Douzième jour du Procès Khalifa hier au tribunal criminel de Blida

Douzième jour du Procès Khalifa hier au tribunal criminel de Blida

Un inspecteur général qui ignore la loi

El Watan, 23 janvier 2007

Surprenantes étaient, hier, les déclarations du directeur général de l’inspection de la Banque d’Algérie, Mohamed Khemoudj, convoqué en tant que témoin.

Cumulant onze années à la tête de l’inspection générale, M. Khemoudj étonne l’assistance en déclarant ne pas connaître les dispositions de la loi sur la monnaie et le crédit. Il commence par expliquer la mission de son service, qui agit sur instruction verbale ou écrite du gouverneur ou sur délibération de la commission bancaire, présidée, faut-il le rappeler, par le gouverneur. « Notre mission concerne la supervision bancaire, c’est-à-dire s’assurer de la solidité financière et des conditions de fonctionnement d’une banque. » Cette tâche peut être exécutée soit sur la base des données documentaires reçues au niveau de la Banque d’Algérie, soit en se déplaçant sur place et pour un thème bien précis et défini à l’avance. » La présidente demande au témoin (qui n’a pas prêté serment du fait qu’il a exercé sous la coupe d’un des accusés, en l’occurrence l’ancien gouverneur Abdelwahab Kerramane) d’être plus explicite. M. Khemoudj précise que l’inspection générale est élevée au même niveau qu’une direction générale, en vertu de l’organigramme de la Banque d’Algérie. « Elle a donc une mission spécifique : le contrôle sur pièce, dans une optique prudentielle du risque global de la banque », conclut le témoin. La présidente lui demande si en qualité d’inspecteur général, il peut prendre seul la décision de contrôler une banque. M. Khemoudj précise qu’il ne peut prendre une telle initiative. Elle le somme de faire état du premier contrôle effectué à El Khalifa Bank. « La première mission a été décidée sur ordre verbal du gouverneur, Abdelwahab Kerramane, elle ne concernait pas uniquement El Khalifa Bank, mais toutes les banques privées nouvellement créées à l’époque. En mai et juin 1999 et dans ce cadre, un contrôle sur place à El Khalifa Bank a été effectué. Il a donné lieu à un rapport de l’inspection sur une année d’exercice d’El Khalifa Bank remis au gouverneur. A cette époque, c’était pour avoir un maximum d’informations sur la situation financière, le bilan, les statistiques pour pouvoir faire une évaluation sur les banques et savoir si elles sont confrontées à des difficultés ou non. » M. Khemoudj relève, néanmoins, que les statistiques transmises par El Khalifa Bank à la Banque d’Algérie arrivaient toujours en retard. « Un retard inadmissible ? », interroge la juge. Le témoin : « Théoriquement inadmissible, puisque le délai imparti est d’un mois. » Il explique que les banques sont généralement classées selon « les clignotants qui s’allument et c’est à partir de cela que l’on peut affirmer s’il s’agit d’une banque à risque ou non suivi d’un contrôle sur place, cela a été le cas pour El Khalifa Bank ». L’inspecteur général affirme que le premier contrôle est d’intervenir une année après la création. « Les résultats ont été consignés dans un rapport transmis au gouverneur et à la commission bancaire. » La présidente fait revenir le témoin au premier contrôle de 1999, effectué sur ordre verbal du gouverneur, Abdelwahab Kerramane. Une façon, pour elle, de lui éviter de rester dans les généralités. « Qu’avez-vous fait exactement en tant qu’inspecteur général », demande-t-elle. Khemoudj déclare qu’il s’agit d’une évaluation globale des risques au sens prudentiel, c’est-à-dire voir si la banque réunit les conditions de fonctionnement et s’il existe un équilibre financier. « Dans ce constat global, l’aspect conditions de fonctionnement avait des insuffisances. Exemple : le changement des cadres dirigeants de la structure et de son actionnariat sans l’autorisation de la Banque d’Algérie. Il a été enregistré aussi des insuffisances en matière de reporting monétaire, qui ne se faisait pas normalement. Pas de procédures d’octroi de crédits à la clientèle, carence dans la maîtrise de la gestion bancaire, etc. ». Le témoin affirme avoir remis le rapport détaillé de ce constat au gouverneur, qui lui a donné instruction