Où va l’université algérienne ?

Où va l’université algérienne ?

El Watan, 28 septembre 2015

L’université algérienne connaît une détérioration de fait, accélérée depuis le début des années 2000. Comme dans d’autres secteurs, la politique du chiffre a fait de l’ombre à la recherche de la qualité, laquelle est restée suspendue aux discours confus des décideurs.

Ce sont des milliers et des milliers de jeunes qui arrivent aux portes des universités avec, fait inédit, des bacs évalués à hauteur de 15, 16 et des 19/20 en pagaille, posant la question de la crédibilité de l’enseignement et de son évaluation en général. Les jeunes étudiants arrivent confiants à l’université, car les notes que les correcteurs leur ont attribuées leur donnent un sentiment de surintelligence.

D’abord, il y a un changement de décor, puisque nous sommes passés de bacs de 10/20 qui donnaient d’excellents diplômés comme en médecine (jusqu’aux années 1990) à des bacs de 15/20 et plus, qui induisent une bonne partie de la communauté universitaire en erreur, mais aussi de la société. Les jeunes commencent par être confrontés aux méandres des inscriptions qui se terminent parfois par de véritables déceptions. La bureaucratie leur annonce la bienvenue au monde de la formation universitaire, que l’on confond généralement avec la formation professionnelle. A dix-huit ans, malgré les bacs surévalués, ils sont accompagnés par leurs parents qui les initient à la politique de l’assistanat.

Je suis sûr qu’ils sont nombreux, ceux qui se rappellent que leurs parents ne mettaient pas les pieds à l’université et qu’ils les responsabilisaient en les incitant à se débrouiller seuls. Seulement, les choses ne s’arrêtent pas là. Ces étudiants qui arrivent imbus de leurs petites personnes et qui ne disent pas bonjour spontanément à leurs enseignants, exposés à l’âpreté de la concurrence des efforts à fournir, sont pris de panique lorsqu’ils obtiennent leur premier 8/20, voire moins, et commencent à exiger — avec l’appui des parents qui voient des injustices émotionnées — qu’ils aient des notes au dessus de la moyenne, toujours plus hautes pour aller au doctorat, et quand cela s’avère difficile, voire impossible, ils affabulent leurs enseignants de tas de choses.

Les véritables victimes de l’histoire sont les enseignants qui sont soumis à de multiples pressions, comme celles de ne pas avoir le droit, en tout cas presque, de doubler, de sous-évaluer, d’attribuer des zéros parce que la performance de l’enseignement est mesurée en nombre de réussites et non pas en nombre d’échecs. Alors, tous les étudiants quasiment obtiennent des diplômes et tout devient subjectif.
Le marasme a pris fortement l’université algérienne, en grande partie à cause des incohérences des politiques menées et leur inadaptation avec les réalités.

Un haut responsable de l’université algérienne disait, au cours des années 1960 déjà, que la politique finira bien par pourrir les jeunes et le milieu universitaire si on ne prenait pas les mesures nécessaires pour redonner la parole aux intellectuels, aux vrais. La réalité le confirme tous les jours. Les bons n’accèdent pas aux postes de responsabilité, généralement, on les culpabilise pour ne pas les laisser assumer leur ambition, cette dernière est même diabolisée. Ce qui fait que le vide est constamment rempli par les opportunistes, les khobsistes, qui donnent un bon coup d’accélérateur à leurs carrières resautées et fabriquées de toutes pièces pour parvenir aux postes-clés et empêcher la marche de la nation.

Arrivés à leurs fins, ils pratiquent le clanisme, le tribalisme le plus bas qui puisse être pour étouffer les velléités des véritables élites qui se sentent, une fois de plus, fatiguées de ne pas pouvoir sortir de leur lutte sans fin contre la malédiction qui les frappe. Résultat : les ministres bastonnent dans leurs discours les cadres de leurs ministères respectifs en abusant des médias et en faisant dans le terrorisme d’Etat. La vie politique est théâtralisée à la Adel Imam, des scènes sont montées, «youtubées» et commentées dans la contradiction la plus déraisonnée qui puisse être.

L’université algérienne n’a pas fait l’exception, elle subit en permanence les déclarations irréfléchies des uns et des autres qui affichent leurs muscles politico-administratifs pour y semer la terreur et accentuer sa fragilité. Le bal des responsables s’accroît de jour en jour. Certains (ir)responsables se livrent à des parties de cache-cache contorsionnistes pour se maintenir le plus longtemps possible aux postes auxquels ils ont donné, dans leur faiblesse sociale, des vertus existentielles. Quitte à être les parangons de l’indignité.

Le paysage politique comme le paysage ministériel peut se prêter, désormais, facilement aux montages dramatiques des romans à la Rachid Mimouni. L’université algérienne est malade. Elle est malade des réformes et des réformettes qui s’enchaînent. Elle est malade de son inconscience de l’urgence de faire dans la philosophie du bien faire et de le faire exprès, comme elle est malade d’être incapable de trouver sa voie. Pourtant, les échéances semblent se réduire sans que rien ne change, comme si la parole de l’architecte-urbaniste Jean-Jacques Deluz devenait de plus en plus vraie. Les Algériens ne changent pas parce qu’ils ont décidé de ne pas changer.

Benkoula Sidi Mohammed El Habib