La longue attente des citoyens à Reghaïa

La longue attente des citoyens à Reghaïa

Par Abdou Seghouani, Le jeune Indépendant, 25 mai 2003

Centre-ville de Réghaïa, il est zéro heure dix minutes en cette nuit de vendredi à samedi et les sauveteurs continuent de dégager les victimes coincées sous les décombres du fameux «immeuble 10», complètement effondré, tombé comme un château de cartes. C’est la troisième nuit de fouilles dans ce qui en reste : un imposant amas de béton. Des scènes insoutenables de cadavres, de lambeaux de chair humaine arrachés du béton, parfois des cadavres intacts, mais malheureusement plus de miraculés. Les chiens renifleurs n’ont détecté que des personnes tuées par le poids du béton et la puissance de la secousse. Cinquante mètres plus loin, vers le stade de Réghaïa, la maison de jeunes abrite des familles qui ont pénétré de force dans l’établissement pour se réfugier. Il est presque une heure du matin et, à cette heure-ci, des femmes, des enfants et des nourrissons passent leur troisième nuit à la belle étoile, allongés sur des matelas en mousse : «Il n’y a pas une seule tente, nous n’avons rien vu venir depuis mercredi dernier 19h44», affirment les sinistrés. Assis dans un coin de la cour de la maison de jeunes, les hommes et les jeunes n’arrivent pas à avoir sommeil et puis il y a les immeubles à surveiller. Ce sont, en effet, les citoyens qui assistent les gendarmes dans la surveillance des édifices et bâtisses pendant la nuit. Il faut le souligner, les citoyens sont d’une lucidité extraordinaire, malgré leur immense détresse bien visible et cette angoisse que nous avons nettement perçue vers 1h 23 du matin lorsqu’une réplique s’est produite. Malgré cela, les gens adoptent un comportement digne et courageux et ne manquent pas d’indiquer : «On comprend qu’un plan ORSEC tarde à se mettre en place. Mais, trois jours d’isolement de la population d’une ville en situation de catastrophe nationale, cela démontre que notre pays est mal dirigé. Pas seulement au niveau local, mais à tous les niveaux.» Quelques instants plus tard, des jeunes m’ont demandé de transmettre leur message : «Où sont-ils ces messieurs qui tenaient des meetings avant les élections ? Nous, on savait à l’avance que ces gens-là sont des opportunistes venus amadouer la population par des promesses…» Mis à part l’armée, la gendarmerie, la Protection civile et, bien évidemment, les citoyens, pas la moindre trace des autorités politiques ou des décideurs. Qu’ils soient de l’APC, de la daïra, ou de la wilaya d’Alger. Cela à un moment où le plan ORSEC est normalement mis en place pour réunir le minimum de conditions de soutien aux opérations de secours : hébergement, restauration, transport, etc. Si les moyens humains et matériels de l’ANP sont largement à la hauteur des besoins (bulldozers, pelles hydrauliques, chargeurs sur pneus, camions de gros tonnage, soldats et officiers) et bien présents pendant trois jours, ce qui n’est – visiblement – pas le cas pour les élus du peuple (APC et députés locaux) et l’administration. Selon les citoyens et secouristes rencontrés dans la nuit de vendredi à samedi, à Reghaïa, qu’ils soient civils ou militaires, «nous n’avons pas vu ces gens-là et, s’ils sont quelque part, leur présence ne sert pas les citoyens qui sont vraiment dans le besoin». Ce que disent ces citoyens et ces soldats est loin d’être une simple affirmation. L’absence des élus et de l’administration est vérifiable sur le terrain. Ce qui est manifeste, en revanche, ce sont la solidarité et l’entraide des citoyens. Des jeunes et des moins jeunes passent au milieu de la foule pour proposer à manger à ceux qui ont faim, de l’eau minérale à ceux qui ont soif, des couvertures… Les bienfaiteurs viennent de partout Grâce à l’élan de solidarité de la population, les civils et les militaires ne manquent de rien. Notons, enfin, que le nombre de sinistrés ne cesse d’augmenter. Les éléments de la Protection civile, dépêchés de la wilaya de Constantine, font ce qu’ils peuvent mais, «nous n’arrivons pas à mettre tout le monde dans des tentes et les gens sont de plus en plus nombreux à venir au stade de Réghaïa». Un officier de la Protection civile nous avoue qu’il «prie pour que l’assistance matérielle arrive». Il est trois heures du matin. A toutes les sorties de la ville, les véhicules, fourgons et camions qui passent sont systématiquement vérifiés : «Il y a eu des vols et, par notre présence en certains endroits de Réghaïa, nous voulons surtout servir de moyen de dissuasion contre les voleurs.» A. S.