Rachat de Djezzy : un «patriotisme» économique qui coûtera cher aux algériens

Rachat de Djezzy : un «patriotisme» économique qui coûtera cher aux algériens

El Watan, 21 avril 2012

Passant du simple au double, le prix supposé de la cession a de quoi troubler les experts, lesquels n’hésitent pas à mettre en cause la naïveté des autorités mal préparées dans la gestion de ce dossier. Le désaccord entre les deux parties sur le montant de la transaction est susceptible de mener à l’arbitrage international et l’Algérie risque d’y laisser des plumes.

Présentée comme l’impératif devant cristalliser le sacro-saint «patriotisme économique», la récupération de Djezzy tarde à se concrétiser. Force est de constater que les commentaires fusent à propos des motivations d’une telle opération. Une question de souveraineté pour certains, qu’il s’agisse de nationaliser «les écoutes téléphoniques» ou encore qu’il soit nécessaire de rectifier les malfaçons du processus d’introduction de cet opérateur privé sur le marché, il ne faut pas perdre de vue que toutes ces pérégrinations du dossier Orascom risquent de coûter très cher.Un processus de négociations tronqué, laissant entrevoir les prémices d’un arbitrage dont ne risque-t-il pas de rééditer un scénario Anadarko-Sonatrach ? Certes, le nouveau propriétaire russe accepte de céder une participation majoritaire de Djezzy pour un prix qu’il veut «acceptable», lequel flirte d’ailleurs avec les 7 milliards de dollars depuis le début du litige. Mais il n’est pas certain qu’il reflète une évaluation des plus pertinentes de l’opérateur. Le différentiel existant entre la première estimation sommaire de la Deutsch Bank au début du conflit à 3,5 milliards de dollars et celle commandée par le gouvernement algérien au cabinet d’affaires international Shearman and Sterling LLP-France à 6,9 milliards de dollars est frappante.

Passant du simple au double, le prix supposé de la cession a de quoi troubler les experts, lesquels n’hésitent pas à mettre en cause le sérieux des autorités mal préparées dans la gestion du dossier de par l’opacité qu’elles s’évertuent à cultiver. Ali Mebroukine, professeur en droit des affaires, avoue qu’aucun expert «ne peut comprendre que le gouvernement algérien doit débourser quelque 7 milliards de dollars pour l’acquisition d’OTA (…) à un moment où les risques opérationnels, juridiques et financiers qui pèsent sur les entreprises de télécommunications sont de plus en plus grands». Le juriste persiste en affirmant que le montant de 7 milliards de dollars imposé par Vimpelcom n’est pas raisonnable et qu’à la limite «il importe peu qu’OTA ait pu pénétrer le marché captif que représentent 35 millions de consommateurs algériens en déboursant seulement 850 millions de dollars».

Au-delà de l’erreur de départ qui a estropié les conditions d’accès au marché, M. Mebroukine trouve curieux que les démêlés de Djezzy avec le fisc et la Banque d’Algérie, autant d’éléments à charge, «n’aient pas été utilisés par le gouvernement algérien pour justifier mieux qu’il ne l’a fait, et le rachat d’OTA et le refus de payer un prix aussi élevé». Il se dit, aussi, interloqué devant le fait que l’administration n’ait pas estimé «devoir retirer sa licence à OTA devant une telle accumulation de délits prétendus, qui plus est contre la réglementation la plus impérative qui soit (fiscale et des changes)».

Quelles chances pour un arbitrage favorable ?

Un point de vue qu’il partage d’ailleurs avec l’avocat d’affaires et praticien en arbitrage international, Nasreddine Lezzar, lequel pense que «la licence d’exploitation ne doit pas être incluse dans le patrimoine d’OTA, car elle est propriété de l’Etat algérien et acheter OTA avec la licence d’exploitation est le plus grand cadeau fait par les décideurs en charge de ce dossier à Vimplecom au détriment du trésor public». Et d’ajouter : «L’Algérie est en droit de revoir le patrimoine d’OTA extirpé de la licence, du droit d’exploitation, de tout ce qui constitue son patrimoine commercial immatériel.» Néanmoins, M. Lezzar considère que le gouvernement algérien s’est largement fait dépasser par les russes de Vimpelcom dans cette affaire et aborde mal l’arbitrage international qui se profile à l’horizon, bien qu’il soit tout à fait dans son droit.

