Les points forts du procès Khalifa

Les points forts du procès Khalifa

Le Quotidien d’Oran, 30 janvier 2007

Lundi 08 janvier: cour de Blida. Les abords sont sous haute surveillance policière. A l’entrée, les mesures de sécurité ont été très renforcées. A l’intérieur, la cour grouille de monde. Des dizaines d’avocats en robes noires et encore plus de journalistes et de photographes.

El Arabia, El Hurrah et l’ENTV ont apporté leurs matériels et délégué leurs reporters.

A l’entrée de la salle d’audience, il faut être muni d’un badge pour pénétrer, ensuite se frayer un chemin au milieu d’une marée humaine pour arriver à la place réservée à la presse. Un brouhaha indescriptible emplit la salle. Une porte s’ouvre et des personnes, une quarantaine, entrent et s’assoient sur des bancs de bois. Ce sont les accusés dans la grande affaire Khalifa Bank.

Deux sonneries retentissent, tous se lèvent et la présidente, suivie de ses deux conseillers, du procureur général et du greffier, fait son entrée.

Elle commence alors à citer les noms des accusés, certains sont présents, le premier est le grand absent Abdelmoumène Khalifa. Parmi les témoins, des ministres en exercice, d’anciens ministres et cadres, des nom de stars du football… Après cela, le greffier entame une longue lecteur de l’arrêt de renvoi.

Mardi 09 janvier

Le procès commence par l’annonce du lancement d’un mandat d’arrêt contre l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, M. Abdelouahab Keramane, son frère et sa nièce. Ensuite, la présidente interroge le premier accusé, le plus âgé (78 ans). M. Rahal Omar, notaire dont le cachet était apposé sur des actes faux. En plus de ce faux en écriture, M. Rahal avait à répondre à des questions de la présidente, Mme Brahimi, sur le non-respect de la loi en matière de création de Khalifa Bank.

Mercredi 10 janvier

Le procès, en ce troisième jour, commence à être intéressant avec les premières révélations faites par le clerc du notaire, M. Guellimi Djamel. Après qu’il eut été donc clerc, cet homme se retrouve inspecteur général de Khalifa Airways, et, surtout, homme de confiance de Abdelmoumène Khalifa. Il était parmi les personnes arrêtées à l’aéroport avec 2.000.000 euros qu’il tentait de faire sortir clandestinement du territoire national.

La plupart des devises, outre celles déposées par les clients de la banque, étaient achetées auprès de revendeurs clandestins au square Port-Saïd à Alger. Le prévenu a répondu à plusieurs questions de la présidente par «c’était par hasard» ou «je ne le savais pas». M. Guellimi avait dépensé en France pour 20.000 euros avec une Master Card qui ne lui donnait que 3.000 euros.

Après Guellimi, c’est le nommé Issir Idir Mourad, l’ex-directeur de l’agence BDL de Staouéli, qui fut auditionné pour les facilités et les crédits octroyés à Khalifa Abdelmoumène sans aucune garantie. Les nombres à plusieurs zéros s’entrechoquent et se suivent. Les présents dans la grande salle, quand même moins nombreux que le premier jour, n’en revenaient pas: des crédits aussi importants alloués d’une façon si légère ?

Jeudi 11 janvier

Ce jour, deux témoins très proches de Abdelmoumène Khalifa sont entendus. Il s’agit de son frère Abdelaziz et de sa secrétaire particulière, Aïouaz Nadjia. Le frère rapporta que l’hypothèque de la maison familiale a été faite sans l’aval de la famille et que la création même de Khalifa Bank était entachée d’irrégularité. La secrétaire, quant à elle, parla de billets d’avion gratuits qu’elle aurait remis sur ordre du PDG à des personnalités politiques, ou du monde des affaires et artistiques. Les avocats de la défense ont pressé la secrétaire de questions, mais la présidente est intervenue pour leur rappeler que Mlle Aïouaz était citée comme témoin et non comme accusée.

Samedi 13 janvier 2007

C’est ce jour qu’a choisi Mme Brahimi pour interroger Akli Youcef, ancien caissier à la BDL et qui s’est retrouvé bombardé DG adjoint responsable de la caisse principale de Khalifa Bank. Les présents apprennent, sidérés, que plus de 220 milliards de centimes en dinars et l’équivalent de 110 milliards en devises ont quitté la caisse principale dans des sacs, sans aucune écriture comptable, sans le moindre petit reçu. Akli, pour se défendre, dira qu’il n’avait fait qu’obéir aux ordres du parton. Ce jour-là, Aboudjerra Soltani s’est présenté à la cour et a déclaré qu’il était prêt à témoigner quand la présidente le convoquerait.

Dimanche 14 janvier

C’est encore Akli Youcef qui est rappelé à la barre. Ce fut ensuite le tour de M. Chebli Med, un autre accusé dans l’affaire, à répondre aux questions. Il parla de son salaire qui était à la BDL de 13.000 DA et qui est devenu 30.000 DA à Khalifa Bank. Mais ce sont surtout des EES (écritures entre sièges) que Mme Brahimi voulait qu’il parle. Il avouera que c’est Akli qui lui donna les sommes à porter sur chacun des 11 documents et chaque somme était libellée en monnaie différente. Chebli remplit les 11 ESS, les signa et les porta sur la compte de la comptabilité générale.

