La crise de l’été 1962 : le coup de force de la coalition Ben Bella-Boumediene

La crise de l’été 1962 : le coup de force de la coalition Ben Bella-Boumediene

Ait Benali Boubekeur, 09 juillet 2011

« Nous connaissons tous la légende de Salomon devant rendre justice entre deux femmes revendiquant la maternité d’un même bébé. Ne parvenant pas à identifier la vraie mère, il leur proposa de couper en deux l’« objet » du litige. Joignant le geste à la parole, il allait trancher l’enfant lorsque l’une des femmes avoua ne pas être la mère. Le roi lui remit alors le bébé, et condamna à mort celle qui était prête à voir mourir l’enfant dont elle prétendait être la mère », Lounis Aggoun, « La colonie française en Algérie », page 210.

Cette histoire, à quelques siècles d’intervalle, s’est répétée. Cette fois-ci, le litige n’est pas le bébé proprement dit. A l’été 1962, en Algérie, deux entités de la Révolution algérienne revendiquèrent le pouvoir. Ainsi, par analogie, le bébé, dans le cas nous intéressant, est l’Algérie. En fait, il y eut, d’un côté, l’instance légitime, le GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) ; et de l’autre côté, il y eut l’EMG (Etat-major Général), dont Ben Bella était la tête d’affiche, voulant prendre le pouvoir par la force. La coalition Ben Bella-Boumediene finit par l’emporter par les armes. Hélas, l’histoire, citée précédemment, eut la conclusion inverse. En effet, la véritable mère dut laisser le pouvoir de peur de voir son bébé (l’Algérie) succomber à la violence.

Cependant, si le bon sens avait prévalu, les acteurs de la Révolution auraient attendu la tenue des élections libres permettant ainsi au peuple de prendre part au processus de l’édification nationale. Mais, à l’approche de l’indépendance, l’homme fort du moment, Houari Boumediene, décida de s’appuyer sur la popularité d’un homme, Ben Bella, médiatiquement monté par les Français, pour s’emparer du pouvoir. Car la tenue d’un congrès le mois de mai 1962 à Tripoli, en dépit de l’opposition du GPRA, visait ni plus ni moins à priver le peuple algérien de sa victoire. En effet, au lendemain des accords du cessez-le-feu, le GPRA ne fut pas emballé à l’idée de convoquer le CNRA (Conseil National de la Révolution Algérienne). En effet, selon ces accords d’Evian, les élections devaient se tenir dans un délai de trois semaines à compter de l’indépendance, écrit Gilbert Meynier, « Histoire intérieure du FLN », page 644. Toutefois, dès lors que le peuple fut exclu, il allait de soi que l’élimination des véritables chefs de la révolution était prévisible. Ali Haroun, acteur au moment de la crise, écrit à propos de la mise à l’écart de certains chefs : « Aussi me paraissait-il nécessaire d’adjoindre, aux cinq (Ait Ahmed, Ben Bella, Bitat, Boudiaf et Khider), Krim, Boussouf et Ben Tobbal qui, malgré toutes les critiques encourues (la mort de Abane Ramdane, leur neutralisation réciproque et son impact négatif) avaient, au travers de dangereuses tempêtes essuyées, mené le bateau « Algérie » à bon port » (L’été de la discorde, page25).

Cependant, la grande perdante, dans cette affaire, était l’Algérie. En effet, à la veille de l’indépendance, les Algériens découvrirent, éberlués qu’ils étaient, les divisions minant la direction de la révolution. A quelques jours du référendum sur l’autodétermination, la crise fut un secret de polichinelle. Bien que le GPRA ait essayé d’adopter une attitude digne, la compagne de déstabilisation contre le gouvernement par le groupe de Ben Bella, dont il fut vice-président, fut portée à la connaissance de la base. Elle atteignit son paroxysme au lendemain de la destitution de l’EMG, dirigé par Houari Boumediene, le 30 juin 1962. Toutefois, cette mesure était l’ultime tentative du gouvernement de sauver l’Algérie d’une dictature se profilant. Car les manœuvres de l’EMG ne datèrent pas de cet été de la discorde. Et depuis la signature des accords de paix, les grenouillages allaient crescendo. Ils se poursuivirent jusqu’à l’émiettement de toutes les forces légitimes de l’Algérie. Pour comprendre ces manigances, il faudrait revenir sur les étapes ayant permis à la coalition Ben Bella-Boumediene de prendre le pouvoir en 1962.

1) La genèse du conflit.

A l’approche de l’indépendance, le colonel Boumediene attendait l’occasion idoine pour remettre en cause le pouvoir légal, celui du GPRA. Remettant sans cesse son pouvoir en cause, Ben Khedda sortit de ses gonds en qualifiant le groupe de la coalition d’hors la loi : « Certains officiers qui ont vécu à l’extérieur n’ont pas connu la guerre révolutionnaire comme leurs frères du maquis, guerre basée essentiellement sur le peuple et dont l’ALN n’a été que le fer de lance. Le peuple a été l’artisan principal de l’indépendance. Ces officiers, qui sont restés aux frontières tunisienne et marocaine ont souvent tendance à ne compter que sur la force des armes. Cette conception dangereuse conduit à sous-estimer le rôle du peuple, voire à le mépriser et créer le danger de voir naître une féodalité ou une caste militariste… » (Id, page 168). Ainsi, comme le décrivit le dernier président du GPRA, le chef de l’EMG n’eut cure des souffrances du peuple algérien. Pour peu qu’il parvienne à ses fins, le reste fut relégué au second plan.