Le fait est qu’en premier lieu, les Algériens se soient «considérablement affaiblis en acceptant de parler de négociations pour le rachat de Djezzy (…) et qu’ils accepte Vimpelcom, comme interlocuteur légal», concédant ainsi au russe le droit de refuser la cession, alors qu’on devrait s’arrêter à une «négociation sur le prix après une expropriation». Les Algériens ont également laissé, selon lui, la possibilité à Vimpelcom «d’aller à l’arbitrage pour l’évaluation de la valeur des actions et non pour contester la validité de l’acquisition, par ce dernier, d’OTA». M. Lezzar dit craindre dans ce contexte «un accord à l’amiable qui, comme dans le précédent Sonatrach, transférera des sommes colossales indues à des entités étrangères».

Un pessimisme analogue caractérise les prévisions d’Ali Mebroukine quant à l’issue d’un arbitrage. Il estime que si Vimpelcom menace de recourir à un arbitrage et qu’il conteste les dispositions de la LFC 2010, il peut s’appuyer sur l’article 9 de la convention d’investissement du 5 août 2001 entre l’Etat algérien et OTH. OTA bénéficiant en ce sens des clauses de stabilisation. Et au juriste de conclure : «Devant un tribunal international qui ferait une stricte application des dispositions de la convention précitée, il est exclu que l’Etat algérien obtienne gain de cause.»
Roumadi Melissa

Affaire du rachat de Djezzy par l’état : la déplorable absence d’une gouvernance juridique

Au-delà des errements de la gestion politique du dossier de Djezzy, se profile en toile de fond une affaire, dont la chaîne de montage souffrait, depuis son premier massif, de plusieurs incohérences et faiblesses juridiques.

Les incalculables largesses octroyées à Orascom Telecom Holding (OTH) à la veille même de son implantation en Algérie donnaient déjà un avant-goût de ce que révélera plus tard cette affaire d’investissement aux allures d’un vrai scandale politico-économique. Flash-back : lors de la signature le 5 août 2001 de la convention d’investissement conclue entre l’Etat algérien et OTH, agissant pour le compte d’OTA, laquelle convention a été publiée au Journal officiel du 26 décembre 2001, l’Etat algérien s’était engagé à se refuser à toute disposition de nature à remettre en cause les droits et avantages octroyés à OTA (article 6). Ce jeûne juridique était prévu dans les mêmes clauses d’investissement pour une durée de quinze ans, soit jusqu’en décembre 2016.

Pis encore, Ali Mebroukine, professeur en droit des affaires, fait constater qu’il est expressément mentionné que les droits et avantages accordés à OTA sont «intangibles, aussi longtemps que sera en vigueur la convention d’encouragement et de protection des investissements conclue entre la RADP et la République arabe d’Egypte le 29 mars 1997 et ratifiée par l’Algérie le 11 octobre 1998». C’est ainsi que l’Etat a choisi, dès le potron-minet de mettre le doigt dans l’engrenage qu’allait susciter ce qu’on appellera plus tard «l’affaire Djezzy». Depuis cette date, les législateurs algériens ont eu les pieds et poings liés face aux dimensions, parfois illégales, qu’allait prendre la taille d’Orascom Telecom Algérie, filiale d’OTH. Après s’être convolé en justes noces, suivra la lune de miel qui aura duré plusieurs années.

Arrivera ensuite l’hiver 2009 pour rompre le charme et refroidir les ardeurs. Les deux redressements infligés par l’administration fiscale à OTA ; le premier de 600 millions de dollars concernant les exercices 2004, 2005, 2006 et 2007 et le second de 230 millions de dollars pour 2008 et 2009 venaient remettre les pendules à l’heure. Djezzy vient ainsi pour la première fois de se faire remonter les bretelles. Refusant de tendre l’autre joue, la maison mère a opposé les thèses selon lesquelles le redressement fiscal est une atteinte à la convention sur la protection des investissements. Aucune chance que ce veto aboutisse, nous dira maître Lezzar Nasr Eddine, praticien en arbitrage international. Après coup, les deux parties se sont livrées à une sempiternelle guéguerre autour du droit algérien à racheter OTA après qu’OTH eut vendu ses parts aux russo-norvégien Vimpelcom.

