L’affaire du détournement du foncier agricole à Alger devant

156 prévenus dans le procès «Hadjas» qui s’est ouvert au tribunal de Chéraga

L’affaire du détournement du foncier agricole à Alger devant
la justice

Par Hasna Yacoub, La Tribune, 28 Aout 2007

Le procès relatif au détournement du foncier agricole dans le centre du pays s’est ouvert samedi dernier au tribunal correctionnel de Chéraga. 156 prévenus, dont deux sous mandat de dépôt, sont inculpés dans cette affaire d’association de malfaiteurs, d’escroquerie, de dilapidation de deniers publics, d’atteinte à la propriété immobilière et de construction sans autorisation. Des faits réprimés par les articles 176, 386 et 42 du code pénal ainsi que par les articles 29 et 30 de la loi 06/01 et les articles 50 et 77 de la loi 90/29 relative à l’urbanisme et à l’aménagement.
Dans leur majorité, les mis en cause dans ce procès sont des fellahs, ex-exploitants des EAI et EAC (exploitations agricoles individuelles et collectives) qui ont cédé leur exploitation en violation totale de la loi de 1987. D’autant que les terres cédées ont été détournées de leur vocation première. Des élus, des cadres des services agricoles, des opérateurs économiques et autres industriels sont impliqués dans cette affaire. Quelques acquéreurs et intermédiaires ainsi que la notaire qui a établi les actes de désistement (en détention préventive depuis des mois), et la secrétaire du principal accusé dans cette affaire, en l’occurrence Ibrahim Hadjas, l’ex- patron de l’Union Bank (aujourd’hui en liquidation judiciaire), sont également impliqués. Hadjas Ibrahim est en fuite à l’étranger ainsi que ses deux enfants qui auraient pris le soin d’emporter avec eux un pactole de 9 milliards de centimes. Le juge a lancé des mandats d’arrêt contre les trois membres de la famille Hadjas. Durant trois jours, le président du tribunal de Chéraga, président de la séance dans cette affaire, a appelé à la barre les 149 inculpés pour un interrogatoire. Certains, sans détour, ont confirmé leur désistement des exploitations contre une somme d’argent. D’autres ont soutenu que Hadjas, l’inculpé en fuite, à travers son intermédiaire, Bensouda Djamel, en détention, leur avait proposé d’être un associé et qu’il allait les maintenir comme des salariés pour continuer à travailler les terres des EAC cédées. «Nous nous sommes vu interdits d’y accéder après avoir signé l’acte de cession», ont-ils déclaré au juge. Mieux, d’autres affirment que l’intermédiaire de Hadjas, en compagnie de deux autres personnes, s’est présenté chez eux en leur faisant comprendre qu’ils étaient des cadres de l’Etat, les menaçant d’une saisie de force de leur terre dans le cas où ils refuseraient de signer un acte de cession.
Les ex- exploitants de l’EAC n°65 ont déclaré, pour leur part, que l’intermédiaire de Hadjas Brahim leur a fait comprendre qu’un projet national à intérêt général allait être construit sur leur terre. Ils ont alors cédé leur EAC contre la somme de 2 milliards de centimes. Dans chaque transaction, Bensouda prenait son «pourboire» du côté de l’acquéreur mais aussi du côté des fellahs dont une partie a reconnu lui avoir donné un pourcentage de l’argent perçu. Le prix des ventes de ces EAC et EAI diffère. «Chacun a négocié à sa manière. Nous avons même été trahis par nos associés», affirme un des fellahs inculpés dans cette affaire. Il soutient que dans son cas, il a perçu contre la cession d’une EAC de 10 hectares, la somme de 100 millions de centimes, alors que son associé qui a mené les négociations avec Bensouda et qui s’est chargé par la suite de convaincre le groupe de céder cette EAC a perçu 250 millions de centimes. Des interrogatoires à la barre, il en ressort que les prix de cession ont varié de 100 millions à plus d’un milliard de centimes. Les fellahs, présents hier au tribunal de Chéraga, disaient ne pas comprendre les raisons de leur inculpation. «Tout le monde savait que nous étions en train de céder les terres et personne n’a rien dit. Pourquoi, nous inculpe-t-on aujourd’hui ?» Un vieux, âgé de 67 ans, fellah depuis une quarantaine d’années, a le cœur gros : «Nous n’avons pas fui nos terres pendant les années du terrorisme. Nous avons continué à travailler tant que la banque nous finançait, mais depuis 1992, les choses ont changé. On avait droit à un prêt de 25 millions de centimes annuellement que nous remboursions en plus des 8 millions de centimes d’intérêts. En 1992, il n’y avait plus d’aide. Personnellement je n’avais pas un centime pour faire vivre ma famille. C’est normal que je décide une dizaine d’années après de céder mes droits. Il fallait subvenir aux besoins des miens.»

