Cycle de négociations Algérie-OMC
Cycle de négociations Algérie-OMC
La question de la double tarification du gaz réglée
El Watan, 31 mai 2012
Aux yeux de l’opinion publique, l’accession de l’Algérie à l’OMC est gênée par deux dossiers. La libéralisation des services d’un côté,
la double tarification des prix du gaz de l’autre.
Le groupe de travail chargé de l’accession de l’Algérie à l’OMC s’est réuni pour la première fois en 1998. S’en est suivi un long cycle de négociations qui aura duré 14 années sans que la demande d’adhésion du candidat algérien ait finalement été acceptée.
Les négociateurs se sont réunis en tout et pour tout dix fois. Aujourd’hui encore, on a du mal à bien définir les avancées dans le processus de réalisation et à situer les blocages qui persistent. D’autant que les déclarations des responsables en charge du dossier, aussi bien au ministère du Commerce qu’à celui des Affaires étrangères sont assez diffuses à ce propos.
Aux yeux de l’opinion publique, l’accession de l’Algérie à l’OMC est gênée par deux dossiers. La libéralisation des services d’un côté, la double tarification des prix du gaz de l’autre. Du moins, c’est ce qu’on a laissé croire.
Récemment, le directeur des relations avec l’OMC au ministère du Commerce, Mohamed El Hadi Belarima, avait annoncé que la question de la double tarification du gaz avait été réglée conformément aux dispositions de la loi promulguée en 2007 sur les hydrocarbures et sur la concurrence, de manière à ce que l’Etat préserve le droit de fixer les prix sur le marché interne après concertation avec les opérateurs économiques. Un point qui ne figure pas au bilan des négociations, vu que les membres de l’OMC considèrent qu’il reste beaucoup à faire pour l’Algérie en matière de politique des prix des hydrocarbures. On annonce également que l’Algérie a déposé, en février dernier, une nouvelle offre sur les services. Il lui reste encore des réformes législatives à adopter en matière de normes techniques phytosanitaires et sanitaires. Cependant, les choses sont pour l’Algérie plus compliquées qu’elles ne le semblent.
Nouvelle offre de services
Il est vrai que les membres de l’OMC ont reconnu les progrès réalisés par l’Algérie sur un certain nombre de points, comme la réforme de son régime de commerce, afin de le rendre pleinement compatible avec les règles de l’OMC. L’Algérie a ainsi adopté de nouvelles lois en matière d’obstacles techniques au commerce (OTC), de mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS), de propriété intellectuelle (ADPIC), de pratiques antidumping, de sauvegarde et de mesures compensatoires, de politique des prix, d’évaluation en douane, d’importation de produits pharmaceutiques et de boissons alcoolisées, d’exportation de viandes bovine et ovine et de palmiers.
Mais cela ne suffit pas à satisfaire les membres de l’OMC. Selon eux, il y a encore beaucoup à faire concernant les législations régissant les entreprises d’Etat, les prix des hydrocarbures, les droits de commercialisation et la présence commerciale, le régime fiscal (TVA et autres taxes à la consommation), les subventions à l’exportation, ainsi que de nouvelles mesures SPS, OTC et ADPIC.
Et l’Algérie n’est pas au bout de ses peines. Il reste encore à finaliser les accords bilatéraux. Cinq accords ont jusqu’ici été signés avec le Brésil, l’Uruguay, Cuba, le Venezuela et la Suisse.
Les négociations avec l’Argentine, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Malaisie et l’Indonésie semblent également avancer dans le bon sens. Néanmoins, le processus paraît au point mort avec le partenaire commercial le plus important de l’Algérie, à savoir l’Union européenne, qui reste loin du soutien annoncé à la signature de l’Accord d’association.
Melissa Roumadi
Henri Sterdinyak. Directeur du département économie de la mondialisation à l’OFCE
«L’adhésion à l’OMC est une décision lourde de sens sur les plans politique et économique»
– Le cycle de Doha n’a toujours pas été conclu, en raison de divergences de fond entre les pays membres de l’OMC. Peut-on dire que le multilatéralisme est en crise ?
Le cycle de Doha, ouvert en novembre 2001, n’a toujours pas abouti. Ceci marque une crise du multilatéralisme. Les pays développés, les pays émergents et les pays du Sud n’ont pas la même vision de l’évolution de l’économie mondiale. Doha devait être le «cycle du développement», mais les pays du Nord, menacés par la montée en puissance des pays émergents, réclament maintenant des concessions des pays émergents et veulent limiter les «traitements spécifiques» dont bénéficient les pays en développement. Aucun accord ne peut intervenir car les pays du Nord refusent de sacrifier leur agriculture et les pays du Sud veulent continuer à pouvoir se développer, quitte à utiliser des moyens contestables (protection des entreprises naissantes, lourde taxation des produits importés non indispensables, non-respect des normes sur la propriété intellectuelle). La doctrine libérale, qui fondait l’OMC, selon laquelle la baisse des barrières douanières permettrait automatiquement une forte croissance de toutes les zones du monde n’est plus dominante. Or, l’unanimité serait nécessaire.
