La double occultation des événements du 17 octobre 1961

La double occultation des événements du 17 octobre 1961

Boubekeur Ait Benali, 17 octobre 2013

« Cinquante et un après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes », communiqué de François Hollande, président de la République française, le 17 octobre 2012.

Depuis l’indépendance de l’Algérie, c’est la première fois qu’un président de la République reconnait, de façon certes sous-jacente, le tribut payé par les Algériens lors des manifestations du 17 octobre 1961. En fait, si l’on tient compte de ce qu’a été la position française jusque-là, cette reconnaissance constitue incontestablement une grande avancée. Elle l’est d’autant plus courageuse qu’au même moment l’opposition française, par la voix de Christian Jacob, le chef du groupe parlementaire de l’UMP, s’en prend éhontément à François Hollande. « Il est intolérable de mettre en cause la police républicaine [une façon indirecte de saluer l’esprit républicain de Maurice Papon] et avec elle la République toute entière », déclare le responsable de l’UMP.

Dans ce sens, bien que l’essentiel n’ait pas été dit dans le communiqué de l’Élysée, ce pas, compte tenu de la rigidité de la droite française sur cette question, mérite d’être salué. Cela dit, force est de reconnaître quand même que l’on est loin du compte. En effet, bien qu’on puisse admettre volontiers les bonnes intentions de François Hollande, il n’en reste pas moins que cette reconnaissance est loin de répondre à la réalité historique. Dans un appel à manifester le 17 octobre 2013, à 18 heures, à Paris, plusieurs associations revendiquent la reconnaissance sans ambages de l’État français dans la tragédie. Bien qu’elles saluent l’initiative de François Hollande de l’an dernier, ces associations n’hésitent pas à pointer du doigt les carences du communiqué présidentiel précédemment évoqué. « Mais le terme de crime n’est pas repris, et la responsabilité, sous-entendue, n’est pas clairement définie. Certains osent encore aujourd’hui continuer à parler des « bienfaits de la colonisation », à célébrer le putsch des généraux à Alger contre la République, à honorer les criminels de l’OAS », lit-on dans leur déclaration.

Tout compte fait, si l’affaire est loin de connaitre son épilogue en France, on peut noter tout de même que les choses bougent. Qu’on est-il du côté algérien ? D’emblée, il faut signaler que cet événement a été longtemps occulté par les pouvoirs publics. Et pour cause ! Les usurpateurs du pouvoir en 1962 ont tout fait, d’après Akram Belkaid, pour passer sous silence l’engagement de « ces manifestants anonymes qui ont montré leur attachement à la cause de l’indépendance. » Dans un article magistral, intitulé « 17 octobre 1961 : un massacre d’État », Akram Belkaid explique que le pouvoir installé en 1962 voulait simplement occulter l’apport de la fédération de France du FLN. Ainsi, pour reprendre l’expression du romancier français, Didier Daenincks, auteur de « Meurtres pour mémoire », « il y a une place des martyrs du 17 octobre au cœur d’Alger, mais le 17 octobre n’avait pas toute sa place au cœur du pouvoir à Alger. »

En somme, il va de soi que la responsabilité de l’État français dans cette tragédie est totale. En remisant au placard ses principes hérités de la révolution de 1789, la France coloniale a tué des Algériens pour avoir revendiqué leur droit à vivre sans carcan. De ce point de vue, il n’a aucune ambigüité. Du côté algérien, beaucoup de travail reste à faire. Et le moins que l’on puisse dire, c’est des questions importantes sont loin d’être élucidées. Pourquoi les dirigeants de la fédération de France du FLN ont-ils appelé à une manifestation d’envergure en sachant qu’elle allait être sauvagement réprimée ? Cette question se pose avec acuité dans la mesure où les négociations entre le GPRA et le gouvernement français étaient sur le point d’aboutir ? Quant au pouvoir algérien, issu du coup d’État de l’été 1962, pourquoi a-t-il longtemps occulté une page d’histoire du pays ? Est-ce pour punir les dirigeants de la fédération de France pour leur opposition au clan vainqueur, incarné par le duo Ben Bella-Boumediene ? Ce sont toutes ces questions auxquelles il faudra un jour répondre, si l’on veut un jour connaitre la vérité.

Ait Benali Boubekeur