Ces autres acquéreurs qui ne sont pas cités
Un jeune est appelé à la barre pour être interrogé par le juge. Il a signé ainsi que les membres de sa famille pour céder leur part d’une EAC aux enfants d’un ex-membre du HCE. «C’était mon défunt père qui avait bénéficié du droit de jouissance de cette exploitation. Après sa mort, ses associés ont décidé de vendre. Nous avons été contactés, étant des héritiers, pour signer un désistement. J’ai reçu pour ma part la somme de 14 millions de centimes», affirme ce jeune. Ce dernier ne comprend pas pour quelle raison les acquéreurs de cette exploitation n’ont pas été inquiétés. D’ailleurs, selon un avocat, les acquéreurs ont bénéficié d’une extinction des poursuites pour absence d’acte de désistement et recherches non concluantes ! Dans l’arrêt, de renvoi, les noms des acquéreurs ne sont même pas cités. Il est spécifié qu’une partie de cette EAC, sise à Ouled Fayet, qui était exploitée par 11 fellahs associés a été cédée à Hadjas Ibrahim contre la somme de 350 millions de centimes. L’autre partie a été cédée à «une autre personne» ! D’autres acquéreurs restent inconnus dans cette affaire de détournement du foncier agricole puisqu’il est facile de constater dans l’arrêt de renvoi que toutes les transactions de Hadjas Ibrahim ont été clairement spécifiées. Concernant les EAC ou EAI qui semblent être acquises par d’autres individus, il n’est spécifié que les noms des ex- exploitants et le prix de la transaction. Selon certaines rumeurs, les noms d’ex-hauts responsables auraient été sciemment retirés de ce dossier. Le délégué du service de développement agricole qui est inculpé dans cette affaire a, lors de son interrogatoire à la barre, nié les faits qui lui sont reprochés, affirmant avoir alerté sa tutelle, la direction agricole de la wilaya tout en établissant des mises en demeure aux fellahs pour interdire les désistements. Précisons que la direction agricole de la wilaya d’Alger s’est présentée comme partie civile dans ce procès.
Concernant la notaire qui est en détention depuis plusieurs mois déjà, il lui est reproché d’avoir établi des documents ayant permis la cession de ces EAC et EAI. L’association de malfaiteurs, l’escroquerie, la participation dans la dilapidation des deniers publics ainsi que l’atteinte à la propriété immobilière sont les chefs d’inculpation retenus à son encontre. Cette dernière confirme avoir établi les 17 actes de cession pour Hadjas Ibrahim mais leur publication n’était pas conforme à la loi. Elle a soutenu que l’article 4 des actes qu’elle a établis, il est clairement spécifié que l’acte ne sera pas publié avant la satisfaction des clauses légales.
Il est à préciser que dans cette affaire, les EAC et EAI cédées sont situées dans les localités de Bouchaoui, Ouled Fayet, Aïn Benian et Staouéli. Certaines ont été détournées de leur vocation première pour être transformées en béton. Ce sont pas moins de 6 366 hectares de terres agricoles de la wilaya d’Alger, soit 17,80% des exploitations estimées à 35 757 hectares, qui ont été détournés de leur vocation première, selon le bilan de la Gendarmerie nationale rendu public à la mi-janvier 2007. L’enquête de la gendarmerie a révélé que 18 exploitations agricoles ont été accaparées par l’ex-patron d’Union Bank. Lors de ce procès, 17 sont mises en cause (13 EAC et 4 EAI). Aujourd’hui, le procureur général présentera son réquisitoire qui sera suivi par les plaidoiries des avocats.

H. Y.