Crise du Logement en Algérie: Du Bidonville au Ghetto ?

Crise du Logement en Algérie: Du Bidonville au Ghetto ?

Salima Mellah, Assafir al-arabi, 25 février 2016

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Ces dernières années les opérations de relogement font les gros titres de la presse algérienne. Ce sont des centaines de milliers de personnes qui enfin peuvent quitter leurs habitations insalubres et exiguës pour emménager dans des appartements fraîchement bâtis. Toutefois, ce qui pour beaucoup avait été le rêve de toute une vie se transforme souvent en un cauchemar. Les nouvelles cités érigées dans les banlieues lointaines sont des ghettos enclavés entraînant la marginalisation d’une population qui n’a jamais été la bienvenue dans les villes. Or cet isolement et cet ostracisme nourrissent la violence des jeunes dirigée envers leur nouvel environnement.

L’exode rural qui a commencé bien avant l’indépendance du pays en 1962 n’est pas une particularité algérienne. Mais ce phénomène a pris une telle ampleur que plus de 75 % de la population vit dans des villes, et plus de 40% de celle-ci se concentre dans la bande fertile du littoral qui ne représente pas plus de 4% du territoire national. Autrement dit, près d’1% de la population occupe 87% du territoire. Cette urbanisation s’est développée très rapidement puisque de 11 millions d’habitants en 1962, l’Algérie en compte à ce jour près de 40 millions.

Une grande partie des nouveaux venus ne trouve pas d’habitat adéquat et doit s’entasser dans des baraques de fortune autour des centres urbains. L’élimination de l’habitat précaire et des bidonvilles a donc toujours été un sujet d’actualité. Lorsque la lutte de libération nationale a débuté en novembre 1954, l’administration coloniale a pris conscience que l’apartheid des villes était une menace pour le pouvoir établi. Le fameux « plan de Constantine » de 1958 décidé par le Général de Gaulle était destiné à améliorer les conditions de vie de quelques dizaines de milliers d’Algériens afin de les soustraire à l’influence de la rébellion nationaliste.

Avec le départ de centaines de milliers d’Européens au moment de l’indépendance du pays, les Algériens des quartiers populaires ou venus des campagnes ont occupé les logements vacants considérés comme un « butin de guerre » – près d’un million d’unités d’habitation appelés « biens vacants ». L’administration algérienne ne s’est toutefois pas donné les moyens de les gérer et de les entretenir convenablement et vingt ans plus tard elle s’est délestée d’un parc largement dégradé en permettant l’achat aux locataires à des prix modiques. Entre temps, des centaine de milliers de ruraux arrivaient dans les villes dans l’espoir d’une vie meilleure et s’entassaient dans des bidonvilles.

Durant des décennies les pouvoirs publics ont ignoré ces populations qui revendiquaient les mêmes droits au logement que leurs précurseurs installés dans les « biens vacants ». Les gouvernements successifs n’ayant pas fait pendant plus de vingt ans de la politique de l’habitat une priorité. Ce n’est qu’à partir des années 90 que le régime a amorcé des programmes de constructions ralentis toutefois par les années de guerre. En l’absence d’une conception urbaine rationnelle, les habitats informels ont proliféré. La pression démographique mais également l’insécurité provoquée par la guerre contre les civils dans les campagnes a contraint des centaines de milliers de personnes vers les villes. Les conditions de vie se sont détériorées à un tel degré qu’en 2002, l’âge moyen du mariage des hommes était passé de 27,7 ans en 1987 à 33 ans celui des femmes de 23,7 à 30 ans.

Selon des sources officielles, de 1999 à 2009, 1,7 millions d’appartements auraient été livrés alors que les besoins étaient estimés par des associations à plus de 13 millions en 2011. Le taux d’habitation par nouveau logement, ne dépassant souvent pas les 3 pièces (F3), est de 6 personnes. S’ajoute aux exigences à prendre en compte, l’habitat précaire estimé à 800 000 unités dont la moitié doit être détruit et les bidonvilles, situés en majorité dans, ou à proximité immédiate, des villes, évalués à plus d’un demi-million. Pour beaucoup c’est une vie dégradante dans la promiscuité, parfois sans eau courante ni électricité, les inondations et la boue à chaque intempérie, une chaleur torride en été, la présence des rats et de nuisibles ainsi que toutes les maladies provoquées par l’insalubrité.

Au début des années 2000, face à l’inaction des autorités alors que la violence commence à se réduire et les caisses publiques à se remplir, les populations lésées réclamaient de plus en plus fortement l’accès à un logement décent. En 2003 enfin, un programme de résorption de l’habitat précaire (habitations sur les terrasses ou dans les caves et bidonvilles) de grande envergure a vu le jour. Ce dispositif prévoyait des logements publics locatif neufs pour les plus nécessiteux et d’autres formes d’acquisition subventionnée par l’Etat en fonction des revenus, parmi lesquelles les logements sociaux participatifs qui exigent un apport personnel de 20% de l’acquéreur et une aide non remboursable de l’État ainsi que des logements en « location-vente » réalisés sur les fonds publics. Les modalités d’accession à la construction d’un logement rural ont été arrêtées en 2013 permettant à des personnes physiques qui résident depuis plus de 5 ans dans la commune et exerçant une activité en milieu rural de bénéficier d’aides publiques.

