La politique commerciale d’Air Algérie à rude épreuve

Stratégie de redéploiement en Afrique de l’Ouest et le crash du vol AH 5017

La politique commerciale d’Air Algérie à rude épreuve

Par : Kezzar Mourad, Liberté, 30 juillet 2014

L’opinion publique a l’habitude d’entendre parler d’affrètement d’avions par les compagnies aériennes pour faire face à des périodes de pic, comme c’est le cas de la ligne Paris – Alger en été ou de la omra, du hadj…

Avec le crash de l’AH 5017, elle apprend que Air Algérie affrétait, au moins depuis le début du mois de juin dernier, un avion pour assurer quatre rotations hebdomadaires d’un vol régulier, le Alger – Ouaga – Alger. Le crash de l’AH 5017 vient de révéler au grand jour une partie de la stratégie à long terme du pavillon historique algérien, celle de pénétrer avec prudence le marché prometteur de l’Afrique de l’Ouest pour en faire la pierre angulaire de son futur hub d’Alger qui devait être opérationnel après la réception du nouvel aéroport international. Dans sa quête du marché Ouest africain dans le cadre de son futur hub, Alger est déjà en concurrence avec d’autres plateformes, dont la principale est Casablanca.
Il est difficile de dire, aujourd’hui, si la stratégie optimiste d’Air Algérie sortira indemne des décombres de l’AH 5017. Pourtant, la compagnie ne semble pas avoir d’autre choix car il s’agit de l’avenir de toute une entreprise, voire de l’ensemble du secteur des voyages en Algérie.
En effet, le secteur du transport aérien des voyageurs, en perpétuelle crise déjà avant le 11 septembre 2001, construit ses nouvelles stratégies commerciales sur plusieurs axes dont les plus importants sont les alliances et les hubs.
Face aux restructurations des compagnies des pays de l’autre rive de la Méditerranée ainsi qu’aux politiques commerciales agressives des low cost du Nord et depuis la liquidation d’Air Afrique, le marché subsaharien, en général, et celui de l’Afrique de l’Ouest, en particulier, sont au cœur des nouvelles stratégies commerciales de survie de plusieurs pavillons de l’Afrique du Nord tels que Air Algérie, Tunisian Airlines ou encore la RAM.
Reste que ce marché si prometteur de l’Afrique de l’Ouest n’est pas encore stable à cause des turbulences politiques, économiques et sécuritaires que ne cesse de connaître la région. Le Alger – Ouaga – Alger résume cette situation que ce soit à travers le type d’avion et d’équipage d’exploitation, le taux d’occupation des sièges ou, encore, la configuration de la clientèle.

L’affrètement en ACMI : un système prudent d’exploitation

Le leasing ACMI, qui consiste à louer et l’appareil et l’équipage tout en assurant la maintenance et certaines assurances, est recommandé par la majorité des experts, aux compagnies aériennes commerciales qui ouvrent ou exploitent déjà des lignes régulières considérées comme prometteuses sans avoir déjà dépassé le seuil de la rentabilité. Des lignes où la demande est en croissance, mais dont l’exploitation n’a pas encore atteint les espérances en matière de rentabilité.
Les compagnies pratiquent une politique de pénétration de marché avec des prix étudiés et des investissements prudents. En effet, le secteur de l’aviation commerciale nécessite de lourds investissements qui s’accompagnent par d’importants besoins en fonds de roulement (BFR) qui risquent de mettre en cessation de paiement toute entreprise non prudente. Ainsi, sur ces marchés, le leasing ACMI s’est toujours avéré le plus recommandé.
Une fois les parts de marchés souhaitées acquises, les compagnies se lanceront dans l’investissement à travers l’affectation à la ligne d’un avion avec équipage lui appartenant.

Un taux de remplissage déjà supérieur à la moyenne AH

Jeudi 24 juillet, à bord du MD 83 assurant le vol AH 5017, se trouvaient 110 passagers clients parmi l’ensemble des 118 voyageurs. Or, la capacité d’accueil de l’aéronef est de 165 sièges tous en classe économique, la fameuse “Y”. Soit un taux de remplissage de 67% qui dépasse légèrement la moyenne chez Air Algérie qui est, elle, de 65%. Ainsi, sans être rentable, par référence aux normes de la profession qui situent le taux de remplissage à 80% au minimum, la ligne Alger – Ouaga – Alger réalise un bon résultat d’exploitation. Le maintien d’un tel chiffre sur une longue période aurait certainement pousser AH à y affecter un aéronef et un équipage propres à elle et tout laisse croise que le pavillon national historique était sur le point d’entériner cette décision.

Une configuration de passagers plaidant pour le futur hub d’Alger

Une lecture rapide du manifeste du vol renseigne sur la place d’un Alger – Ouaga – Alger dans le futur hub d’Alger.
Sur les 110 passagers de l’AH 5017, seuls 6 clients sont de nationalité algérienne, soit à peine 6% des sièges commercialisés. Le reste, soit 94% de passagers clients, sont de 14 autres nationalités différentes.
Les sièges vendus à des Burkinabès ne représentent que 26%. En d’autres termes, seuls 32% des sièges ont été vendus à des passagers résidant dans les deux pays de départ et d’arrivée, soit le Burkina Faso et l’Algérie. Le reste des passagers clients, soit 68% des sièges commercialisés, ont d’autres nationalités et sont issus d’autres pays avec 49% de Français, des Canadiens, des Libanais, … Des passagers qui ne seraient qu’en transit par Alger pour continuer vers d’autres aéroports de destination. C’est le principe même du hub que cherche à devenir Alger dans un environnement concurrentiel.
Avec le crash du AH 5017, c’est toute la politique commerciale d’Air Algérie des dix prochaines années qui est mise à rude épreuve.

M. K.