Cependant, la tension entre l’EMG et le GPRA avait été à son comble bien avant le CNRA du 9 au 27 août 1961. Les membres de l’EMG, pour contester certaines mesures prises par le gouvernement présidé, à ce moment-là, par Ferhat Abbas, avaient démissionné de leur fonction. Et l’arrivée de Ben Khedda à la tête du GPRA n’atténua nullement la tension. Selon Gilbert Meynier : « Ben Khedda se rendit au PC de Ghardimaou pour présenter ces directives. Hormis les officiers de la direction intérimaire en place depuis la démission démonstrative du 15 juillet, il ne put rencontrer personne tant le boycott du président par l’armée des frontières fut général. De toute façon lui fut signifié le refus de toute modification. L’ordre ne fut finalement pas exécuté devant la vague de violentes protestations de plusieurs officiers », (Histoire intérieure du FLN, page 375). Face à cette désobéissance, le gouvernement reçut une estocade. Sa solidité se dégringolait à mesure que l’EMG le défiait sur la politique à mener. Bien qu’il ait existé un espoir, incarné notamment par les cinq prestigieux ministres emprisonnés au château du Turquant, la propension de Ben Bella, un des cinq, à accéder au pouvoir changea entièrement la donne. En effet, dans la perspective de conquérir le pouvoir, Ben Bella se rapprocha de l’EMG. Vice-président du GPRA, Ben Bella misa sur la puissance de feu de l’armée des frontières. Dans ce sillage, il convainquit les déçus de la politique du GPRA. La coalition réussit ainsi à drainer des personnes de renom, tels que Ferhat Abbas, évincé du GPRA en 1961, Amar Ouamrane, Yacef Sadi), etc. Il exigea ensuite la réunion du CNRA avant la tenue du référendum de l’auto-détermination, prévu le 1er juillet 1962. En dépit de l’opposition de la majorité des ministres du GPRA de convoquer le CNRA (Réunion de Rabat le 23 mars 1962), la coalition Ben Bella-Boumediene réussit à imposer la tenue du congrès en vue de créer un organisme, le BP (Bureau Politique) en l’occurrence, en remplacement du GPRA. Selon Ali Haroun : « Rechercher les raisons qui poussaient les promoteurs (Ben Bella et Boumediene) à tenir sans délai cette réunion, c’est d’abord examiné de près les pouvoirs que le Bureau Politique entendait se faire octroyer dans l’immédiat par le CNRA…Le Bureau Politique aura le soin d’installer le parti, de préparer le référendum et d’organiser les élections à l’Assemblée Nationale Constituante. » (L’été de la discorde, page 12) Cependant, en un laps de temps, les idéologues du FLN se penchèrent sur la rédaction d’une plateforme politique. Celle-ci fut rédigée à Hammamet, en Tunisie. Elle reconnut l’engagement algérien pour la reconquête de sa liberté. Liberté qu’il perdit aussitôt. En tout cas, à Tripoli, le débat sur le texte ne suscita pas de grands remous. « Mais le heurt ne surgira pas de la critique idéologique du FLN. C’est bientôt que les hommes s’affronteront », écrit Ali Haroun. La coalition Ben Bella-Boumediene, à cette occasion, ne critiqua pas le texte ni l’idéologie. Eux, ils voulurent régner en maîtres sur l’Algérie. Eurent-ils besoin d’un mandat pour ça ? En tout cas, les lois de la révolution ne les ont jamais autorisés.

2) La session de Tripoli du 27 mai au 5 juin.

La séance fut ouverte le 28 mai dans la matinée. Elle fut présidée par feu Ben Yahia. Le premier intervenant, Hadj Ben Alla, un proche, même un très proche de Ben Bella, lança les hostilités. Au zénith de la crise, ce fidèle de Ben Bella traita le président et ses ministres, dans un meeting à Oran le 11 juillet, « de valets du colonialisme ». A Tripoli, la préoccupation fut la déstabilisation du GPRA. En effet, bien que la coalition Ben Bella-Boumediene ait réclamé le changement des membres du bureau du CNRA, composé de Ben Yahia et de deux assesseurs, Omar Boudaoud et Ali Kafi, l’Assemblée repoussa cette proposition. Par ailleurs, le calme étant revenu, un ordre du jour fut arrêté. En premier point, il y eut « étude et adoption du projet de programme de la Révolution démocratique et populaire ». Quant au second, il fut inhérent à la « désignation d’une direction politique ». Adopté le 1er juin, le premier point ne provoqua pas d’échanges chauds. Ainsi, la discussion sur le projet de Hammamet ne suscita pas de vifs échanges entre les congressistes. Et pourtant, il y avait matière, à la coalition Ben Bella-Boumediene, de contester le paragraphe traitant du rôle de l’armée pendant la guerre d’Algérie. Ce projet conclut : « L’amalgame des institutions étatiques et des instances du FLN a réduit ce dernier à ne plus être qu’un appareil administratif de gestion. A l’intérieur, cet amalgame a eu pour effet de dessaisir le FLN de ses responsabilités au profit de l’ALN et, la guerre aidant, de l’annihiler pratiquement » (Id, page20). Ce constat n’influa, hélas, nullement sur l’attitude de l’armée des frontières. Au contraire, plus la fonction politique fut mise en exergue, plus Boumediene aurait cherché à punir ces hommes voulant accorder une place respectable au peuple algérien dans la société. Toutefois, lors du débat sur le programme, la discussion se déroula sans incidents graves. Mises à part les quelques modifications sur tel ou tel point, le premier point de l’ordre du jour fut adopté à l’unanimité. Selon Ali Haroun : « Les différences d’approche politique ou de vision idéologique de l’Algérie future sont provisoirement gommées et les participants, quelle que soit leur tendance antérieure, vont voter, à l’unanimité, les dispositions de la charte de Tripoli » (Id, page22).