Depuis 2005, grâce à la hausse des revenus pétroliers les pouvoirs publics se sont engagés dans une politique d’éradication totale des bidonvilles. En 2008 une loi a été promulguée pour définir les règles et les conditions de régularisation des constructions érigées sans autorisation dans les années 1990. Dans le même temps, des recensements ont été effectués pour enregistrer les bénéficiaires de logements sociaux devant prouver notamment avoir résidé au moins cinq ans dans leur habitat précaire. Les listes de logements attribuables sont fixées par l’administration locale mais les modalités d’attribution sont souvent opaques, marquées par l’arbitraire et la corruption. La presse fait régulièrement état d’émeutes violentes au moment de la publication de listes et plus d’un père de famille s’est immolé pour ne pas avoir bénéficié d’un logement. Des familles laissées pour compte se retrouvent parfois à la rue, leur baraquement ayant été rasé.

Après des décennies d’abandon, résoudre le problème des mal-logés en quelques années est un défi titanesque malgré les possibilités qu’offre la manne pétrolières des années 2000-2014. Prévue pour des années plus tôt, l’opération massive de recasement des habitants des bidonvilles et habitats précaires débute en juin 2014. De fait, les pouvoirs publics se sont contentés d’attribuer des contrats à des entreprises – souvent étrangères – et des surfaces d’assiette pour la construction d’ensembles sans considération pour le sort des populations qui occupent ces déserts urbains. Des milliers de familles ont été arrachées à leur milieu pour être expulsées dans des zones rurales. Ces opérations s’apparentent à une reconversion immobilière autoritaire qui cachent mal des projets autrement plus lucratifs. Ainsi l’éradication le l’immense bidonville d’Erramli, à la lisière de la capitale Alger, avec plus de 4500 familles mi-octobre 2015 doit permettre l’aménagement notamment d’un viaduc et d’une voie rapide. D’autres sites libérés sont destinés à des parkings à étages, des locaux commerciaux, d’autres encore à des espaces de détente. Pourquoi ne pas avoir conçu des habitations sur les sites évacués ? Il apparaît de plus en plus clairement que sous couvert d’amélioration des conditions d’habitation est opéré un nettoyage social, une gentrification qui ne dit pas son nom.

Les autorités privilégient manifestement la quantité à la qualité sans se soucier des infrastructures sociales sur les sites de relogement qui reçoivent d’immenses ensembles de cités construites rapidement. L’administration locale fait preuve d’une incompétence et irresponsabilité entraînant des situations explosives. Les attributions sont gérées sans urbanisme, sans concertation ni préparation des anciens locataires des cités et des nouveaux venus. Sous prétexte de mixité sociale, des familles de toutes origines et conditions, originaires de quartiers divers sont contraintes de cohabiter ou de s’adapter aux anciens résidents. Des habitants des centres villes doivent côtoyer des néo-urbains, source de multiples conflits. Le manque d’activités et d’emplois dans ces nouvelles zones poussent les jeunes à de multiples trafics et au racket.

Ainsi la nouvelle ville de Ali Mendjeli, située à 25 km de Constantine a été construite dans l’urgence il y a 15 ans et compte aujourd’hui plus de 150 000 habitants. Des anciens habitants des bidonvilles y ont été recasés en 2012 à côté de familles rurales nouvellement arrivées en ville. Il s’agit d’un complexe péri-urbain qui consacre le cloisonnement social, sans espaces verts ni infrastructures socio-culturelles, avec un type de construction en cellules qui lui donne un aspect carcéral malgré la frénésie de la zone d’activité. Entre 2012 et 2014 des bandes rivales armées faisant la loi se sont régulièrement affrontées prenant en otage certains quartiers de la ville qu’ils n’hésitent pas à saccager.

Pour les quelques 2400 familles originaires d’Erramli à Alger les conditions d’habitat sont nettement meilleures dans leurs nouvelle « cité des 3.355 logements » bien mieux équipée en terme d’infrastructures, d’espaces verts et d’aires de jeux. Mais là également les jeunes n’ont pas d’occupations car elles sont situées à près de 40km d’Alger, dans la wilaya de Blida, à Sidi-Hamed, petite localité agricole à environ 4 kilomètres de la plus proche petite localité. Sans moyens de transports communs réguliers, l’accès à la capitale est particulièrement difficile. Cet enclavement a entraîné pour certains la perte d’emploi, pour d’autres l’abandon de leurs études. Parmi les personnes relogées nombreuses sont celles qui regrettent Erramli, cet immense espace ouvert qui en 1966 a connu ses premières habitations d’infortune où, au fil des nouvelles arrivées, les solidarités familiales et villageoises se sont reconstituées et de nouveaux liens se sont tissés. Leur ancienne vie n’était pas seulement synonyme d’exclusion et de misère mais également d’activité en échange permanent avec la capitale.

La question du relogement démontre qu’une politique de la ville ne peut se réaliser dans l’urgence et faire l’économie d’une conception des espaces publics, d’enquêtes sociologiques, d’aménagement de pôles d’activités autres que des marchés, de concertation avec les concernés, d’accompagnement des populations, etc. Sans une projection vers l’avenir, ces cités dortoirs coupées des villes reproduisent une souffrance souvent plus forte que celle endurée dans les anciens habitats précaires. La crise du logement a certes été atténuée par la manne pétrolière mais la sous-urbanisation d’immenses cités périphériques commence à poser d’autres problèmes sociaux d’une autre nature mais d’une gravité certaine. L’administration algérienne saura t elle y faire face ?