L’état s’est-il fait arnaquer par les Sawiris ?

L’état s’est-il fait arnaquer par les Sawiris ?

El Watan, 14 octobre 2010

Une arnaque à grande échelle ? Un remake de l’affaire Lafarge ? Pour l’économiste Mohamed Bahloul, directeur de l’Institut de développement des ressources humaines (IDRH), il est encore «trop tôt» pour dire si Naguib Sawiris, désormais ex-propriétaire d’Orascom Telecom Holding (OTH), a floué (ou non) l’Etat algérien.

Le lancement, lundi dernier, d’un avis d’appel d’offres international restreint pour la sélection de banques d’affaires et cabinets d’experts internationaux devant accompagner l’Etat algérien dans l’acquisition d’Orascom Telecom Algérie (OTA) s’apparente, d’après lui, à «un coup d’accélérateur» que le gouvernement donne au processus de rachat de Djezzy. Après de longs mois de tergiversations, les autorités algériennes, sans doute débordées par la nouvelle de la fusion, à la hussarde, le 4 octobre à Amesterdam, entre Weather Investements SPA (fond d’investissement fondé en 2005 par Naguib Sawiris qui détient 50% + 1 part de OTH, 100% de Wind, 3e opérateur mobile italien, et TIM Hellas, opérateur mobile grec) et l’opérateur Vimpelcom, détenu conjointement par l’opérateur norvégien Telenor et le sulfureux milliardaire russe Mikhaïl Fridman, décident de réagir. Tard et à tâtons. «Il s’agit, dans ce cas, d’une espèce de démarche normaliste», commente l’économiste. «Recourir au service d’un cabinet d’experts international permettra au négociateur algérien de disposer d’un argumentaire solide sur le plan technique, de prouver sa volonté d’impartialité dans la définition de la valeur de la cession. Maintenant, pour ce qui est du timing, je pense qu’il faut être plus prudent : le monde des affaires, très sensible, ne peut pas s’accommoder des approximations et des plates généralités.» M. Bahloul dit prendre au mot le gouvernement qui a réitéré à maintes reprises son intention de faire valoir son droit de préemption. «Le rachat de Djezzy s’annonce d’ores et déjà comme un long processus. Celui-ci passe d’abord par l’épuisement des voies qu’offre la législation nationale, et aussi que le repreneur d’Orascom clarifie sa démarche par rapport à l’utilisation des voies de la législation algérienne.» Persuadé de la volonté de l’Etat de se rapproprier OTA, le spécialiste ne se pose pas moins de questions sur la «forme» que prendra l’opération : «Maintenant comment l’Etat s’y prendra, avec quelle stratégie, et pourquoi il le fait, et quelle est donc l’opportunité d’un rachat ? Ces questions restent posées.»
Contrairement au docteur Bahloul qui ne voudrait pas anticiper sur une probable «déroute» algérienne dans la gestion de l’affaire Djezzy, Abdelaziz Rahabi, diplomate et ancien ministre, est affirmatif : «Les Sawiris ont bel et bien arnaqué l’Etat algérien.» «Ce qui choque, entre autres, dans cette affaire c’est l’arrogance de Sawiris et du repreneur russe qui n’auraient jamais adopté cette attitude avec un Etat qui se respecte. Nous avons été non seulement naïfs, mais surtout nous avons donné l’image d’un pays qui n’a pas un rapport pragmatique avec les nouvelles réalités du monde.»

L’imbroglio politico-financier

Les conditions dans lesquelles a été octroyée la licence à Sawiris expliquent, selon l’ancien ministre, pour beaucoup «l’imbroglio politico-financier actuel». «Tout simplement parce que les Egyptiens n’étaient pas objectivement qualifiés, en 1999, pour soumissionner pour la licence. La pratique internationale dominante en la matière, considérant que c’est un secteur stratégique et à forte valeur ajoutée, consiste à privilégier les plus grands opérateurs mondiaux pour au moins deux raisons : la première est que le partenariat favorise le transfert de technologie ; la seconde est qu’une fois associé à un géant, cela vous ouvre des perspectives d’aller dans d’autres marchés, notamment africain et arabe. Nous ne l’avons pas fait pour des considérations que ceux qui ont décidé sont les seuls à savoir. Le Maroc l’a fait. Nous nous retrouvons à la traîne sur le plan technologique et encerclés dans nos frontières.» Cela ne veut pas dire, ajoute l’ancien membre du gouvernement, que l’Algérie avait manqué, il y a 10 ans, de vision stratégique, «mais les défenseurs de cette option n’avaient pas le pouvoir de décision, pas plus qu’aujourd’hui d’ailleurs. Pendant l’été 1999, le ministre des P&T, Mohamed Salah Youyou, avait défendu avec obstination cette option stratégique, considérant – il me le disait en allemand – un wagon ne pouvait pas tirer un autre wagon. Djezzy arrive avec 2 ou 3 millions de lignes comme capacité à installer, il prend la licence».
A propos du prix vente de Djezzy fixé par Vimpelcom à 7,8 milliards de dollars – alors qu’il n’aurait déboursé pour l’achat de presque tout l’empire OTH que 5 milliards d’euros – M. Rahabi le trouve d’une «affligeante réalité». «Au rythme actuel de sa croissance, Sawiris peut pendant les 5 prochaines années engranger des bénéfices de 2 milliards de dollars/an, ce qui fait de cette entreprise la plus rentable d’Algérie après Sonatrach. Khalifa, à côté, passerait pour de l’épicerie.» Mourad Ouchichi, économiste, enseignant à l’université de Béjaïa, est convaincu, quant à lui, qu’il faudrait verser cette «affaire Djezzy» dans le registre des «luttes de clans» au sommet de l’Etat. La première annonce du rachat d’OTA par le sud-africain MTN a été lancée, d’après lui, «comme un ballon sonde» et a servi à introduire dans l’opinion publique le concept de «droit de préemption» qui prône que l’Etat (le contribuable) va racheter en priorité OTA, si OTH se maintient vendeur. Or, l’usage de ce droit de préemption et le rachat par l’Etat d’OTA n’est-il pas une issue en faveur d’OTH ? La réponse ne peut être que dans le prix du rachat. Il est certain que les deux parties en conflit ont communiqué les montants (seuils) qu’ils sont prêts à accepter pour conclure la transaction. Ce qui est aussi certain, c’est que l’écart entre les propositions faites est tellement important qu’il est impossible de trouver un terrain d’entente. D’ailleurs, le clan qui se tient logiquement derrière la table des négociations et qui tire les ficelles de cette affaire voudrait-il un dénouement à l’amiable ? Certainement pas, si ce n’est en rachetant au rabais OTA. «Affaire aux relents de soufre, de gros sous, Djezzy a cessé d’être la filiale algérienne d’Orascom Telecom, propulsée au centre d’enjeux d’Etat.» L’on n’hésite désormais plus à épiloguer sur de possibles collusions entre la maffia russe, les voyous de la finance internationale, les régimes algérien et égyptien. Seulement une vue de l’esprit ?
Mohand Aziri