Cependant, la séance du 3 juin fut consacrée à la désignation des membres du BP. Une commission de sondage a été désignée par l’assemblée en vue « de déterminer les prérogatives [du PB] et de désigner les personnes (qui le composent) ». Elle fut composée de cinq membres dont le président fut Ben Yahia. Bien que sa démarche ait été de parvenir à proposer une liste consensuelle, force est de reconnaitre que son avis fut uniquement consultatif. En tout cas, elle ne pouvait pas aller au-delà de ses prérogatives contenues dans les textes de la révolution. En effet, dès 1960, la révolution avait été dotée de deux documents clés : les statuts du FLN et les statuts des Institutions provisoires de l’Etat algérien. En vertu des premiers, la commission consulta les congressistes en vue de dégager une liste susceptible de recueillir les deux tiers de voix, comme le stipulait l’article 29. Selon Gilbert Meynier, Ben Bella n’aurait pas été un fervent partisan de ces principes. Avant le cessez-le-feu, il avait eu des contacts avec Boumediene, farouche opposant à la politique du GPRA. Et les contacts qu’ils avaient, notamment par l’intermédiaire d’Abdelaziz Bouteflika, n’étaient pas ignorés par ses compagnons de détention. Ait Ahmed et Boudiaf les avaient condamné fermement. Connaissant les oppositions à son entreprise, la coalition Ben Bella-Boumediene savait que la voie légale ne lui aurait pas permis de triompher. Car la commission, présidée par Ben Yahia, fut incapable de convaincre les deux tiers des congressistes sur une liste consensuelle. Ainsi, ne parvenant pas à s’acquitter de leur tâche, les membres de la commission de sondage regrettèrent leur échec. Selon les propres mots de Ben Yahia, ce dernier déclara à la séance de Tripoli du 5 juin 1962 : « En ce qui concerne le problème de la désignation de la Direction, nous avons entendu les avis de tous les membres de l’Assemblée. A la lumière de ces avis, nous avons essayé de proposer à vos suffrages une liste susceptible de recueillir la majorité des deux tiers et qui soit acceptable par les frères qui la composent. Nous avons le triste devoir de vous informer que nous avons échoué dans notre mission. En conséquence, nous vous proposons, sans aucune ouverture de débats, de désigner une autre commission » (Id, page 26). En analysant cette déclaration, il va de soi qu’aucune liste ne fut soumise au vote. Toutefois, s’il n’y avait pas de sentiment d’avidité de le pouvoir de la part de la coalition, les membres de l’Assemblée auraient appliqué l’article 28 des statuts des Institutions de l’Etat algérien stipulant que le CNRA « reste l’organisme souverain de la Révolution, jusqu’au Congrès National ». Cela impliqua aussi la participation du peuple à l’édification des institutions nationales à travers l’envoi de ses légitimes représentants au Congrès. Hélas, la coalition Ben Bella-Boumediene avait jeté ses dés bien avant cette réunion.

3) Le temps de l’invective.

