Centres de recherche en Algérie: Tant d’efforts inexploités

CENTRES DE RECHERCHE EN ALGÉRIE

Tant d’efforts inexploités

Par Kamel LAKHDAR-CHAOUCHE, L’Expression, 21 Octobre 2012

L’Algérie est classée au bas de l’échelle en matière de recherche et de réflexion selon un récent rapport mondial, relatif aux centres stratégiques.

De par le monde, les Centres de recherche et de réflexion, Think Thank, poussent comme des champignons. Le domaine de la recherche fait courir, dit-on, les spécialistes et experts de tous bords à travers le monde. Aux USA 283, on dénombre quelque 1 777 Think Thank au Royaume-Uni, 186 en Allemagne, 165 en France et une dizaine au Maroc, alors que l’Algérie n’en compte qu’un seul. Pourtant, l’Algérie regroupe des compétences dans plusieurs domaines. Cela explique donc pourquoi elle est classée au bas de l’échelle comme le souligne assez bien un récent rapport mondial, relatif aux centres stratégiques.

L’Algérie doit inciter les compétences

Au Moyen-Orient et en Afrique, le dernier rapport Global Go-To Think Thank a indiqué que le Maroc, comme la Tunisie, compte 9 Think Thank, alors que l’Egypte en compte 29, la Palestine 19 et le Liban 11, précise le rapport élaboré par pas moins de 1 200 experts, universitaires, décideurs politiques et représentants d’ONG. Ce document constitue le répertoire le plus complet sur les Think Thank dans le monde. Cette triste réalité relative au classement de l’Algérie est amèrement regrettée par le président du Centre des études des politiques publiques à l’Université d’Alger III, Réda Mezoui, soutenant qu’en effet l’Algérie connaît un manque flagrant en matière de Centres de recherche indépendants. Pour lui, l’Algérie doit soutenir et inciter les compétences nationales à investir dans la réflexion et la recherche, et ce, même dans les cercles et regroupements indépendants. Car ce genre de Centre constitue, selon Réda Mezoui, un réservoir d’idées et de connaissances portant sur des prospectives et prévisions à moyen et long termes, traitant de diverses questions nationales, régionales et internationales. Ce faisant, il souligne, à titre illustratif, qu’aux USA, les Think Thank se veulent des courtiers en idées, qui vendent des idées, mais qui sont presque ou souvent liés à des lobbys occultes. Qui «achète» ces idées?
De l’avis du président du Centre des études des politiques publiques, aux Etats-Unis d’Amérique, les Centres de recherche intéressent le président, le Congrès, le Sénat, l’Armée, des administrations, des entreprises, mais aussi les médias et les firmes d’armes etc. Et depuis quelque temps, ces Think Thank sont manifestement présents dans les médias. Ils occupent les plateaux de télévision et les colonnes des revues, fournir des spécialistes capables d’argumenter efficacement pour leurs valeurs, leurs idéologies et leurs propositions pour pouvoir construire des opinions. Ainsi à l’échelle mondiale, l’Amérique du Nord rassemble 30% des Think Thank, l’Europe occidentale 28%, et l’Asie 19%. Viennent ensuite l’Amérique latine (10%), l’Europe de l’Est (9%), l’Afrique (8%), le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (4%), puis l’Océanie (1%).
Les types de Think Thank sont multiples: certains ont une spécialité internationale, d’autres s’attachent à produire des analyses sur les problématiques environnementales, d’autres étudient l’économie ou la société, souligne le rapport, précisant que l’auteur a cherché à corriger ce défaut en ajoutant un classement supplémentaire, ordonné par thèmes de recherche, au niveau mondial. Aux Etats-Unis, les Think Thanks fournissent un réservoir d’experts prêts à l’emploi pour le gouvernement. D’où l’on ne trouve que 60% des adjoints ayant exercé dans l’Administration américaine et qui sont issus de ces centres de réflexion. Ce qui n’est pas le cas en Algérie, où des centres de recherche comme l’INESG, la Crasc et le Cread, pour ne citer que ceux-là, sont quasi inexistants.