Depuis, une avalanche de déclarations, tantôt contradictoires, tantôt plus que jamais floues, s’est abattue sur le dossier sans qu’il soit jamais dépoussiéré par les instances en charge de cette question. Justement, Me Lezzar Nasr Eddine fera constater qu’«un manque flagrant de cohérence» dans le traitement de la transaction du rachat de Djezzy auprès de Vimpelcom est reprochable à la partie algérienne. «D’abord on ne sait pas qui gère exactement ce dossier. Le ministère de la Poste et des TIC qui est le dévolutaire naturel du dossier ? Le ministère de l’Industrie, de la PME et de la Promotion de l’investissement qui, de temps en temps, s’exprime sur le dossier et qui gère les investissements ou les participations de l’Etat qui entend racheter les actions ? Et pourquoi pas le Conseil des participations de l’Etat qui gère tous les capitaux marchands et notamment les participations que l’Etat veut acquérir ?», s’interroge Me Lezzar, contacté par nos soins.

Retrait de la licence, une carte à jouer

Finalement, c’est le ministère des Finances qui se trouve être le premier interlocuteur dans cette affaire. «On ne sait pas à quel titre ?», dira encore Lezzar Nasr Eddine. Ali Mebroukine, spécialiste en droit des affaires, s’interroge lui aussi sur le rôle des autorités de régulation si dans une affaire comme le rachat de Djezzy, qui engage les finances de l’Etat, l’ARPT n’a même pas eu son mot à dire. Selon lui, «un accord de confidentialité ne peut résulter d’une entente en catimini entre quelques officiels triés sur le volet ; les autorités compétentes des télécommunications doivent y être associées». Cela témoigne bon gré, mal gré d’une déplorable absence de gouvernance juridique dans cette affaire. D’un point de vue procédural, notre interlocuteur reproche aussi à la partie algérienne «une absence d’offensive, une frilosité et une faiblesse dans la stratégie de négociation».

Autrement dit, piégée par ses propres lois et les incohérences de sa démarche, la partie algérienne a eu jusqu’ici du plomb dans l’aile. Pis encore, les positions de la partie algérienne ont été de plus en plus fluctuantes et changeantes. Primo, explique Me Lezzar, la position algérienne a été marquée par une opposition de la cession d’OTA à Wimpelcon, mais sans pour autant donner une suite juridique à cette position et à la violation du contrat par l’Egyptien Sawiris, propriétaire d’Orascom Telecom Holding. Secundo, les décideurs algériens ont complètement abandonné cette position qui écartait toute discussion avec Vimpelcom, mais finiront par l’associer à la discussion comme principal interlocuteur. La partie algérienne donnait l’impression de demander cette acquisition à genoux.

Pourtant, un détail de taille semble lui échapper : la modification de l’actionnariat d’OTA autorise soit l’exercice du droit de préemption par la partie algérienne, soit la résiliation du contrat, c’est-à-dire le retrait de la licence. «Les autorités algériennes récidiveront dans leurs concessions et ne prendront ni la première ni la seconde de ces options», conclura Lezzar Nasr Eddine, dans une interview accordée à El Watan. Encore un détail : «La participation de Cevital dans OTA, dont on ne connaît pas le taux, semble pour des raisons obscures, complètement occultée.» Résultat des courses : au lieu de faire suer le burnous des experts engagés dans cette guéguerre, il aurait suffi de s’opposer à la cession de Djezzy à Vimpelcom, et ce, conformément au cahier des charges, au contrat et aux textes applicables à la licence d’exploitation pour acculer OTH à céder OTA à l’Etat algérien et à un prix négocié et déterminé avec une partie algérienne en position de force.

Maintenant que le mal est fait, l’Etat dispose d’une autre carte qui consiste à retirer la licence pour violation des dispositions du cahier des charges, du contrat et de la législation applicable. Il sera ensuite nécessaire de passer à une seconde attaque, «entamer les négociations pour l’achat de ce qui reste comme actifs à OTA, en sachant que cette dernière ne vaut pratiquement rien sans la licence. Et entamer illico presto une procédure contentieuse pour obtenir un dédommagement pour violation du cahier des charges et du contrat». C’est ainsi que l’arroseur deviendra l’arrosé.
Ali Titouche