Le risque est surtout le développement d’accords bilatéraux où les pays les plus puissants (Etats-Unis ou Chine) pourraient imposer leur volonté. Par contre, le développement de zones régionales de libre-échange (en Amérique latine, en Asie-Pacifique) est sans doute une bonne chose.
– Peut-on aussi considérer que les membres de l’OMC rechignent à respecter les règles du jeu applicables à tous dans la mesure où ces divergences touchent à l’ouverture des marchés et aux subventions dont bénéficient certains produits ?
Les pays du Nord, confrontés à leur désindustrialisation et à la montée du chômage, refusent de plus en plus que certains pays émergents continuent à sous-évaluer leur monnaie, à protéger leur industrie, à taxer fortement certains produits importés et n’ouvrent pas leurs marchés publics. Ils refusent de voir disparaître leur agriculture. Les pays du Sud reprochent aux pays du Nord de continuer à protéger et à subventionner leur agriculture, de vouloir les obliger à une ouverture trop rapide de vouloir s’emparer de certains secteurs (finances, services publics, culture), de prendre des mesures qui freinent leur croissance (comme la protection de la propriété intellectuelle). Ils refusent que des normes sociales ou environnementales puissent être évoquées pour justifier des mesures protectionnistes.
En même temps, il faut noter que la crise de 2007-2012 n’a pas provoqué de retour en force du protectionnisme et que les pays du G20 continuent à proclamer leur attachement au libre-échange.
– Qu’est-ce qui pourrait motiver aujourd’hui un pays comme l’Algérie à adhérer à l’OMC ?
L’Algérie est candidate à l’OMC depuis 1987. L’OMC regroupe aujourd’hui 157 membres. Malgré ses limites, c’est un lieu de discussion important. Il est important pour les pays émergents d’y participer pour augmenter leur poids et pour faire évoluer les règles du jeu. C’est ce que vient de faire la Russie.
L’adhésion à l’OMC oblige à fournir des garanties d’ouverture au commerce international et de respect de normes d’accueil des investissements étrangers, qui peuvent, certes, être vues comme des contraintes, mais qui sont aussi des éléments indispensables pour permettre des coopérations fructueuses avec des partenaires étrangers, pour donner confiance aux importateurs comme aux exportateurs. C’est cependant une décision lourde de sens sur le plan politique et économique : c’est se donner comme objectif d’insérer durablement l’Algérie dans la division internationale du travail : d’une part, en développant le secteur d’exportations non pétrolières, d’autre part, en ouvrant progressivement son marché intérieur. Cette ouverture devra être contrôlée pour certains secteurs : secteurs financiers, services publics, culture.
Melissa Roumadi
L’Algérie peut-elle s’ouvrir au marché mondiale ?
Un cheminement ponctué d’ambivalence et d’indécision
Bloqué depuis 2008, le processus redémarre à la faveur de la tenue d’un 11e round de discussions.
Les négociations multilatérales en vue de l’adhésion de l’Algérie à l’Organisation mondiale du commerce reprendront en juillet prochain. Bloqué depuis 2008, le processus redémarre à la faveur de la tenue d’un 11e round de discussions. Serait-ce le dernier ? Si l’idée avait été défendue un certain moment par le ministre du Commerce, les responsables en charge de la négociation sont moins optimistes et beaucoup moins prompts à avancer des délais. Au final, l’accession de l’Algérie à l’OMC ressemble aujourd’hui à une saga interminable. Vingt-cinq ans sont passés depuis la première demande d’adhésion en juin 1987. Dans ce long cheminement, le groupe de travail s’est rencontré 10 fois depuis sa première réunion en 1998. Au cours de ce processus, l’Algérie a procédé à l’amendement de 36 textes de loi et a répondu à 1640 questions adressées par les pays membres de l’OMC. L’Algérie est également membre observateur de l’Organisation.
Or, les doutes sur l’aboutissement du processus persistent aujourd’hui plus que jamais. La raison réside dans le fait qu’après avoir initié une ouverture tous azimuts de son économie au marché mondial, l’Algérie recule sur certaines dispositions. La question qui se pose naturellement est de savoir pourquoi persiste-t-on dans la négociation ?
