Bouderbala parle de contrefaçon, fraude, corruption… : Un casse-tête chinois pour les douanes

Bouderbala parle de contrefaçon, fraude, corruption… : Un casse-tête chinois pour les douanes

par Ghania Oukazi, Le Quotidien d’Oran, 18 novembre 2014

Classés comme corps paramilitaire, les douaniers sont armés, font des entraînements et doivent être prêts à toute éventualité. La protection de l’économie nationale figure parmi leurs missions principales avec en trame de fond, la lutte contre le transfert illicite de capitaux dont les montants ont atteint des niveaux importants.

La «définition» est de Abdou Bouderbala, directeur général des douanes algériennes, quand on lui demande au début de notre discussion avec lui «où placer le corps douanier et quelle place et rôle tient-il dans le pays». D’abord, il note la sortie de promotions «durant ce mois et le mois prochain, dit-il, ce sont 1000 stagiaires qui constituent de nouvelles recrues pour les douanes, ils vont renforcer les postes de surveillance notamment ceux situés au niveau des frontières». Le corps compte actuellement, selon lui, 22 000 agents. Le DG note que ses services comptent parmi ses effectifs 3000 femmes qui, dit-il, travaillent à tous les niveaux y compris dans les postes avancés de surveillance et de contrôle, c’est-à-dire opérationnels. Son rappel que «les douanes sont un corps paramilitaire dont les agents sont armés, font des entraînements, interviennent pour protéger l’économie nationale donc doivent faire face à des problèmes de sécurité», le laisse dire que «hommes et femmes sont soumis aux mêmes tâches selon les postes qu’ils occupent». «Je ne tolèrerais aucun manque de respect aux femmes douanières, d’ailleurs, je n’ai jamais eu à traiter ce genre de problème durant les 9 ans que j’ai passé à la tête de ces services», ajoute-t-il.

«Nous avons à former durant le prochain quinquennat 8000 nouveaux agents, ils remplaceront ceux arrivés à l’âge de la retraite, le rajeunissement des effectifs de la douane à tous les niveaux est pour nous très important», affirme Bouderbala. Les effectifs des douanes devront atteindre alors le nombre de 30 000 agents. Est-ce suffisant pour un pays aussi vaste que le nôtre ? lui demandons-nous. «Il n’y a pas de normes internationales à cet effet, le nombre doit être en fonction des préoccupations du pays et de l’importance du travail quotidien devant être accompli», explique le DG. «En Algérie, le travail des douanes ne se limite pas au recouvrement de la fiscalité, bien qu’il soit au centre de ses services parce qu’il se fait pour le compte du budget de l’Etat, elles sont aussi chargées de la protection de l’économie nationale, ce qui nous oblige à avoir un nombre d’effectifs conséquent», dit-il.

EN ATTENDANT LES HELICOPTERES

En ces temps de profondes perturbations sécuritaires, les postes de surveillance des frontières sud du pays sont en évidence prioritaires dans le renforcement «des troupes». L’instruction signée il y a plus d’un mois par le 1er ministre oblige la direction générale des douanes à recruter localement aux postes sud. «70% sont issus de ces régions frontalières, ces agents connaissent bien le terrain et se déplacent sans grande difficulté», indique-t-il. Les douaniers sortent sur le terrain, au même titre, dit leur DG, que les autres services de sécurité (militaire et renseignement). «Ils sont dans des brigades mixtes et opèrent des patrouilles, montent des barrages, activent en brigades mobiles, leur présence est sur l’ensemble du territoire national, on peut tomber sur un barrage de douanes à n’importe quel endroit du pays», dit Bouderbala. Rappel lui est fait de la création en 2010 d’une direction du renseignement douanier. «La DRD est entrée en fonction en 2012 en organisation avec tous les services concernés, on a même eu recours à l’assistance internationale pour définir ses missions et les méthodes de recherche et de collecte du renseignement», nous a-t-il précisé. Il affirme que la direction en question possède une banque de données au niveau central avec des ramifications régionales. Bouderbala souligne en outre que la surveillance du territoire par les douaniers doit aussi se faire par hélicoptère. Son objectif est d’en doter ses brigades. En attendant, ils possèdent des véhicules tout-terrain et autres équipements de transmission. «La DG dispose de ses propres moyens de transmission, un poste central avec des relais régionaux en réseaux de fibre optique, et est en phase d’acquérir le GPS pour la localisation, avec en projet une puce pour celle des containers».