Les velléités de la coalition Ben Bella-Boumediene, de supplanter le GPRA par Un BP, les amenèrent à user de toute sorte de grenouillage. En effet, à leurs yeux, leur liste devait triompher d’une façon ou d’une autre. Et pour cause! La substitution du GPRA par le BP aurait donné à celui-ci des pouvoirs sans restrictions. Bien que Ben Bella ait été à ce moment-là vice-président du GPRA, son alliance avec Boumediene le rendit emphatique envers le GPRA. Selon Ali Haroun : « En cette nuit du 5 au 6 juin 1962, s’opposent deux membres, et non des moindres, du Conseil National de la Révolution Algérienne, le CNRA. Le vice-président Ben Bella vient en effet d’apostropher le président Ben Khedda. Le ton monte. La salle, le Sénat du vieux roi Idriss de Libye, s’en mêle… Pour éviter le pire, Omar Boudaoud, président de séance, suspend les débats. Il est exactement minuit dix. Moment crucial, marquant l’une des pages les moins glorieuses de notre histoire récente » (Id, page 11). Dans cette réunion, il fut attendu des congressistes de désigner une deuxième commission de sondage. Et le moins que l’on puisse alléguer c’est que la tension atteignit son apogée. Avant qu’il y ait la moindre prise de parole, le colonel Tahar Zbiri, chef de la wilaya I, un membre de la coalition Ben Bella-Boumediene, avertit qu’il voterait par procuration au nom des trois commandants de sa wilaya. En soi, cette mesure fut tolérée par les statuts de la Révolution. Or, Tahar Zbiri ne disposa pas de procurations écrites, comme l’exigeait l’article 32 des statuts du FLN. Un des membres de la coalition Ben Bella-Boumediene, le colonel de la wilaya III, Said Yazourene, avait des procurations écrites. Bien que les mandants aient des sympathies pour le GPRA, le colonel Yazourene utilisa leurs voix en faveur du groupe de Ben Bella. Leurs noms figurèrent sur le procès-verbal, dit de carence, signé le 7 juin 1962, contre le GPRA. Dans ce cas de figure, le refus signifié à Tahar Zbiri ne pouvait être considéré comme une quelconque mesure contre la coalition Ben Bella-Boumediene. Ainsi, croyant pouvoir exercer ses attributions légales, Ben Khedda intervint pour mettre de l’ordre : « Quand la réunion a commencé, le gouvernement était en possession des noms des membres du Conseil de la wilaya I. Et le gouvernement considérait que Zbiri n’avait qu’une voix » (Id, page 27). Abondant dans le même sens, Ben Tobbal affirma que les membres de la wilaya I, récemment proposés par Zbiri, n’avaient pas encore eu l’agrément du GPRA. En effet, bien que le colonel d’une wilaya puisse proposer ses adjoints, la décision finale revenait au GPRA, selon l’article 26 des statuts des Institutions provisoires de l’Etat algérien, stipulant : « Le GPRA nomme les officiers supérieurs et les membres de l’Etat-major, les chefs de mission à l’extérieur et désigne les titulaires aux postes de responsabilités». En revanche, sentant que ces voix allaient manquer à sa coalition, Ben Bella suggéra, en dépit de la clarté de la loi sur ce sujet, de laisser Zbiri voter sans procuration et de surcroit au nom des membres non confirmés encore dans leur fonction. Ben Khedda reprocha alors à Ben Bella « de briser la solidarité gouvernementale ». Malheureusement, la suite de l’échange nous renvoie plus au langage de cité ou de village qu’un lieu où se décidait l’avenir du pays. « Furieux, Ben Bella se dresse, interpellant le président « Le plus grand manœuvrier c’est toi, et si personne, à ce jour, ne t’a déshabillé, je vais le faire moi ! », écrit Ali Haroun (Id, page 28). Ensuite, deux membres du CNRA vinrent au secours du président. « Tu n’as pas à t’adresser de la sorte au Président. Et, s’il faut te dénuder, nous le ferons », déclara Salah Boubnider, de l’autre côté de la salle, à l’adresse de Ben Bella. Quant à Ben Tobbal, il apostropha Ben Bella en ces termes : « Ben Bella, depuis un mois que tu vis parmi nous, tes manigances ont déjà semé la discorde ». De leur côté, les partisans de Ben Bella se levèrent pour répondre, par l’invective, aux ministres du GPRA. Les tentatives, du président de séance, de ramener le calme furent vaines. Du coup, il n’avait d’autres choix que de suspendre la séance. En somme, pour l’historien averti, Gilbert Meynier, cette provocation de Ben Bella répondit à des calculs précis. Il se pose en effet la question : Pourquoi Ben Bella provoqua-t-il l’esclandre qui bloqua la situation ? Pour l’historien, il ne subsiste aucun doute sur la manœuvre de Ben Bella : « Sauf à conclure à un simple cas d’acrimonie colérique, ne fut-ce pas pour éviter un vote dans lequel il aurait pu être battu au regard des statuts ? » (Histoire intérieure du FLN, page 651). Sans être un clerc, la seconde partie de l’interrogation est la plus plausible. Lorsque le CNRA fut convoqué pour le 20 juillet, la coalition Ben Bella-Boumediene sortit une déclaration dans laquelle elle se disait prête à assumer la direction du pays. En tout cas, depuis la dernière séance du 5 juin, la suite de la crise de l’été 1962 s’est déroulée en dehors de l’assemblée plénière. Elle s’est résolue par le recours à la force.

4) Le travail fractionnel.