Les avis sont partagés à ce propos. Les uns pensent qu’une plus grande ouverture du marché risque de menacer le peu de production dont dispose l’Algérie et n’induirait au final qu’une accélération des importations. Selon cette vision, il faut, pour l’heure, protéger le marché. A contrario, d’autres pensent que l’adhésion au système multilatéral de l’OMC est inéluctable et que retarder le processus ne ferait que créer des conditions d’accession de plus en plus défavorables pour l’Algérie. Ils estiment aussi que l’OMC pourrait permettre à l’Algérie de créer les conditions d’une économie transparente et à niveau. Quels que soient les arguments présentés par les uns et les autres, ils trouveront écho ou susciteront les critiques de leurs détracteurs. Or, l’Algérie ne semble pas prendre une position claire dans un sens ou dans l’autre et paraît s’inscrire dans une démarche purement participationniste.
Il est vrai que les responsables algériens déclarent, à chaque fois que l’occasion se présente, que l’Algérie veut adhérer à l’organisation. Mais en même temps, on n’hésite pas à mettre en avant des arguments de souveraineté. On affirme même que l’Algérie continuera à solliciter «des périodes de transition» pour pouvoir mettre à niveau les secteurs qui nécessitent une telle opération. Aussi, un tournant réglementaire important a été opéré en 2009 où la législation concernant l’investissement et le commerce a été recentrée. Pourtant l’adhésion à l’OMC n’est pas un processus similaire à l’adhésion à l’ONU, nous explique Mouloud Hedir, ancien directeur du commerce extérieur au ministère du Commerce.
Il s’agit en fait d’un contrat signé avec les 157 membres de l’OMC et qui permettra de connecter l’Algérie au marché mondial. Ce contrat induit bien entendu des concessions et des engagements en matière d’ouverture commerciale de nature définitive. Pour M. Hedir, parler de l’OMC, c’est parler de choses très sérieuses qui induisent des effets à long terme. A partir de là, l’aboutissement d’un accord en vue d’une adhésion ne peu résulter que d’un équilibre entre les négociations avec les partenaires sur le marché externe et les négociations en interne en prenant en compte ce qui peut être accepté par les acteurs du marché local. Or, estime-t-il, pour l’heure les autorités semblent avoir beaucoup de mal à cerner les enjeux des négociations, à définir avec précision les secteurs stratégiques qu’il faut protéger, et les secteurs qu’il faut au contraire libéraliser.
Le dilemme européen
Il considère aussi que sur certains dossiers techniques et d’autres plus importants, comme celui des prix de l’énergie, de l’ouverture des services éducatifs ou l’audiovisuel, l’Algérie peut toujours imposer ses positions pour peu qu’on sache exactement définir ce qu’on veut et se faire comprendre. D’où l’impression que donnent les Algériens de ne pas savoir exactement ce qu’ils veulent.
Une impression qui pourrait trouver son origine en 1994, lorsque l’Algérie a raté le coche de l’adhésion à la transformation du GATT en OMC. Adhésion simplifiée qui lui aurait juste valu d’accepter les seules règles générales de l’organisation sans passer par le processus de négociation. Une impression qui s’est confirmée en 2009, au lendemain de l’adoption de la loi de finances complémentaire et le virage à 360 degrés en matière d’ouverture commerciale. Les politiques économiques se sont recentrées sur les entreprises publiques, et l’imposition du partenariat dans l’investissement, le commerce ainsi que des mesures de recadrage commercial qui n’ont pas été appréciés par certains partenaires.
C’est le cas de l’Union européenne avec laquelle l’Algérie réalise 60% de son commerce extérieur. Ainsi, et dans un bilan d’évaluation de 5 ans de mise en œuvre de l’accord d’association publié en 2010, l’UE considère que certaines dispositions de la LFC 2009 ainsi que la batterie de textes et de notes publiés cette année-là ne rassurent pas les partenaires étrangers. Il est rappelé ainsi que «ces mesures peuvent être justifiées sur le fond, car elles organisent et rationalisent le commerce extérieur, principalement les importations. Elles permettent, en effet, de lutter contre la fraude et le commerce informel. Mais elles ont été prises dans la précipitation et sans concertation. En conséquence, elles désorganisent le commerce extérieur et engendrent des coûts supplémentaires pour les importateurs. De plus, certaines d’entre elles sont peu compatibles avec l’AA, d’autres sont floues et difficiles à appliquer en l’absence d’un dispositif technique et institutionnel en amont (…). Ces mesures engendrent de l’incertitude pour les opérateurs économiques qui importent de l’étranger et alourdissent le climat des affaires en Algérie».
Depuis, les négociations bilatérales entre les deux partenaires en vue de l’adhésion de l’Algérie à l’OMC semblent s’enliser et le soutien des Européens à la candidature algérienne se fait attendre, même si une assistance technique a pu se mettre place grâce au Facico.