RETARDS DANS LA REALISATION DE POSTES DE CONTROLE

Bouderbala rappelle la décision du gouvernement de construire aux frontières du pays 86 postes douaniers de surveillance. Mais il reconnaît que «la réalisation d’une grande partie d’entre eux a été retardée à cause des lenteurs enregistrées par celle des programmes d’équipements». Il dit que les «six premiers postes qui ont été achevés se trouvent du côté de Tlemcen parce que la contrebande est importante au niveau des frontières ouest du pays». Comme reconnu par tous les responsables, les carburants et les produits subventionnés sont les plus touchés. Le trafic de drogue reste à n’en pas douter celui le plus effarant à ce niveau. «Les liens des trafiquants avec le crime organisé transnational est établi», affirme le DG des douanes. «Nos frontières ouest sont en dents de scie, il y a un mouvement de véhicules et pas des moindres, et de personnes parce que ces frontières sont habitées, ce qui permet l’intensification de la contrebande dans ces régions.» L’on pense que le trafic de drogue est bien plus important ces dernières années, lui avions-nous dit. «Non, si on intercepte de grosses quantités de drogue, c’est parce qu’aujourd’hui le travail de surveillance et de contrôle est plus efficace.» Il fait savoir que plus de 211 tonnes de cannabis ont été saisies en 2013. «N’oubliez pas, dit-il, qu’on est voisin du premier producteur de cannabis dans le monde, il faut bien qu’il l’écoule.» Que font les services douaniers de toute cette drogue ? interrogeons-nous. «C’est la justice qui est chargée de la détruire, on ne peut en laisser un seul gramme chez nous», affirme Bouderbala. Il fait savoir ainsi qu’ «il y a tout un programme de recyclage, de spécialisation, de mise à niveau du corps douanier pour être apte à affronter les défis notamment avec la diversité des actions qu’il entreprend pour se moderniser».

Les postes supérieurs des douanes sont, note-il au passage, pourvus sur concours en plus du niveau universitaire exigé. «La majorité de ces postes sont occupés par des diplômés des universités, de l’Ecole nationale d’administration avec en plus la formation qu’ils ont été tenus de faire pour être aptes au service douanier.» Il dit faire de la formation «une préoccupation constante parce que la modernisation du matériel et des équipements ne suffit pas à elle seule pour développer une institution et lui assurer la performance de ses services». A propos de «performance», Bouderbala revient au recouvrement fiscal qui, affirme-t-il, «s’est amélioré, le travail avance en profondeur grâce à l’introduction de nouvelles méthodes de prélèvements et de contrôle de l’assiette fiscale».

FAUSSES DECLARATIONS ET TRANSFERTS ILLEGAUX

Pour l’année 2013, le DG des douanes fait état d’un montant de prélèvements de l’ordre de 1000 milliards de dinars et à novembre 2014, «il est près de 8000 milliards DA avec pour objectif atteindre le même montant que celui de l’année dernière». Chose qui pourrait être contredite par une réalité qu’il décrit, «les importations ont diminué notamment pour celles des carburants dont les quantités importées l’année dernière ont été entre 5 et 7 milliards de dollars alors que cette année, elles sont en nette diminution parce que la production nationale a repris son rythme». Ceci, sans compter qu’en signant l’accord d’association avec l’Union européenne et un autre de libre-échange avec la zone arabe (ZALE), l’Algérie ne perçoit plus ou a baissé un certain nombre de taxes sur un grand nombre de produits importés. Mais il reste optimiste pour que le montant du recouvrement «gonfle» parce qu’il assure qu’ «il y a une reprise d’une meilleure collecte de l’impôt et taxe grâce à une meilleure maîtrise de l’assiette fiscale et à une nouvelle méthode déterminant les valeurs déclarées des marchandises importées». Il explique que «ce sont des valeurs fourchettes que définit une commission des douanes avec ses partenaires comme la CACI, ceci pour déterminer leurs prix approximatifs en fonction de ceux qui leur sont fixés à travers le monde, c’est une centrale des prix». Les produits les plus concernés par ces «valeurs fourchettes» sont, dit-il «ceux sensibles à la fraude comme l’électroménager et les cosmétiques». Avec ça, la valeur fourchette n’est pas la solution miracle pour empêcher les fausses déclarations faites par les importateurs. Le DG des douanes reconnaît d’ailleurs que «c’est un vrai problème que de cerner les valeurs, c’est un véritable casse-tête chinois pour toutes les douanes du monde». Pis, il déclare que «ce problème est à l’origine de dérives graves qui cachent le transfert illicite de capitaux et le blanchiment d’argent, à cause d’opérateurs qui domicilient leurs importations avec des valeurs importantes mais en déclarent de très faibles». Bouderbala ne nie pas qu’ «il existe beaucoup de ces affaires ces dernières années, il y en a en grand nombre, des sommes importantes d’argent ont été transférées à l’étranger, les enquêtes sont en cours». La protection de l’économie nationale «dans son sens large et non pas juste en prélèvements fiscaux» a augmenté les prérogatives des douaniers, alors, dit leur DG, «qu’on pensait qu’elles allaient diminuer au regard de tous les accords internationaux que l’Algérie a signés».