de le notifier au PDG, Abdelmoumen Khalifa, dans le but que ce dernier puisse apporter des réponses aux carences et d’y remédier. « Dans la réponse du PDG d’El Khalifa Bank, celui-ci s’est engagé à prendre en compte les remarques de l’inspection et à prendre des mesures pour les corriger et à se mettre en conformité avec la réglementation. » La présidente demande si cet engagement est suffisant pour le gouverneur devant un tel constat. L’inspecteur général, un peu gêné, tente de se justifier : « Il a donné un temps à El Khalifa Bank pour corriger les insuffisances. » Une réponse qui irrite la magistrate, au point que celle-ci a lancé au témoin : « Je ne peux parler d’insuffisances, mais de violation de la loi sur la monnaie et le crédit. Comment peut-on rattraper une violation de la sorte ? » Après un silence de quelques secondes, M. Khemoudj déclare : « Il y avait un problème de compétence. M. Kaci était un banquier, ce qui n’était pas le cas pour Moumen. Une correspondance lui a été adressée à propos du changement des dirigeants pour lui demander de corriger la situation, mais cela n’a pas été le cas. » L’inspecteur général précisera également que la banque privée qui avait le statut de SPA n’avait aucune délibération du conseil d’administration ou de l’assemblée générale de ses actionnaires. « Ce qui est en porte à faux avec la réglementation. »
« Une autre violation des règles »
La présidente rappelle au témoin ses déclarations devant le juge au sujet des crédits accordés par El Khalifa Bank. « Il y avait absence de procédure en matière d’octroi : ni étude du risque ni suivi pour le remboursement. Il n’y avait aucune procédure interne. De même que nous avons constaté qu’il y avait un seul commissaire aux comptes après la démission de Dechmi de son poste. Une autre violation des règles. Il a été constaté une non-maîtrise de la gestion dans le sens de l’évaluation des risques. » Toutes ces remarques concernent bien sûr la première opération de contrôle. Celle-ci a été suivie par une seconde, qualifiée par le témoin de contrôle de suivi, du fait que la banque était déjà déclarée à risque. C’était en mars 2000. La juge revient à la charge et interroge l’inspecteur général sur les mesures prises à la suite du premier contrôle. « Entre le premier et le second contrôle, je retiens en mémoire la convocation du PDG par le gouvernement », répond le témoin avant d’être stoppé net par la présidente. « Je veux savoir s’il y a eu des sanctions », demande-t-elle. « Il n’y a pas eu de sanctions, mais nous sommes repartis pour un deuxième contrôle en février 2000, une inspection complémentaire. Nous n’avons constaté aucune amélioration et aucune prise en charge des remarques soulevées par l’inspection d’avant. » Le juge l’interroge sur le compte d’ordre, lequel selon le témoin a attiré l’attention des inspecteurs au début. « Il commençait à prendre de l’ampleur. Il y avait des écritures internes, intersièges, débouclées au sein de la banque. C’est cela la grande préoccupation. La banque devait nous donner des détails sur ce compte. Il y avait aussi les créances sur la banque centrale, les banques commerciales, la clientèle commerciale, parce que le risque avait dépassé le seuil toléré de 5% pour les nationaux, les 20% pour les étrangers et les 100% pour la clientèle. » Selon M. Khemoudj, rien n’a été respecté en matière de crédit. La présidente lui fait savoir qu’entre le premier rapport et le second, sa situation a empiré. « La banque devait corriger les irrégularités, mais à la seconde inspection rien n’a été fait ». Il signale que les deux premières inspections ont été suivies d’une troisième pour « tirer au clair » le compte d’ordre. « Le constat a empiré. Des signes de difficultés, non-maîtrise de la gestion et incapacité de donner une réponse au problème du compte d’ordre. » « Est-ce que vos rapports ont été remis au gouverneur ? », demande la magistrate. Le témoin affirme que toutes les conclusions des inspections ont été adressées au gouverneur de la Banque d’Algérie et celles qui ont été faites sur délibération de la commission bancaire ont été transmises à celle-ci. Quelque temps après, l’inspecteur général affirme avoir reçu l’instruction du