Le fait que les Européens qui s’appuient sur le retournement réglementaire en Algérie mettent en avant l’argument de l’indécision de l’Algérie à s’ouvrir au marché mondial. Dans son bilan, l’UE précise que «le système de réformes mises en place par les autorités algériennes depuis les années 2000 est complexe et ambitieux, mais sa lisibilité externe n’est pas assurée, car de nombreuses réformes reflètent des ambiguïtés stratégiques. D’un côté, un engagement politique dans le processus d’ouverture de l’économie algérienne, de l’autre, l’exigence de ne pas renoncer à des choix économiques en faveur du système économique en place qui garantissent une stabilité sociale, et en définitive, une ambivalence des messages envoyés aux opérateurs économiques étrangers».
Un argument qu’on pourrait opposer aux trop grandes concessions accordées par l’Algérie dans le cadre de l’accord d’association. Des concessions qui reflètent aussi la précipitation avec laquelle les Algériens sont allés vers la signature d’un accord de libre-échange non seulement avec l’Union européenne mais aussi avec la Zale avant même d’avoir finalisé le processus d’accession à l’OMC et sans en mesurer les conséquences sur cette future adhésion.
A ce propos, M. Hedir met en avant les concessions accordées à l’Union européenne en matière d’ouverture totale du marché des services. En prenant en compte la clause de la nation la plus favorisée, il est donc difficile aujourd’hui pour l’Algérie de ne pas élargir cette ouverture totale aux 157 membres de l’OMC. Il paraît donc aujourd’hui désuet de parler de négociations autour des services, puisque ceux-ci sont déjà ouverts au partenaire commercial le plus important de l’Algérie sans qu’un seul secteur stratégique, comme les banques et assurances, les télécoms ou le transport, ait été défini ou protégé au préalable. Il faut y voir qu’il ne s’agit pas aujourd’hui pour l’Algérie d’aller à l’OMC juste pour y figurer, mais qu’il faut avant tout peser ce qu’on a à y gagner et ce qu’on y a à perdre, créer une économie transparente seul préalable à la diversification et à la compétitivité, gérer le passif d’accords signés dans la précipitation et régler les problèmes de gouvernance globale. Sans quoi l’accession à l’OMC pourrait s’avérer être une entreprise hasardeuse de plus.
Le cas israélien :
Avant même son accession à l’OMC et en plus des difficultés techniques et commerciales, les négociateurs algériens doivent composer avec certaines problématiques politiques. Il s’agit notamment des relations avec Israël. L’Algérie n’entretient aucune relation diplomatique avec celui-ci. Pourtant, Israël est membre à part entière de l’OMC.
Il est difficile en Algérie d’entrevoir des rapports avec Israël. Comme il est difficile pour les Algériens d’éviter Israël dans le cadre de l’OMC. D’
ailleurs, cette problématique a été soulevée par les Israéliens au tout début du processus d’adhésion de l’Algérie à l’OMC. Elle a même fait l’objet de l’une des premières questions adressées à l’Algérie. Le dilemme reste donc entier.
Melissa Roumadi
Comment devenir membre de l’OMC
L’article XII de l’accord sur l’OMC dispose que l’accession à l’Organisation se fera «à des conditions à convenir» entre le gouvernement candidat et l’OMC.
Le processus d’accession à l’OMC prend essentiellement la forme de négociations et est assez différent du processus d’adhésion aux autres organisations internationales, comme le FMI, qui est en grande partie automatique.Chaque groupe de travail de l’accession prenant ses décisions par consensus, il doit y avoir accord entre tous les membres de l’OMC intéressés quant au fait qu’il a été répondu à leurs préoccupations individuelles et que toutes les questions en suspens ont été résolues au cours des négociations bilatérales et multilatérales.
La procédure d’accession débute par la présentation, par écrit, d’une demande officielle d’accession par le gouvernement candidat. Cette demande est examinée par le conseil général, qui établit un groupe de travail chargé de l’examiner à son tour et de lui présenter ses conclusions pour approbation. Tous les membres de l’OMC peuvent participer au groupe de travail. Après avoir examiné sous tous leurs aspects le régime de commerce extérieur et le régime juridique du gouvernement candidat, le groupe de travail entame les négociations multilatérales de fond, lesquelles permettent de déterminer les modalités et conditions d’admission.
Ces modalités et conditions comportent des engagements concernant le respect des règles et disciplines de l’OMC après l’accession et les périodes de transition requises pour apporter les modifications législatives ou structurelles nécessaires. Dans le même temps, le gouvernement candidat engage, avec les membres du groupe de travail intéressés, des négociations bilatérales sur les concessions et engagements en matière d’accès aux marchés pour les marchandises et les services. Les résultats de ces négociations bilatérales sont regroupés dans un document qui fait partie de l’«ensemble des conditions d’accession» définitives.