Le temps des intrigues ne commença pas avec la suspension de la réunion du CNRA. En revanche, il s’exacerba lors de la réunion de Tripoli. Depuis cette date, la violence se mêla à l’intrigue pour donner naissance à une situation explosive. En effet, la coalition Ben Bella-Boumediene attendait la moindre initiative du GPRA pour la dénoncer. Bien que, concomitamment à la crise, les attentats de l’OAS fassent des ravages, la coalition Ben Bella-Boumediene guetta la moindre faiblesse. Se moquant éperdument des victimes innocentes, ils rejetèrent toute tentative de l’exécutif provisoire d’épargner quelques vies humaines. Connaissant les grenouillages de leurs adversaires, les ministres du GPRA abordèrent cette question avec une extrême prudence. Néanmoins, les atermoiements du GPRA incitèrent Chawki Mostefei à engager des pourparlers avec les dirigeants de l’OAS, soutenu en sous-main par le GPRA et notamment par Krim et Boudiaf, et ce grâce à l’entremise de l’ancien maire d’Alger, Jacques Chevallier. Se trouvant au Caire, le président du GPRA refusa par ailleurs de se prononcer sur les accords du 17 juin 1962. Pour fermer l’angle de tir à la coalition Ben Bella-Boumediene, Hocine Ait Ahmed, se trouvant lui aussi au Caire, affirma que seul « le GPRA a le droit et l’autorité de conclure des accords politiques engageant l’Algérie ». Cependant, ces événements n’empêchèrent pas les combattants de l’intérieur de suivre les querelles des dirigeants à l’extérieur. Mieux encore, ils proposèrent une batterie de propositions en vue de sortir le pays de la crise. En effet, à l’initiative des wilayas intérieures, un Conseil inter-wilayas fut convoqué pour les 24 et 25 juin 1962, à Zemmorah, près de Bordj Bou Arreridj, en wilaya III. Il réunit les wilayas II, III et IV, la zone autonome d’Alger (ZAA), avant que Yacef Sadi en crée une ZAA concurrente, et la fédération de France du FLN. Abasourdis par les dissensions minant la direction de la Révolution, les participants, selon Ali Haroun, estimèrent « que les divisions au sein du Gouvernement ont porté atteinte à son autorité et créé le vide ; en l’absence d’une autorité effective, les wilayas agissent séparément ; une menace grave pèse sur l’unité, non seulement sur l’unité du pays mais de la Nation » (Id, page 65). Tout compte fait, les congressistes, bien qu’ils aient reproché au GPRA sa pusillanimité, demandèrent à ce que les membres de l’EMG soient dénoncés. Craignant que la coalition Ben Bella-Boumediene sème la zizanie à l’intérieur du pays, notamment dans les wilayas II, III et IV, le Conseil lança un appel aux wilayas absentes à la réunion de Zemmorah. Selon Ali Haroun, le message prêcha l’union des wilayas en rappelant la formule sacro-sainte de l’unité : « Les tenant informées de la réunion de Zemmorah par le courrier du même jour, il leur rappelle que « notre rôle à nous c’était, et c’est encore, d’éviter que les querelles intestines de l’extérieur ne se transposent dans l’intérieur du pays… C’est préserver l’unité du FLN et de l’ALN à l’intérieur du territoire national, cette unité qui est forgée dans le combat libérateur » (Id, page 67). Toutefois, une délégation fut désignée, à la fin des travaux du Conseil, pour rendre compte au GPRA de ses résolutions. Reçue en Tunisie par Ben Khedda et quelques ministres, la rencontre provoqua un clash. Le démissionnaire du GPRA, Mohamed Khider, de la coalition Ben Bella-Boumediene, dénonça violemment les résolutions du Conseil inter-wilayas. Membre influent de cette coalition, sa démission visait bien entendu à affaiblir le GPRA. Moralement, les membres de la coalition Ben Bella-Boumediene avaient fait leur choix bien avant. Par ailleurs, répondant aux desideratas du Conseil inter-wilayas, le GPRA se réunit le 30 juin 1962. Il prit alors des décisions qu’il aurait dû prendre depuis plusieurs mois. Dans le conflit qui l’opposa à l’EMG, le GPRA prononça la destitution de ce segment violent de l’ALN.

Ali Haroun les résume en trois points : «

1- de dénoncer les activités criminelles des trois membres de l’ex-Etat-major Général

2- de dégrader le colonel Boumediene et les commandants Mendjli et KAid

3- de refuser tout ordre venant de ces ex-officiers et ceux qui s’en réclameraient. »

(Id, page 73). A cette annonce, les membres de la coalition Ben Bella-Boumediene se regimbèrent. De Tripoli, où il s’était retiré, Ben Bella qualifia la mesure du GPRA, dont il fut encore vice-président, de dangereuse. Affichant sa désobéissance au grand jour, L’EMG évoqua l’illégalité de la mesure. Dans son communiqué du 2 juillet 1962, il exhorta les officiers à n’obéir qu’aux seuls chefs militaires. Plus grave encore, le communiqué ordonna aux militaires de se tenir prêts afin de rentrer en Algérie en unités constituées, et ce dans les régions préalablement définies par l’EMG. En langage clair, il s’agissait de peaufiner la stratégie en vue d’orchestrer un coup de force.

