L’indice de la peur

L’indice de la peur

par M. Saadoune, Le Quotidien d’Oran, 14 décembre 2014

On s’inquiétait d’un baril sous la barre des 70 dollars, le voici déjà en dessous de 60 dollars depuis jeudi. Et les pronostics vont bon train sur un baril à 50 dollars, voire pire, à partir de 2015. Le choix aux motivations politiques – et non économiques – imposé par l’Arabie Saoudite à l’Opep de ne pas défendre les prix en réduisant la production pèse lourdement. Difficile de ne pas se souvenir de la stratégie saoudienne du milieu des années 80 dont l’impact a été considérable pour l’Algérie.

Les responsables algériens donnent l’impression de reproduire le discours en vigueur à cette époque-là sur la « préparation» du pays à la crise… En réalité, on est «tranquille» au mieux pour trois ans… beaucoup moins si les prix tardent à se redresser. Or, la tendance à la baisse est forte et durable. Le baril a perdu 45% de sa valeur depuis la mi-juin où il se situait à 106 dollars. Jeudi, il est passé à 58 dollars, son plus bas niveau depuis 2009. Les facteurs économiques sont connus : excès de l’offre et faible croissance économique. Mais la neutralisation de l’Opep par l’Arabie Saoudite ne peut s’expliquer par une volonté présumée de concurrencer le pétrole de schiste américain.

Abdelmajid Attar, l’ancien PDG de Sonatrach, a remarqué à juste titre que la baisse des prix du pétrole peut entraîner une réduction voire des annulations de projets futurs aux Etats-Unis. Cela s’exprime d’ailleurs à la Bourse de New York par une baisse de la cotation des entreprises pétrolières et une hausse du fameux «indice de la peur» ou indicateur de volatilité établi quotidiennement par la Bourse de Chicago. Mais il existe une capacité déjà installée aux Etats-Unis de production d’huile et de gaz non conventionnel de l’ordre de 2,6 millions barils par jour. Cette production ne va pas disparaître. L’idée que l’Arabie Saoudite mènerait une guerre contre les pétroliers américains laisse d’ailleurs incrédules la plupart des analystes.

L’explication la plus simple – qui n’est pas la plus simpliste – est que l’Arabie Saoudite qui n’a pu l’emporter sur l’Iran en Syrie et en Irak a entrepris de l’attaquer dans le domaine économique. Les Américains y trouvent leur compte car la baisse des prix affaiblit aussi la Russie et le Venezuela. L’Algérie qui n’a étrangement pas ouvertement défendu l’option de la défense des prix lors de la réunion de l’Opep est dans la même galère. Le FMI vient d’exprimer ses «inquiétudes» pour l’avenir de l’économie algérienne en préconisant – ce n’est pas une surprise – des mesures qui vont dans le sens de l’orthodoxie libérale. Il reste que cette chute des revenus pétroliers – et l’absence de renouvèlement des réserves – commande de sortir de certaines situations absurdes. En Algérie, les prix du carburant, de l’électricité et de l’eau sont fortement subventionnés et cela donne lieu à d’énormes gaspillages. Il faut bien s’y attaquer, même de manière progressive, mais son maintien n’est pas soutenable. Et surtout il faudra négocier les années «maigres» qui arrivent.

L’Algérie est bien à un tournant aussi bien politique qu’économique. Il ne peut être négocié, sans créer de situation de rupture grave, dans l’opacité entre ceux qui ont des entrées dans le système et qui en font partie. Le remède FMI peut agréer aux forces de l’argent, il ne peut l’être pour la majorité des Algériens. Les choix ne sont jamais purement techniques. Il n’y a pas de sciences économiques disent les meilleurs économistes. Il n’y a que de l’économie politique. Les classes populaires ont été la variable d’ajustement au cours des années 80-90. Il n’est pas sûr, malgré leur distance à l’égard de la politique, qu’elles accepteront de l’être à nouveau.