L’ANP porte ses troupes à 10.000 hommes à Boumerdès

La population et l’armée, seules face au séisme

L’ANP porte ses troupes à 10.000 hommes à Boumerdès

Le Quotidien d’Oran, 26 mai 2003

Dans de nombreuses localités de la wilaya de Boumerdès, la population et les unités de l’Armée nationale populaire ont encore affronté seules, hier dimanche, la gestion de la catastrophe humanitaire causée par le séisme qui a frappé, mercredi dernier, le Centre du pays. Boumerdès est, rappelle-t-on, la wilaya la plus durement touchée par le cataclysme.

Le bilan provisoire établi par la cellule de crise de la wilaya, hier, à seize heures, fait état de 1.273 morts et 2.911 blessés. Appelé à s’alourdir en raison des nombreux corps restés prisonniers sous des immensités de gravas et toujours dans l’attente d’être dégagés, ce bilan évalue, par ailleurs, à 1.200 le nombre des personnes disparues. Le nombre des familles ou des personnes sinistrées n’est pas encore connu.

Les villes de Boumerdès, Boudouaou, Zemmouri, Corso et Sidi Daoud offrent toutes le même spectacle de désolation, de souffrance, de colère et de désespoir. A l’instar de Zemmouri, une station balnéaire située à une cinquantaine de kilomètres à l’est d’Alger, déclarée sinistrée à 100%, beaucoup de communes n’ont encore rien vu des secours promis par les autorités. Excepté les tentes fournies par l’armée et les vivres acheminés grâce à la chaîne de solidarité créée par des citoyens bénévoles et des entreprises privées, la population de la wilaya sinistrée s’occupe de tout… d’elle-même. Le constat vaut autant pour l’organisation des secours que la conduite des opérations de recherches. Dépassés par l’ampleur de la catastrophe, les rares éléments de la protection à se trouver au centre-ville de Zemmouri, complètement dévasté, sont noyés dans les incessantes déferlantes humaines venant des wilayas limitrophes pour prêter secours et assistance. Durant toute la journée, les convois emplis de vivres n’ont pas arrêté d’affluer vers la wilaya endeuillée.

Certaines localités comme Sidi Daoud n’avaient, jusqu’à hier, reçu la visite d’aucun officiel. Plusieurs élus et responsables locaux brillent toujours par leur absence. Aux volontaires venus d’Alger, Tizi Ouzou et Bouira se mêlent de nombreux islamistes, reconnaissables à leurs longues barbes et leurs accoutrements afghans. «Ce sont des frères arrivés de Kouba», indique un citoyen de Zemmouri, affairé à mettre à l’abri quelques-uns de ses meubles épargnés par le séisme. Hormis le manque de tentes «pour mettre à l’abri les familles et cacher leur pudeur car, dit-il, elles errent dehors depuis mercredi soir, grâce à Dieu la nourriture ne manque pas», a-t-il ajouté.

La population admet que «certains d’entre eux sont sinistrés comme tout le monde». Les gens en veulent plutôt à ceux qui «ont pris la poudre d’escampette aussitôt après le drame, laissant la population livrée à elle-même». «Les premiers à venir nous voir sont les secouristes allemands et les journalistes. Sinon, pour le reste, constatez par vous-même, les gens continuent de se battre contre les bétons à mains nues à la quête de nos morts», a déclaré le fils d’un employé de la poste de Zemmouri dont la demeure est littéralement tombée en ruine, trouvé en train de fouiller sous les décombres de la mosquée de la ville dans l’espoir de parvenir à retirer les corps de deux citoyens n’ayant pu échapper à l’effondrement de l’édifice.

La rage au ventre, il renchérit: «Regardez, non seulement ils ne viennent pas mais ils ont également eu le toupet de censurer le reportage d’une journaliste de la radio qui est venue nous voir vendredi». Parsemé de tentes de fortune, l’axe Boumerdès-Sidi Daoud a été transformé en paysage apocalyptique laissant voir, en permanence, des villas éventrées, des bâtiments estropiés ou réduits à l’état de millefeuilles de béton et des habitations que l’on aurait dit passés dans d’énormes concasseurs.

Sollicité sur tous les tableaux, le commandement de l’armée qui a déjà renforcé, jeudi, la présence de ses troupes sur le territoire de la wilaya, portant ainsi leurs effectifs à 6.000 hommes, a décidé, samedi, de revoir leur nombre à la hausse. Depuis hier, ils sont plus de 10.000 militaires à se trouver sur les lieux du drame pour assurer la sécurité et prendre en charge les secours et les recherches. Pratiquement seule force organisée sur le terrain, l’armée a déjà distribué 600 tentes. Elle prévoit d’installer 2.600 autres dès aujourd’hui. Les éléments de l’ANP assurent également le ravitaillement en eau potable, avec 50 citernes et 10 camions-citernes d’une contenance de 14.000 litres.

Lors d’un point de presse donné, hier, sur les lieux du drame, le lieutenant-colonel Tadris, le responsable de cellule de communication de la 1ère Région militaire, dont dépend la wilaya de Boumerdès, a assuré que «l’apport des forces armées sera plus conséquent dans les prochaines heures». «Nous comprenons la détresse de nos concitoyens, nous leur disons que nous sommes à leurs côtés. Sachez cependant qu’il faut un minimum de temps pour déplacer nos troupes et leur matériel», a-t-il déclaré.

Accompagné du commandant du secteur opérationnel de Boumerdès, le colonel Sâal Mohamed, le responsable de la communication de la 1ère Région militaire, a, par ailleurs, attiré l’attention des journalistes sur le fait que, parallèlement à la gestion de la crise, «les unités de l’armée se focalisent également sur la lutte antiterroriste». Il est à rappeler que certaines régions de Boumerdès enregistrent encore une forte activité terroriste.

Dans le cas de la commune de Zemmouri, l’effondrement de la brigade de gendarmerie a obligé, de fait, l’armée à prendre en charge certaines missions de police pour sécuriser les nombreux camps des sinistrés qui peuplent la localité. A Sidi Daoud, une autre commune du littoral est d’Alger, les éléments d’une brigade de fusiliers marins, installée sur place depuis des années pour traquer les groupes du GSPC, ont mis, dès mercredi, leur cantonnement et leur centre médical à la disposition de la population. Dans l’attente de monter d’autres tentes, l’unité donne actuellement le gîte à 280 familles. Cette localité de 15.000 habitants, située à une trentaine de kilomètres de Dellys, une autre ville très durement touchée par le séisme, compte 80 morts et 750 blessés. Le nombre de familles sinistrées s’élève à 500. Les habitants de la localité ont indiqué que «les vivres et les médicaments qui leur sont parvenus jusque-là viennent uniquement de particuliers qui se sont constitués en coordinations». Un citoyen, rencontré à l’intérieur du camp miliaire qui sert aux familles sinistrées de Sidi Daoud de refuge, a exhorté la presse à témoigner que «la seule aide fournie à la population de la localité est venue de gens de bonne volonté et de l’armée qui étaient là depuis le début».

Zine Cherfaoui