Un autre accusé dans l’affaire, le DG adjoint de la comptabilité générale, M. Nekkache Hammou, fut ensuite entendu. Il parla lui aussi des 11 EES censées justifier le trou de plus de 329 milliards de centimes dans la caisse principale. L’après-midi vit la comparution d’un autre accusé, M. Toudjène qui occupait le même poste que Nekkache. «Une aberration» comme l’a qualifié l’administrateur provisoire, appelé par la suite. M. Djellab a donc déclaré qu’il lui a fallu plusieurs jours pour comprendre le fonctionnement de Khalifa Bank. Il donnera plusieurs montants, mais ce qui a retenu l’attention de tous, c’est qu’il a déclaré qu’il aurait fallu injecter 75 milliards de dinars pour reconstituer les fonds de Khalifa Bank et la sauver de la banqueroute. Un inspecteur de la banque déclara après lui qu’il aurait reçu des menaces de la part de Ghazi, l’oncle maternel de Abdelmoumène.

Lundi 15 janvier

Toudjène Mouloud, l’un des 2 DG adjoints chargés de la comptabilité générale, apporta d’autres précisions concernant la gestion de Khalifa Bank et surtout en ce qui concerne les fonds énormes qui en étaient puisés sans aucun justificatif. En plus, Toudjène donna plusieurs exemples de dépenses faramineuses comme le sponsoring de clubs de foot dont l’O Marseille, le CRB, l’USMA, ou le versement d’intérêts atteignant le milliard à des déposants de 500 millions de centimes. Après Toudjène, ce fut Agaoua Madjid un des quatre membres de la commission d’enquête qui éclaira la cour sur la situation contraire à la loi dans laquelle se trouvait Khalifa Bank.

Mardi 16 janvier

Ce jour-là, c’est M. Boumachhour Saïd, ex-inspecteur à Khalifa Bank, qui informa la cour que la situation à l’agence d’Oran était anarchique, à l’instar d’ailleurs de toutes les agences. Il affirma qu’il y avait énormément de crédits consentis sans aucune garantie. La présidente rappela ensuite Akli Youcef qui se justifia encore par son exécution d’ordres reçus directement de Abdelmoumène Khalifa par téléphone.

Mercredi 17 janvier

Le tour est enfin venu de connaître la version de celui qui fut qualifié par le PG et la présidente de Khalifa 3, après le PDG Krim Ismaïl. Il s’agit de Chachoua Abdelhafid qui était le DG chargé de la sécurité à Khalifa Bank. La direction dont il était responsable n’avait aucune existence légale puisque n’ayant pas reçu l’aval du ministère de l’Intérieur. Chachoua, ancien inspecteur de police, s’était retrouvé le bras droit et l’homme de confiance de Abdelmoumène. Il s’occupait des transferts d’argent – par personnes interposées – de la caisse principale vers le bureau et le domicile du patron.

En outre, c’était à lui qu’étaient dévolues les missions de contacter les éventuels déposants, surtout les directions des offices et entreprises publiques, les présidents des clubs et les stars du foot. Pour ses contacts avec les autres DG adjoints et la réunion au cours de laquelle il a transmis les ordres de Khalifa pour la régularisation d’un trou de plus de 320 milliards de centimes, M. Chachoua nia toute intervention de sa part, malgré les témoignages contre lui. L’assistance apprit aussi que Chachoua avait acheté une villa à Zeralda, déclarée à 500 millions de centimes, alors que le marbre seulement a coûté plus de 450 millions et qu’il l’a revendue avant d’y habiter pour 700 millions. Cette journée vit aussi l’audition comme témoin de Med Saïd Zaïm, l’ex-président de l’USM Blida qui raconta comment il avait rencontré Chachoua et le contrat de sponsoring qu’ils ont signé ensemble. L’USMB a reçu entre 3 et 4 milliards de Khalifa Bank.

Jeudi 18 janvier

[…]

Un témoin très remarqué et très attendu fit son entrée dans la salle d’audience: il s’agit de Lakhdar Belloumi qui apporta quelques précisions sur son salaire à Khalifa Bank, son rôle, les 50 millions offerts par Abdelmoumène en guise de cadeau de mariage et les sommes importantes versées aux clubs oranais, dans le cadre du sponsoring.

Dimanche 21 janvier

Un long week-end est passé et le procès reprend avec toujours Chachoua Abdelhafid. Après lui, le tribunal écouta M. Foufa Hamid, expert judiciaires assermenté qui a donné des détails techniques concernant Khalifa Bank. Pour cet expert, le préjudice ne sera connu qu’à la fin de la liquidation. Il ne parla que des 327 milliards de centimes représentant le trou de la caisse principale. En outre, M. Foufa entra un nouvel élément dans le procès: «Nous ne pouvons pas prouver que c’est Abdelmoumène qui a pris tout cet argent!». L’après-midi de cette journée fut réservée à M. Badsi Moncef, liquidateur de Khalifa Bank. Des chiffres éloquents furent donnés par cet expert: 200.000 déposants, 110.000 chèques furent remis aux déposants les plus petits pour un montant de 7 milliards de DA.

