Violences à l’égard des femmes: Une expertise qui tire la sonnette d’alarme


VIOLENCES À L’ÉGARD DES FEMMES

Une expertise qui tire la sonnette d’alarme

El Watan, 28 avril 2004

Les premiers résultats de l’enquête nationale sur les violences à l’égard des femmes menée par les services de la sûreté nationale, de la justice, de la santé et l’association SOS femmes en détresse viennent d’être traités par le groupe de recherche «Violences à l’encontre des femmes», créé à l’Institut national de santé publique (INSP) en 1995.

Ceux définitifs devront être remis aux plus hautes autorités le 11 juillet prochain. C’est ce que nous avons appris auprès de certains membres du groupe d’experts. L’objectif de cette enquête est de réunir institutions, organismes, chercheurs et associations afin d’étudier et traiter le phénomène de la violence à l’encontre des femmes. Pour les spécialistes, il s’agit d’identifier les circonstances, la nature des agressions et le profil des victimes ainsi que celui des agresseurs. Il est surtout question, nous a-t-on indiqué auprès de ce groupe, de proposer une stratégie d’action pour le dépistage et la prévention de la violence à l’encontre des femmes ainsi que pour la prise en charge des hommes violents. Selon le document final, l’enquête s’est déroulée du 21 décembre 2002 au 21 juin 2003 et a été réalisée dans les 48 wilayas sur un échantillon de 9033 dossiers de femmes victimes de violences répartis comme suit : 3746 cas pris en charge par le secteur de la santé, 2444 victimes ayant déposé plainte auprès des tribunaux, 2130 autres qui se sont adressées aux services de police et 713 cas de femmes agressées, ayant été accueillies au centre de «SOS Femmes en détresse». Le traitement de toutes les données a permis l’obtention de résultats alarmants. Ainsi, plus de la moitié des victimes sont des femmes mariées et plus des deux tiers, soit 69,5% des cas, sont sans profession. D’autre part, l’enquête a révélé que dans près de 73% des cas des femmes battues, l’agression a lieu au domicile, ce qui prouve l’importance et la gravité des violences intrafamiliales. Les enquêteurs ont également affirmé que 50 % des femmes agressées ont un âge compris entre 23 et 40 ans, avec une moyenne de 32,7 ans. Elles sont analphabètes dans 26,8 % des cas et ont un niveau moyen dans 26,2 % des cas.
Les victimes ayant un niveau d’instruction supérieur représentent 5,6 % et celles un niveau secondaire 19,8 %. Abordant le volet consacré à l’agresseur, les statistiques ont montré que dans la plupart des cas de violence, l’auteur est le mari, alors que la nature de cette agression se résume dans plus de 60 % des cas à des coups et blessures volontaires. Les agressions psychologiques représentent un vingtième (1/20) des cas, tout comme les violences sexuelles mais dont la moitié sont des viols. Les premiers résultats de cette enquête, première du genre en Algérie, ont été déjà débattus lors d’une rencontre à l’INSP en présence des représentants des ministères de la Justice, de la Santé de la Population et de la Réforme hospitalière, de l’Intérieur, de la DGSN, de la gendarmerie nationale, de l’OMS, des organisations des Nations unies (FNUAP, UNIFEM et UNICEF) ainsi que de l’Union européenne. Elle a été menée, du 21 décembre 2002 au 21 juin 2003, par le groupe de recherche qui comprend des médecins légistes, un psychiatre, des gynécologues, une psychologue, une épidémiologue, une chirurgien dentiste, une sage-femme, des juristes et une sociologue. De nombreuses recommandations ont été jointes aux conclusions de cette enquête. Parmi ces dernières, l’ouverture de centres d’écoute, d’accueil et de prise en charge des femmes victimes de violences et d’assurer une thérapie psychologique pour les auteurs d’agressions. De même qu’il a été mis l’accent sur la nécessité de créer des cellules d’écoute au niveau des services de sécurité et des tribunaux pour recevoir les victimes et leur permettre d’avoir les moyens de se défendre. Cette expertise rejoint celle élaborée récemment par le ministère du Travail et qui a fait état de chiffres effarants.
Selon cette étude, 60 % des femmes mariées , souvent mères de trois à quatre enfants, sont battues et 44 % des époux recourent à la violence. Le fléau est donc très grave et semble bien répandu dans toutes les couches de la société. Sa complexité s’explique par les mentalités archaïques qui restent convaincues que le mari a des droits de vie et de mort sur son épouse. Le code de la famille a encouragé ce genre de comportement d’un autre âge, puisque certaines de ses dispositions ne sont que des devoirs des femmes envers leurs époux et les parents de ces derniers. En 1984, lorsque ce code a été adopté par une Assemblée du parti unique, composée majoritairement d’islamo-conservateurs, les débats avaient été axés autour de la longueur du bâton que le mari devait utiliser pour corriger sa femme en cas d’adultère. Récemment, un député du MSP avait poussé l’ironie jusqu’à citer publiquement un adage très répandu : «Bats ta femme, si toi tu ne sais pas pourquoi, elle, elle le sait.»

Par Salima Tlemçani