LES DOUANES VEULENT UNE LOI POUR LUTTER CONTRE LA CONTREFAÇON

Bouderbala dit que ses services exploitent le manifeste des passagers que leur envoient les compagnies aériennes pour lutter contre la contrebande. La rotation des douaniers s’inscrit aussi dans le chapitre de cette lutte. Il signale ainsi que les douaniers sont tenus de respecter une rotation au niveau des points sensibles de contrôle. «La rotation est semestrielle ou annuelle, elle permet d’éviter aux agents de passer trop d’années dans un même point de contrôle, ceci pour les protéger mais aussi pour que tous fassent leur part du Sud,» affirme-t-il.

La DG des douanes a proposé en outre au ministre des Finances l’élaboration d’une loi sur la contrefaçon. «Un groupe interministériel travaille depuis trois mois pour élaborer une loi qui mette en place un cadre juridique clarifié pour mieux lutter contre la contrefaçon, en faisant intervenir plusieurs secteurs», nous fait savoir Bouderbala. Il affirme que la loi sera finalisée «sous peu».

Autre mission -nouvelle ou presque- à charge des services de douanes et que Bouderbala présente avec beaucoup de satisfaction, le partenariat avec l’entreprise. Objectif : «concilier la facilitation des échanges commerciaux et l’efficacité du contrôle douanier», dit le DG. «Ce partenariat consiste en le soutien des services douaniers à l’investissement et à l’importation des équipements pour les besoins d’une économie productive avec à la base la création d’entreprise et des richesses», explique-t-il. Partenariat qui se conclut, selon lui, par la signature par le producteur économique d’un contrat avec les douanes sur la base d’un cahier des charges. «L’opérateur agréé peut dédouaner sa marchandise à posteriori, de façon aléatoire, sur une analyse du risque». «C’est un couloir vert spécifique aux producteurs économiques, on va l’élargir progressivement aux services», dit-il. 170 producteurs économiques «dont des étrangers» sont, selon lui, partenaires des douanes dans ce cadre. «On travaille ensemble pour que la chaîne logistique de l’entreprise ne soit pas perturbée, il y a une relation de confiance entre nous, en cas de manquements aux obligations, le producteur économique perd sa qualité de partenaire et on lui retire sa carte», précise-t-il.

«NOUS AVONS TOUJOURS DES VOLEURS ET DES CORROMPUS»

Entre autres structures de facilitation douanière, 201 agréments pour l’ouverture d’entrepôts privés en plus des 71 publics, 12 ports secs et 335 aires de stationnement «avant le dédouanement des marchandises qui se fait en fonction des besoins de l’entreprise». Bouderbala compte par ailleurs 1996 opérateurs connectés au SIGAD (Système d’information et de gestion automatisée des douanes), «ils peuvent faire leurs déclarations en ligne et bénéficient de la réduction des délais de dédouanement de leurs marchandises». Il rappelle en outre que «la fonction de commissionnaire en douane (tous de niveau universitaire) a été réorganisée avec à l’appui un programme de formation, pour en faire un véritable auxiliaire professionnel des douanes».

Le DG sera interrogé sur les affaires de corruption qui gangrènent les services douaniers. «On ne les pas éradiquées, ça a diminué parce qu’il y a tout un programme de contrôle interne à charge de l’inspection générale des douanes qui, elle, a été renforcée et décentralisée», dit-il. C’est un peu la police des polices ? lui demandons-nous. «Ce sont des douaniers qui contrôlent leurs pairs, ils prennent acte de dénonciations d’abus faites par les citoyens en plus d’un numéro vert centralisé et d’un contrôle de containers par l’envoi d’une double image par liaison fibre optique, au niveau de la direction générale», dit-il. Il ajoute à ce dispositif «la formation à l’automatisation tous azimuts pour diminuer du pouvoir discrétionnaire de l’agent». Le DG avoue que «nous avons toujours des voleurs et des corrompus, c’est très difficile de nettoyer la rapine, le dépôt de plainte devant la justice est régulier, nous avons beaucoup d’affaires en justice, il y a des agents qui ont écopé de lourdes condamnations pénales ou pécuniaires et parfois des deux».

Le code des douanes est, dit Bouderbala à l’issue de cet article-interview, «fin prêt, il prendra en charge toutes les facilitations, les allégements fiscaux et procéduraux et réécrit la procédure contentieuse». Code qu’il pense «sera adapté aux attentes des opérateurs et à l’environnement». Le DG des douanes a préféré ne pas «polémiquer» sur la question du port du foulard posée par la cinquantaine de femmes parmi les 3000 que comptent ses services.