5) Le déchirement

La rébellion des membres de l’EMG annihilait toute chance de réconciliation. Ainsi, l’espoir du GPRA d’assurer, jusqu’à la constitution d’un gouvernement issu de l’Assemblée constituante, releva désormais de la chimère. Car les coups de boutoir de l’EMG eurent raison d’un organisme, certes suprême, mais devenu évanescent, tellement l’estocade était ravageuse. Cependant, bien que le GPRA ait tenté de rassurer l’ALN en déclarant que la destitution de l’EMG n’avait rien avoir avec l’institution dans sa globalité, et en soulignant notamment « que l’armée de libération nationale, hier à la pointe du combat libérateur et aujourd’hui destinée à occuper, au sein de la nation, toute la place qui lui est due, doit se préparer aux taches nouvelles de l’indépendance », le commandement des frontières suivit son chef, Houari Boumediene. Pour ce dernier, son travail de longue haleine le prémunit contre les tentatives du GPRA de reprendre le contrôle sur l’armée. Par conséquent, le chemin du pouvoir se profilait à mesure que la résolution du conflit devait passer inéluctablement par les armes. Au mépris de la mobilisation des Algériens pour leur autodétermination (5975581 de oui sur 6549736 inscrits), la coalition Ben Bella-Boumediene décida de réduire leur voix à néant. Par ailleurs, croyant que le GPRA fut uni, les Algériens l’accueillirent, le 3 juillet 1962, dans l’allégresse générale. En tout cas, si la question avait été posée au peuple, ce dernier aurait choisi indubitablement le GPRA. Hélas, dans le langage de la force, la voix du peuple est reléguée au second plan. Par ailleurs, cet accueil chaleureux embarrassa la coalition Ben Bella-Boumediene. Selon Ali Haroun : « Depuis Oujda, le commandant de la wilaya V rejette « les ambitions morbides du GPRA » qui piétinent les décisions prises à Tripoli… A quoi Ben Khedda répond que la volonté populaire constitue un barrage efficace « contre la dictature militariste dont rêvent certains, contre le pouvoir personnel, contre les ambitieux, les démagogues et les aventuriers » (Id, page 80). Or, après l’épuisement dû à la dureté de la guerre, le peuple pouvait-il imposer son choix ? Hélas, le peuple fut extenué. Ainsi, la joie inhérente à la célébration de l’indépendance fut de courte durée. A Alger, l’amertume se lisait sur les visages. La question qui revint en leitmotiv fut : « Pourquoi les dirigeants, en si petit nombre, n’arrivèrent pas à s’entendre alors que des millions d’Algériens furent unis et solidaires ? » En tout état de cause, la responsabilité s’incomba à ceux qui ont foulé au sol la légalité du GPRA. En Egypte où il se trouva, Ben Bella croyait que le GPRA avait pris ses fonction. Pour reprendre les rênes, il fut prêt à s’allier avec n’importe le qui pourvu que le GPRA ne gouverne pas. Le 5 juillet 1962, il déclara qu’il avait un plan d’action pour résoudre la question de pouvoir en Algérie. Selon Ali Haroun : « Ce qui n’exclut pas l’intention d’agir par la force armée…Nasser(Président de l’Egypte) lui aurait promis, lors de l’entrevue du 9 avril 1962, l’armement nécessaire à l’équipement de cinq unités blindées légères et dix-sept compagnies d’infanterie légère pour la frontière algéro-tunisienne, ainsi que trois unités blindées légères et huit compagnies d’infanterie légère pour la frontière algéro-marocaine, sans compter un important matériel roulant. Nasser avait chargé Sami Charef de l’exécution de ces livraisons » (Id, page 83). Alors que le GPRA s’évertua à accomplir sa mission, la totalité ou peu s’enfant des troupes des frontières était déjà sur le sol national, argue Ali Haroun. Il précise : « Pendant ce temps, les troupes venant de Tunisie font jonction avec celles de la wilaya I, du côté de Khenchela et de Tébessa, alors que, plus au Nord, les éléments de la wilaya II et ceux des bataillons de l’EMG continuent de se faire face prés de Souk Ahras » (Id, page 98). Foulant le sol national, après une longue absence pour cause de guerre, Boumediene sortit de son mutisme. Car, jusque-là, bien qu’il ait été le maître de l’œuvre, la propagande fut assurée par ses adjoints Mendjli et Kaid. Selon toujours Ali Haroun, Boumediene déclara « qu’aucun des communiqués du GPRA n’a de valeur pour lui » (Id, page 117). Dans ces conditions, le terrain fut propice à toutes les surenchères. Désormais, le pouvoir, qui aurait dû revenir au peuple, se trouva au bout du fusil.

6) Le BP de la coalition Ben Bella-Boumediene

Pour la première fois, depuis le congrès de la Soummam, les dirigeants s’autoproclamèrent. Pour ce faire, ils claironnèrent que le CNRA, instance suprême dont dépendaient le GPRA et l’EMG, pouvait, lui seul, donner le mandat aux dirigeants. Or, pour lever la nuance, ces deux organismes ne pouvaient pas se situer au même niveau. Dans les pires institutions du monde, si un organisme avait le droit de nommer des responsables, dans notre cas le GPRA, il pourrait par la même occasion y mettre fin à leur mission, dans la situation qui nous préoccupe, il s’agit de l’EMG. Ainsi, légalement, et dans le respect des lois de la révolution algérienne, le GPRA avait bel et bien le droit de destituer l’EMG et de dégrader Boumediene et ses adjoints. Leur refus ne pouvait s’expliquer que par la désobéissance à l’autorité légale. Car, si le GPRA et l’EMG se situaient au même niveau, les dirigeants trouveraient du mal à gérer la révolution. Selon Ali Haroun : « De la sorte, la hiérarchie des institutions serait gravement inversée. Aucune d’elle n’aurait compétence pour donner les ordres. Ainsi, l’EMG de l’armée, ignorant le ministre de la défense, passant outre au chef du gouvernement, s’adresserait directement au parlement, au législatif, puisqu’en l’occurrence le CNRA constitue le parlement du FLN… Placer le GPRA et l’EMG sur le même pied d’égalité, c’est priver l’exécutif de tout moyen d’exécution et condamner le gouvernement à recourir nécessairement au législatif, à tout propos » (Id, page 88).

Cependant, bien que Ben Bella invoque sans cesse le respect des principes démocratiques, le 20 juillet 1962, la coalition Ben Bella-Boumediene prit une résolution coupant court à toute issue pacifique à la crise. Dans la déclaration en question, le ton fut péremptoire : « (Les membres majoritaire du CNRA, conscients de la gravité de la crise du moment) décident de mettre en application la solution concernant la désignation du Bureau Politique telle qu’elle résulte du rapport du 6 juin 1962 de la commission désignée à cet effet » (Id, page 125). Deux jours plus tard, soit le 22 juillet, la coalition Ben Bella-Boumediene forma son BP. Encore une fois, la légalité fut foulée au sol. Sans mandat du CNRA, dont elle disait qu’il était l’instance suprême, le BP décida « d’assumer ses responsabilités nationales dans le cadre de la légalité des institutions de la Révolution algérienne ». Annoncé sans vote ni réunion du CNRA, le BP se déclara « habilité à assurer la direction du pays ».