gouverneur pour partir une troisième fois à El Khalifa Bank, entre juin et septembre 2000. « En juin 2000, le gouverneur a reçu Abdelmoumen Khalifa, PDG d’El Khalifa Bank, pour lui résumer la situation et le sommer de se mettre en adéquation avec la réglementation. C’est ce qui ressort du procès-verbal de cette réunion ». La présidente s’interroge sur la légalité de cette manière de faire. L’inspecteur général refuse de répondre, poussant la juge à reformuler sa question : « Si c’était une autre banque, est-ce que le gouverneur aurait invité le PDG à son bureau ? » Le témoin, visiblement gêné, déclare : « Je pense que tous les PDG de banque ont pour habitude de demander des audiences au gouverneur et ce dernier les reçoit. » M. Khemoudj ne répond pas à la question relative à l’obligation de la Banque d’Algérie, en vertu de la loi sur la monnaie et le crédit, de déposer plainte contre une banque en cas de violation de la loi. Un silence qui oblige la juge à passer à la troisième mission de contrôle à El Khalifa Bank et qui a confirmé le constat des deux premiers : « Un système de comptabilité qui n’assure pas la fiabilité et l’exhaustivité de l’information ». La magistrate demande si la loi donne à l’inspection d’autres mécanismes d’intervention en dehors du simple constat. « Tous nos rapports sont restés sans réponse et les engagements de Moumen à se mettre en conformité n’ont pas été respectés, puisqu’il y a des changements continus des cadres dirigeants et le siège de la banque n’appartient pas à celle-ci (loué). Ce qui veut dire que la banque présente un risque réel. » Révélation qui fait rebondir la magistrate. « A ce stade de violation et la commission bancaire ne s’est pas remuée ! » Le témoin, comme pour se justifier, précise : « Tous nos rapports ont été soumis au gouverneur, qui nous a par la suite donné instruction de les remettre à la commission bancaire, puisque c’est à son niveau que se prend la décision. » Le procureur général intervient : « Vous remettez vos rapports au président de la commission bancaire, qui est le gouverneur, ou au secrétariat de la commission ? » Le témoin tergiverse et donne une réponse évasive, affirmant toutefois avoir remis le 3e rapport en octobre 2000. Cette mission a été suivie par une quatrième inspection, dite transversale, pour évaluer la participation des banques, y compris El Khalifa Bank, c’est-à-dire voir si ces dernières n’ont pas des participations dépassant les 50% de leurs fonds propres. « Cela n’a pas été le cas d’El Khalifa Bank, mais on a constaté qu’elle accordait des crédits qui dépassent les 73% de ses fonds propres à des entités détenues par le PDG. » La présidente : « Vous trouvez donc plus de violations. N’était-ce pas le moment de tirer l’alarme ? » Le témoin se confine dans un silence de marbre puis lâche : « Je ne réponds pas à cette question. » Il affirme avoir rédigé un rapport de mission remis au gouverneur au mois de novembre 2000 et en décembre 2000, une cinquième mission est déclenchée à l’agence Khalifa de Blida sur requête d’un opérateur. Là aussi, le témoin précise avoir remis le rapport à qui de droit. La juge l’interroge sur le contrôle d’octobre 2001, qui, selon M. Khemoudj, était une évaluation prudentielle, relative aux taux déclarés par El Khalifa Bank, et deux ratios de solvabilité. « Ces taux n’avaient pas atteint les 4 ou 5% tolérés au mois de juin 2000, il fallait donc libérer les 75% du capital social. Cette mission a été faite sur injonction verbale du gouverneur. La banque était dans l’obligation de libérer les 75% pour la récapitalisation. » Le sixième contrôle est omis par l’inspecteur général, qui néanmoins se rappelle du 7e, fait en novembre 2001, et qui touchait le commerce extérieur d’El Khalifa Bank. Cette mission a été décidée sur instruction verbale du gouverneur toujours. « Il fallait contrôler les opérations de domiciliation, mais le contrôle se faisait au niveau interne de Khalifa. Si celle-ci ne peut le faire, elle s’adresse à la direction du contrôle de change de la Banque d’Algérie pour statuer. » Tous ces rapports accablants sont pourtant restés que des constats, « car l’inspection générale ne fait que des constats », même dans le commerce extérieur.