Développer une culture d’expertise indépendante

En outre, le rôle des Centres de recherche est, selon Réda Mezoui, est d’un capital majeur, tant qu’ils ont également pour mission de trouver et fournir des solutions relatives aux biens communs, sans participer directement au pouvoir politique ni tenter de le conquérir. Leur fonction est, donc, d’inspiration, d’influence, mais surtout l’anticipation sur des évènements susceptibles de naître. Ils sont, en effet, le carrefour des élites. Mais ils ne sont efficaces et puissantes que par leur production intellectuelle et par la pertinence de leurs analyses, tous domaines confondus. De même, pour M’hend Berkouk, président du Centre de recherche sécuritaire stratégique (Crss), il est temps pour l’Algérie à cultiver la recherche indépendamment des cercles politiques ou décisionnels. Car selon lui, les Centres existant jusqu’ici quoique nombreux, ne sont pas indépendants et répondent à des conduites arrêtées au préalable. Cela explique, selon lui, le manque en matière de production intellectuelle de ces Centres. Les Centres de recherche permettront, à coup sûr, de l’avis de l’expert, à développer et enraciner une culture d´expertise, mais aussi de réflexion scientifique indépendante, tout en restant attachés aux valeurs nationales et en oeuvrant pour l´intérêt suprême de l´Etat algérien. Et pour étayer son argumentaire quant au rôle joué par ces différents Centres de réflexion pour le bien de leurs nations respectives, le directeur du Crss citera les plus influents Think Thanks régionaux retenus par le rapport mondial, relatif aux centres stratégiques qui retient le libanais «Carnegie Middle East Center», suivi de l’égyptien «El Ahram Center for Strategic and Political studies». Au niveau de l’Afrique, le premier Think Thank est le sud-africain «South African Institute of International Affairs», suivi du sénégalais «Codesri».
Ce sont des centres qui, de l’avis de l’expert, constituent des valeurs ajoutées pour la recherche stratégique et sécuritaire, capables d’émettre des propositions aux centres de décision et d’anticiper sur des événements, liés à moyen et à long termes à leur sécurité nationale et régionale, mais aussi à leur développement.

 


 

MOHAMMED SAÏB MUSETTE À L’EXPRESSION

«Des centaines de projets de recherche en attente»

Par Kamel LAKHDAR-CHAOUCHE, L’Expression, 21 Octobre 2012

Mohammed Saïb Musette est maître de recherche au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread). Sociologue et spécialiste du monde du travail en matière d’application des normes internationales, il soutient que la recherche scientifique en Algérie demeure encore à ses premiers pas et s’inscrit dans le registre des pays sous-développés. Dans cette interview, Musette plaide pour que les entreprise soient dotées de centres de recherche et d’un plan de développement leur permettant de produire du savoir.

L’Expression: Comment évaluez-vous le niveau de la recherche scientifique et universitaire en Algérie?
Mohammed Saïb Musette: L’Algérie est un pays sous-développé. Cela dit, par voie de conséquence, même le niveau de la recherche, notamment scientifique, demeure à ses premiers pas. Elle est donc loin d’être une recherche concurrentielle et de rénovation. La recherche en Algérie frole à peine avec les produits technologiques fondamentaux existants. Nous n’avons donc pas les moyens et conditions requis pour promouvoir une recherche de pointe. Ce qui n’est pas le cas dans l’ensemble des pays développés où les multinationales et les grandes firmes industrielles s’occupent de la recherche scientifique, intégrant dans leur plan de développement des laboratoires de recherche. Tandis que dans les pays sous-développés comme l’Algérie, les laboratoires et centres de recherche ne sont intégrés que dans les plans de développement du secteur public, université, entreprises publiques. Tandis que le secteur privé, composé de 90% de petites entreprises et moyennes entreprises, demeure dépourvu d’outils de recherche. Cela constitue donc un grave obstacle au développement de l’entreprise. Sachant que la règle d’or dit que la recherche se fait au sein de l’entreprise. Nous avons réellement des produits d’études qui sont à la hauteur qu’il faut. Les chercheurs algériens peuvent en effet se frayer un chemin parmi des chercheurs occidentaux et débattre leurs idées dans les plus grandes universités. Néanmoins, le problème se trouve au niveau de l’utilisation de ces études minutieusement menées par les chercheurs algériens. Cela constitue donc un grand problème.

Pouvez-vous être plus explicite?
Comme je dis qu’il y a beaucoup de centres de recherche dans les sciences humaines et sociales, qui ont produit des projets d’études de valeur, mais qui sont toutefois restés inexploités. Pourtant, certaines de ces études ont été même commandées et recommandées par les autorités. A ce titre, il est à signaler que le Centre national pour la population et le développement (Cnpd) a produit environ 600 études, néanmoins celle-ci n’ont jamais été exploitées. Même état des lieux au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread). Ce centre a produit au moins 200 projets d’études qui demeurent encore inexploités. Donc, le problème ne se situe nullement sur le plan de la production, mais sur le plan de l’utilisation de cette production intellectuelle. Donc, le problème qui se pose avec acuité et qui taraude l’esprit des chercheurs est, sans nul doute, le fait que les autorités ne prennent pas et n’utilisent pas ces études dans divers domaines.

Le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique avait lancé un programme de rapatriement des compétences et cadres algériens se trouvant à l’étranger. Néanmoins, cette initiative demeure lettre morte. Pourquoi selon vous, le ministre n’arrive pas à réaliser cet objectif?
Je pense qu’il y a deux raisons fondamentales qui sont à l’origine de l’échec de l’initiative du ministre. La première est d’ordre personnel. Certains cadres quoiqu’ils reviennent aucun d’eux ne quitte réellement son poste dans son pays d’accueil. Et puis, ils reviennent seuls, laissant derrière eux leurs familles et progéniture. Puis, la deuxième raison est d’ordre socioprofessionnel, mais surtout de rémunération. Donc, le salaire offert en Algérie aux cadres et compétences est souvent loin de celui qu’ils reçoivent dans leurs pays d’accueil. Cela sans pour autant parler des conditions et de l’environnement du travail.