Les entreprises publiques quittent le FCE !

Crise au sein du patronat algérien

Les entreprises publiques quittent le FCE !

Par : Meziane Rabhi, Liberté, 5 mai 2010

Certains observateurs ont lié cette défection aux dernières sorties médiatiques du Forum des chefs d’entreprise. M. Réda Hamiani ne veut pas le croire.

Les entreprises publiques, et pas des moindres, membres du Forum des chefs d’entreprise, ont décidé de quitter cette importante organisation patronale. Air Algérie, SNVI, Saidal, Socothyd, Groupe industriel du papier et de la cellulose (Gipec), l’entreprise de distribution de produits chimiques (Diprochim), Agenor, Onab, pour ne citer que ces grandes sociétés, ont décidé de ne pas renouveler leur adhésion au Forum des chefs d’entreprise. “Nous déplorons cette situation. Avec le temps, nous avons développé des relations d’entente”, nous a indiqué, hier, M. Réda Hamiani, président du FCE, précisant que les entreprises qui ont claqué la porte “seront toujours les bienvenues au sein du forum”. Cependant, le président du FCE n’avance aucune raison qui a poussé Air Algérie, Gopic et les autres à partir.
Mais certains observateurs ont lié cette défection aux dernières sorties médiatiques du Forum des chefs d’entreprise. M. Réda Hamiani ne veut pas le croire. “Le FCE est un allié objectif des pouvoirs publics, concernant la politique économique”, affirme M. Hamiani. Le Forum des chefs d’entreprise a, depuis sa création en 2000, accompagné avec un regard lucide l’ensemble des réformes engagées par les pouvoirs publics.
Il a appuyé ces réformes quand elles lui paraissaient utiles et a aussi, quelquefois, émis des réserves quand elles lui ont paru inadaptées. C’est le cas pour la loi sur les hydrocarbures sur laquelle le FCE a été la seule organisation à avoir alerté à l’époque les pouvoirs publics sur les risques d’une libéralisation trop large.
Le FCE, tout en exprimant son soutien au gouvernement au moment de la conclusion de l’accord d’association avec l’Union européenne, de même pour l’adhésion à l’OMC, a insisté sur les mesures à prendre pour que la production nationale soit préservée des méfaits de la concurrence. Le forum avait aussi non seulement souhaité mais aussi fortement encouragé les différents plans de relance initiés par les pouvoirs publics. “Jamais nous avons été opposés à la politique économique du gouvernement”, indique M. Hamiani, expliquant que le forum a joué le rôle de modérateur, reflétant le vécu des entreprises sur le terrain. Le président du FCE insiste que “nous ne nous sommes pas opposés aux mesures du gouvernement. Nous avons compris le bien-fondé des corrections. Concrètement, nous cherchions à organiser des rencontres ciblées pour voir dans quelles mesures des facilitations peuvent être mises en place, pour que le mode opératoire soit rendu plus efficace et utile à l’économie”. Même sur la question des salaires, le président du forum précise que sur le plan du principe, l’augmentation du pouvoir “est une bonne chose”. Mais, il a insisté sur la question de la productivité qu’ils considèrent comme déterminante. “C’est un coût que l’entreprise supporte. Il faut équilibrer les choses”, souligne-t-il. Il est, en effet, suffisamment admis que les hausses des salaires ont un caractère inflationniste dès lors qu’elles excèdent les gains de productivité, ceci d’une part. Elles ont, d’autre part, tendance à se détruire elles-mêmes par l’effet dépressif qu’elles exercent sur l’emploi, car les entreprises ne peuvent supporter indéfiniment une forte divergence entre les progrès de la productivité et ceux des coûts salariaux, à moins de répercuter ces derniers dans leurs prix de vente.
Le FCE ne veut pas alimenter la polémique. Il se veut, au contraire plus constructif, privilégiant le dialogue. En effet, une bonne connexion, les chefs d’entreprise et les pouvoirs publics, paraît tout aussi indispensable. Elle l’est d’autant plus que, dans notre pays, il s’agira de veiller à ce que le fossé soit constamment réduit entre les bonnes intentions affichées dans les programmes d’action des autorités publiques et la réalité concrète que vivent les entreprises.
Elle est également indispensable pour une relance durable et solide de la croissance économique dans notre pays. Le plus grand danger qui guette aujourd’hui notre pays est celui d’avoir à consommer des ressources rares, fruit de ses richesses naturelles et non du travail de ses enfants, sans créer les conditions de leur renouvellement au bénéfice des générations futures.
D’où la nécessité d’une véritable démarche de développement économique centrée sur l’entreprise. Une démarche sur laquelle un véritable consensus mérite d’être organisé.