Toutefois, le GPRA dénonça illico la décision prise à Tlemcen la considérant comme étant un abus de pouvoir. Car le GPRA avait l’intention de convoquer le CNRA. La coalition Ben Bella-Boumediene n’ignorait pas cette convocation. Cependant, cette déclaration de la coalition Ben Bella-Boumediene fut illégale et entachée de mensonge. Pour rappel, la réunion de Tripoli s’est arrêtée lorsque les congressistes voulurent désigner une seconde commission de sondage, après l’échec de celle de Ben Yahia. Donc, il n’y avait aucune liste proposée à Tripoli. Dans ce cas, proposer une liste non approuvée était purement et simplement un coup de force, comme le mentionna une déclaration du GPRA juste après qu’il a connu la liste. Ali Haroun, présent à la réunion de Tripoli, étaye cette thèse de coup de force : « Il n’y a pas eu d’accord à Tripoli sur les sept noms avancés à Tlemcen ; il n’y a pas eu de vote décidé à la majorité des deux tiers, il n’a jamais été question de désigner un organe « habilité à assurer la Direction du pays », c’est-à-dire un gouvernement » (Id, page 127). D’ailleurs, le texte de la déclaration du 20 juillet s’appuya sur un procès-verbal, signé en l’absence de plusieurs membres du CNRA. Pour lever toute équivoque, et ce contrairement à ce que proclamèrent les signataires du PV du 7 juin 1962, ces derniers n’étaient pas majoritaires. D’après Ali Haroun : « Les signataires considèrent que les travaux du CNRA auraient pu se poursuivre régulièrement, le quorum étant largement dépassé n’était-ce la situation provoquée par le départ certains ministres du GPRA » (Id, page 132). Or, la contradiction entre le PV du 7 juin et la résolution du 20 juillet, c’est que le premier parle du départ du président du GPRA, alors que la deuxième incrimine certains ministres. Autre chose, s’ils avaient eu au sein de la coalition Ben Bella-Boumediene une majorité requise, ils auraient dû exiger la continuité des travaux du CNRA. « Le quorum atteint, toute décision régulièrement prise par l’assemblée plénière aurait été parfaitement opposable à tous, y compris aux absents qui n’auraient pas obtempéré pour réintégrer la session », écrit Ali Haroun (Id, page 132). Cependant, bien que les signataires, en comptabilisant les votes par procuration, aient été au nombre de 39, les statuts des Institutions provisoires de l’Etat algérien ne leur permirent pas de se constituer en BP légitime assurant la direction nationale. En effet, l’article 10 stipulait que, pour toute désignation de responsable, il fallait réunir les deux tiers des voix des membres présents ou représentés, et ce après un débat à l’assemblée plénière. Tout compte fait, pour que la coalition Ben Bella-Boumediene puisse gouverner, il lui fallait 46 voix sur 69. Non seulement il n’y eut pas les 46 voix, l’utilisation des procurations, confiée s à Said Yazourene et Ahmed Bencherif, respectivement pour la wilaya III et la wilaya IV, ne refléta pas le souhait de leurs mandants. Pour Ali Haroun : « Si l’on tient compte de la réalité des volontés exprimées, et non des signatures apposées par des mandants qui, manifestement, semblent avoir outrepassé leur mandat, les voix des wilaya III et IV ne sauraient être décomptées à l’appui des prétentions de la coalition de Tlemcen, ainsi que leur comportement l’a prouvé sans équivoque. Dès lors, le nombre des authentiques signataires de la résolution du 20 juillet, se réduit en vérité à ceux qui ont réellement soutenu ce groupe, c’est-à-dire non plus 39 mais 30 personnes disposant de 30 voix (soit 39 moins 5 voix de la W III et 4 de la W IV) », (Id, page 134). A l’examen de ces éléments, il va de soi que la coalition Ben Bella-Boumediene ne disposa, en réalité, même pas de majorité simple.

7) Le dénouement tragique.