Lundi 22 janvier

M. Badsi, le liquidateur, continua pour la deuxième journée à donner les chiffres concernant Khalifa Bank. Il parla cette fois des sommes «invisibles» qui ont été détournées de la caisse centrale et des agences, sans aucune trace comptable. Il parla aussi des «personnes invisibles» qui sont passées «à la caisse» sans raisons, sauf que le patron leur a remis un bout de papier avec un montant. Il évoquera les 45.000.000 euros sortis d’Algérie pour l’acquisition des stations de dessalement et qui ont pris une autre direction. A la fin, M. Badsi dira: «Aberrant, aberrant! irrégulier! irrégulier!», en parlant de la gestion de Khalifa Bank. Après lui, c’est M. Khamoudj Med, directeur général de l’inspection générale de la Banque d’Algérie, qui fut entendu. Il évoquera lui aussi toutes les carences rencontrées au niveau de la banque. Il fut gêné par certaines questions concernant le manque de réaction de la BA, après le constat de toutes ces irrégularités.

Mardi 23 janvier

Ce jour, c’est M. Bensadok, un membre de la commission bancaire, qui apporta son témoignage. Il déclara entre autres que la gestion de la banque se faisait dans une opacité sans pareille, indiquant que des dépôts très importants faits par les institutions publiques étaient déclarés comme étant ceux de privés. Après cela, c’était au tour de plusieurs membres de la commission bancaire de témoigner. Ce sont pratiquement les mêmes détails qui sont repris.

Mercredi 24 janvier

M. Laksaci, l’actuel gouverneur de la BA, a été interrogé durant cette matinée. Lui aussi apporte plusieurs éléments concernant la gestion désastreuse de Khalifa Bank. Il parla aussi des insuffisances constatées, des rapports établis par les différentes inspections. Il évoque aussi le dépôt par Khalifa d’une demande d’autorisation d’achat d’une banque en Allemagne, auprès de la Banque d’Algérie. D’autres révélations sont faites: l’agrément de la Banque Khalifa était caduc, car manquant de plusieurs éléments essentiels en particulier la délibération et le nom du PDG de Khalifa Bank. Après lui, M. Touam Ali affirmera que ce qui est resté à l’étranger n’a pu être comptabilisé et ne pourra être rapatrié que très difficilement.

Jeudi 25 janvier

Tout le monde apprend la sortie médiatique de Abdelmoumène Khalifa qui déclare à partir de Londres: «Mon affaire est une affaire d’Etat, car je détiens des secrets d’Etat que je ne suis pas près de révéler actuellement !» A Blida, c’est M. Terbèche Mohamed, l’ex-ministre des Finances, qui témoigne. Il parle d’un rapport confidentiel disparu – « nous l’avons cherché sans le trouver ». Il soulignera par la suite l’incapacité du ministère de trouver le cadre juridique pour porter l’affaire de Khalifa devant la justice. La présidente lui rappela qu’il aurait pu saisir le garde des Sceaux et trouver une solution.

Samedi 27 janvier

M. Medelci Mourad, ex et actuel ministre des Finances, apporte son témoignage et regrette qu’il n’ait pas pris des sanctions et des mesures conservatoires à temps. Il essaiera malgré tout de justifier les facilités qu’a eues Khalifa par le fait que l’Algérie avait besoin d’investisseurs et que les gestionnaires ne pourraient deviner que Abdelmoumène Khalifa voulait seulement saisir cette occasion pour prendre autant de milliards qu’il le pouvait. Il affirma en outre que cette affaire avait ouvert les yeux du gouvernement qui a mis un train de mesures pour que pareille chose ne se renouvelle.

Dimanche 28 janvier

Au cours de cette journée, la juge rappelle à l’ex-directeur de l’agence d’El Khalifa Bank d’El-Harrach, Aziz Djamel, sa déposition devant le juge d’instruction, dans laquelle il avait affirmé qu’il avait remis la somme de 6,5 millions de dinars à un agent de sécurité, sur une simple présentation de la carte de visite de Sakina Tayebi, DG de Khalifa Airways. Aziz a précisé que «la carte de visite portait la signature du PDG d’El Khalifa Bank».

Il a aussi été question des cartes pour bénéficier des cures de thalassothérapie, au profit de «certains des clients Khalifa Bank», dont les responsables d’entreprises qui ont déposé des fonds auprès de l’agence d’El-Harrach. Selon la juge, il existe «une liste nominative de 39 responsables d’entreprises et d’organismes, ayant déposé des fonds auprès de cette agence bancaire, qui ont bénéficié de ces cartes, lesquelles cartes ont effectivement été utilisées». Le directeur de la caisse principale, Akli Youcef, a quant à lui déclaré qu’une partie des écrits est arrivée à la caisse principale, «sans les sommes transférées».

T. Mansour