroc pour un rendez-vous important. Il me demanda donc de rester à Rabat, de former une délégation sur place et de mener les négociations avec les responsables marocains. Ce que je me suis efforcé de faire.

En guise de consignes, Ferhat Abbas me dit ceci: « Ecoute mon cher Mehri, formellement, nos frères marocains ont peut-être raison d’évoquer la question des frontières. Cependant, ils choisissent très mal la façon et le moment de le faire. Nous ne pouvons pas les suivre sur cette voie. Tâche de les persuader que l’intérêt des deux pays commande le renvoi du règlement de cette question après l’indépendance de l’Algérie ».

Après l’indépendance je rendais, souvent, visite au Président du GPRA. L’une des dernières visites que je lui ai rendues chez lui, se situait juste après la défaite des armées arabes en Juin 1967. Après un bref échange amical, je le provoquais un peu : « Alors, Monsieur le Président, nous avons reçu encore une tannée!? » Ferhat Abbas, calme, me fixa un moment, puis, sans aucun signe de plaisanterie dans sa voix, me répondit:

– Mais, mon cher Mehri, nous allons vaincre
– !?!!! Comment cela Monsieur le Président ?
– Oui, nous vaincrons à force d’être vaincus!

Rahima Allah Ferhat Abbas.

Alger le 19 Septembre 2008
Abdelhamid Mehri