Le dimanche 29 juillet, la wilaya IV décida d’agir. Du coup, l’affrontement fut inévitable. Ainsi, les velléités du BP de contrôler les wilayas firent réagir les wilayas III et surtout la IV. Comme d’habitude, l’arme de la coalition Ben Bella-Boumediene fut la propagande. Selon Gilbert Meynier, le BP proféra des contre-vérités en vue d’induire les Algérois en erreur. « Afin d’assurer sa popularité à Alger, le bureau politique dénonça les responsables de la W4 qui imposaient à leur cité le contrôle musclé de ses unités de junud ruraux » (Histoire intérieure du FLN, page 667). Ainsi, le projet de l’EMG d’intégrer en son sein les effectifs des wilayas buta sur le refus des maquisards intérieurs. Quant à la ZAA, ressuscitée par le GPRA avant le cessez-le-feu, fut phagocytée par les coups de boutoir de Yacef Sadi, un proche de Ben Bella. Toutefois, pour imposer son BP, la coalition Ben Bella-Boumediene opta pour la rentrée en force à la capitale. Trois itinéraires furent choisis pour y parvenir. Un axe, confié à Othmane, chef de la W5, démarra d’Oran et passant par Chelif. Le second axe fut commandé par Boumediene en personne, secondé par Zerguini, empruntant Ain Ouessara, Ksar El Boukhari, le titteri. Quant au troisième, il fut commandé par Zbiri, empruntant Sidi Aissa, Sour El Ghozlane et Tablat. Pour Gilbert Meynier : « Il est difficile d’établir un bilan en vies humaines de ce que coûta cette conquête militaire : au moins plusieurs centaines de morts, sans doute, et des blessés en plus grand nombre. Un communiqué tardif de l’agence APS (Algérie Presse Service), en date du 2 janvier 1963, donna le chiffre de mille morts » (Id, page 670). Cependant, bien que le choix des armes ait été privilégié, la coalition Ben Bella-Boumediene ne renonça pas aux élections, et ce pour peu qu’elle les contrôle. Mais avant cela, il fallait qu’elle élimine politiquement ses adversaires. Pour comprendre la stratégie de la coalition Ben Bella-Boumediene, il faudrait analyser leur acharnement contre les responsables restés fidèles au GPRA. En bien, la coalition Ben Bella-Boumediene chercha à éloigner de la course à la Constituante des personnes non acquises à leur coalition. Selon Ali Haroun : « De nombreux cadres d’une compétence indiscutable et d’un militantisme éprouvé, dont la participation à la lutte ne cède en rien à celle des soutiens de la coalition de Tlemcen, seront d’un trait de plume écartés de la future Assemblée » (L’été de la discorde, page 139). Reportées à plusieurs reprises, quatre fois exactement (3 semaines après le référendum, 12 août, 2 septembre, 16 septembre), l’Assemblée constituante fut élue finalement le 20 septembre 1962. Le système de parti unique, une idée personnelle de Ben Bella, selon le témoignage de Ferhat Abbas, cité par Ali Haroun (Quant au futur parti unique, idée personnelle de Ben Bella, il préfère privilégier, pour sa part, la démocratie et la liberté d’opinion…), ne permit pas des candidatures libres. Selon Ali Haroun : « Dès lors, l’essentiel n’est pas l’élection, mais le choix des candidatures. Quiconque est retenu sur la liste unique du parti est nécessairement élu. Ainsi, qui détermine le contenu des listes composera l’Assemblée, constituera le gouvernement et… détiendra le pouvoir » (Id, page 177). Ce fut dans ces conditions que les Algériens entamèrent la nouvelle ère de l’indépendance étriquée. 49 ans plus tard, le pouvoir en Algérie ressemble à ses débuts. Ne voulant pas lâcher les rênes du pouvoir, le peuple est toujours exclu de la gestion des affaires publiques.

Pour conclure, il va de soi que, malgré les agissements violents de certains, la révolution a atteint son objectif : le recouvrement de l’indépendance nationale. Le manque de préparation de l’action armée, dont son déclenchement avait intervenu où moment où le principale parti nationaliste, le MTLD, vivait sa plus grave crise. Celle-ci avait débouché d’ailleurs sur la sécession du parti. Bien que l’action des allumeurs de la mèche ait pour but de libérer le peuple algérien, la dureté et le prolongement de la guerre firent émerger des responsables ne pensant qu’à leur carrière politique. Pour Ali Haroun : « L’expérience des sept années et demi de guerre prouve que, sans une idéologie élaborée au contact de la réalité nationale et des masses populaires, il ne saurait y avoir de parti révolutionnaire. La seule raison d’être d’un parti est son idéologie. Il cesse d’exister dès qu’elle vient à lui manquer » (Id, page 20). Nonobstant la tentative de Abane, épaulé par des militants de valeur, de lui en donner une, les colonels, les 3B notamment, décidèrent uniment de l’éliminer. Ils étaient alors au zénith de leur puissance. Du coup, ils choisirent, en dehors de toute concertation, l’orientation à donner à la révolution. Et voilà qu’à l’été 1962, ils furent comptés parmi les politiques par le tout puissant EMG. La création de ce dernier, en janvier 1960, permit à Houari Boumediene de chapeauter le commandement de l’armée des frontières. Bientôt, il réclama le commandement sur toute l’ALN. Par ailleurs, la montée en puissance de l’EMG ne cessa pas de créer des problèmes au gouvernement provisoire. Au CNRA de février 1962, « le CNRA entérina le projet d’accords avec la France mais Boumediene, Kaid et Mendjli votèrent contre », écrit Gilbert Meynier (Histoire intérieure du FLN, page 631). Il apparaissait dès lors que le différend entre les deux organismes était immanquablement celui de l’autorité. Les membres de l’EMG ne ratèrent, par la suite, aucune occasion d’invectiver les négociateurs de la révolution algérienne avec la France. L’attitude de Boumediene fut alors : « je ne fais rien et je critique toute initiative ». Avec une dialectique plus académique, Gilbert Meynier la résume ainsi : « Les militaires de l’EMG avaient opportunément laissé aux politiques le soin de négocier – ce qu’eux-mêmes étaient incapables de faire, et qu’ils ne voulaient de toute façon pas faire-, il était impératif que les politique prissent toutes les responsabilités pour qu’on pût précisément les en accuser » (Id, page 634). Cette hostilité entre deux organismes de la révolution, bien que l’EMG doive obéir aux directives du GPRA, hypothéqua l’avenir du pays. Dans cette querelle, l’intérêt du peuple fut carrément oublié. Au lendemain du référendum, ce dernier fut privé de sa victoire. Ainsi, prenant le pouvoir par la force, la coalition Ben Bella-Boumediene entendit le garder par la force. Celui-ci guetta le faux pas de celui-là pour l’éjecter de son siège, et ce au grand dam de l’avenir du pays. Mais comme le dit le dicton algérien « Le bât étant branlant, la monture ne peut aller loin ».

Par Ait Benali Boubekeur