Wahid BouabdAllah, P-DG d’Air Algérie, à propos de son retrait du FCE

“Je ne veux pas servir de faire-valoir”

Par : Nabila Saïdoun

Le forum des chefs d’entreprise enregistre des retraits en cascade de plusieurs entreprises publiques dont le nombre s’élèverait, jusqu’à présent, à plus d’une dizaine. C’est Wahid Bouabdallah, P-DG d’Air Algérie, qui a ouvert le bal en signifiant son retrait depuis déjà une quinzaine de jours, selon son affirmation, et ce, pour moult raisons. “Il n’est pas question de servir de faire-valoir”, commencera-t-il par expliquer, faisant part de son refus catégorique de continuer à cautionner une démarche ayant aucune “visibilité”. Contacté par nos soins, le responsable de la compagnie nationale s’est longuement attardé sur les raisons de son adhésion au FCE qu’il estimait être le cadre idoine pour la concertation en guise de véritable forum et non comme une corporation. “Le FCE est censé défendre les intérêts de l’entreprise sans discrimination aucune entre le public et le privé”, a-t-il déclaré, déplorant son exclusion des décisions stratégiques. “Il y a eu des positions et des déclarations sur lesquelles il n’y a aucune concertation. Je citerai, entre autres, la question de l’augmentation des salaires, mais surtout une critique acerbe contre la vision économique de l’État. C’est ce que je ne peux tolérer”. En effet, lors de la rencontre du FCE en avril dernier à El-Aurassi, le président du FCE, en l’occurrence Réda Hamiani, n’a pas manqué de critiquer ouvertement la politique économique actuelle du gouvernement marquée, selon lui, “par l’augmentation exponentiel du budget d’équipement de l’État”. Il multipliera, selon les affirmations de M. Bouabdallah, des déclarations et des interviews allant à contresens de ce qu’il pourrait soutenir lui-même. “Je suis à la tête d’une entreprise publique et dont l’unique actionnaire est l’État ; je ne peux pas m’inscrire en porte-à-faux avec ses actions et visions, sinon j’aurais démissionné depuis longtemps et ce n’est pas le cas”, argumentera-t-il. L’autre couac qui a pesé dans la balance quand il a été question de retrait réside dans la position du FCE par rapport à l’augmentation des salaires dans le secteur privé. Sur ce chapitre, le FCE s’est dit, par la voix de son président Réda Hamiani, “non concerné” par les décisions de la tripartite. Et de préciser : “le FCE a un statut d’association qui ne lui permet pas d’intervenir dans la codification ou la réglementation sociale des relations de travail.”
M. Bouabdallah, pour sa part, s’étonnera que pareil comportement puisse intervenir, alors que l’État a pris louable initiative, de son avis, d’élargir son espace de concertation en intégrant le FCE même dans la tripartite.
Le patron d’Air Algérie attestera, en outre, qu’il est question là d’une décision purement personnelle et non d’une directive émanant d’une sphère. “Lorsque j’ai envie de faire de la politique, je le fais au sein d’un parti, de mon parti…”, lâchera-t-il d’un ton acerbe. Et de poursuivre : “Mais là, il s’agit d’économie, de gérer une entreprise et d’être en accord avec l’État”. Un message, on ne peut plus clair, à qui veut bien l’entendre et qui n’augure rien de bon pour le FCE au sein duquel court déjà la rumeur que ce retrait est bel et bien instruit des plus hautes instances.