« Les transferts de khalifa airways n’étaient pas autorisés »
Les inspecteurs ont relevé « des dysfonctionnements ou entorses à la réglementation ». Le témoin semble avoir peur d’utiliser les mots qu’il faut. « Les déclarations sur le rapatriement de devises étaient entachées, les dossiers de domiciliation non justifiés par des épurements, les transferts de Khalifa Airways à travers les contrats de leasing non autorisés, de même que certaines autorisations de prestation, les autorisations d’aviation civile non accordées », révèle le témoin, faisant même dire à la présidente : « Une situation encore plus dramatique qu’avant. » M. Khemoudj fait un signe de la tête, comme pour confirmer les propos de la magistrate. « Sur les 20 dossiers de domiciliation, seuls deux étaient autorisés, deux autres avaient un accord provisoire. La procédure n’était pas respectée. Les crédits accordés aux clients étaient quatre fois plus importants que le capital de la banque. Autant d’éléments graves, consacrés dans un rapport remis au gouverneur. » Il affirme que ce rapport a été remis également au nouveau gouverneur Laksaci. « A ce moment, la loi sur la monnaie et le crédit a été amendée, et avant le gouverneur de la Banque d’Algérie ne dépendait pas du ministère des Finances », déclare M. Khemoudj. La juge fait remarquer que la loi imposait le dépôt de plainte par la Banque d’Algérie. « Je ne sais pas », répond le témoin. « C’est impossible ! Vous êtes inspecteur général, vous connaissez la loi sur la monnaie et le crédit. » Le témoin se ressaisit : « Je n’ai pas compris la question. » La présidente lui rappelle ses propos, selon lesquels les inspecteurs de la Banque d’Algérie n’étaient pas assermentés et ne pouvaient donc faire le constat des infractions. « Nous n’avions pas d’inspecteurs assermentés et la loi dit… » Une affirmation qui pousse la juge à l’interrompre : « Vous connaissez les détails. Par honnêteté intellectuelle, dites-nous la vérité ? » Le témoin : « Franchement, la question ne s’est pas posée. C’était la première fois où nous avons été confrontés à une telle situation. » La juge : « Est-ce l’absence d’agents assermentés qui ne vous a pas permis de déposer plainte ? » Le témoin : « S’ils étaient assermentés, il y aurait des PV et des dépôts de plainte. » Sur la question de savoir si le ministre des Finances en a été informé, le témoin déclare que l’inspection, après avoir transmis le rapport, a eu une réponse signifiant que le document lui a été adressé dans le cadre de la loi. Interrogé sur la répression de certaines infractions par le code pénal, l’inspecteur général se refuse à toute réponse. La juge revient à la charge : « Rien ne vous empêchait de faire des rapports détaillés, pour un dépôt de plainte, n’est-ce pas ? » L’inspecteur général reste de marbre. Elle insiste : « La loi 96 rappelle les sanctions et on a laissé faire jusqu’à l’affaire des 2 millions d’euros saisis à l’aéroport, et Dieu seul sait combien de centaines de millions sont partis comme cela. » Le témoin revient à la mission de contrôle de novembre – fin décembre 2002, à l’époque de Laksaci et qui était plus approfondie, puisqu’elle a eu comme conséquence le gel des transferts des mouvements de et vers l’étranger. « Le rapport a été rédigé le 29 novembre. Etant donné que nos agents n’étaient pas assermentés, on a fait appel à l’inspection générale des finances (IGF) dans la perspective d’établir les infractions. Dès la prestation de serment et la publication de l’arrêté du ministère de la Justice, le 30 juillet 2002, l’IGF est repartie. Les inspecteurs de la Banque d’Algérie ont arrêté et établi les procès-verbaux d’infraction, au total 9, transmis au ministère des Finances, mais l’ordonnance 87-55 ne permet pas au ministre des Finances de déposer plainte. Il fallait attendre les suites à donner. Entre temps, il y a eu l’amendement de l’ordonnance 96 pour habiliter le gouverneur à aller en justice. » L’inspecteur général affirme qu’El Khalifa Bank avait cumulé 93 milliards de dinars en dépôt et accordé 10,5 milliards de dinars en crédit. Il confirme qu’en dépit du gel des transferts à l’étranger, les mouvements se sont poursuivis, dont des transferts illicites. Il refuse néanmoins de répondre à la question relative à l’existence ou non des traces de ce dossier. Le procureur général tente de comprendre la double casquette que détenait le gouverneur en tant que gouverneur et président de la commission bancaire. « Est-ce que le 5e rapport de mission a été envoyé à la commission bancaire ? » Le témoin signale qu’il l’a remis au gouverneur, du fait que c’est lui l’initiateur « verbal » de l’enquête. Il explique que la commission peut à travers les constats exiger de la banque un redressement de la situation, avant d’aller aux sanctions. M. Khemoudj affirme que sa mission est de faire un constat. Le devenir des 10 rapports des mission de contrôle en 3 ans ne le concerne pas. Il déclare que le premier PDG d’El Khalifa Bank, M. Kaci, avait informé le gouverneur de la cession de ses parts de la SPA. Le témoin refuse de nombreuses questions, sous prétexte que sa mission était limitée par la loi sur des points techniques. Il précise que les exercices 1998, 1999 et 2000 de Khalifa parvenaient en retard et leur certification, à part 1998, étaient entachés de réserves relatives à la fiabilité de la comptabilité. Il estime ne pas connaître l’origine de 75% du capital versé, selon lui, à la Banque d’Algérie, et dont il ignore s’il s’agit d’un chèque ou d’espèce.

Salima Tlemçani