L’Année d’une Algérie malade de l’or noir

L’Année d’une Algérie malade de l’or noir

Par Nourredine Abdi, Chercheur CNRS, Le Débat Stratégique Nº70 — Novembre 2003, http://www.ehess.fr/cirpes/ds/ds70/index.html

L’année de l’Algérie en France n’aura évoqué que de façon tout au plus folklorique un « pays réel » occulté par les potentialités en hydrocarbures. Les experts n’en finissent pas de célébrer ces richesses, bien que l’Algérie puisse être considérée comme malade de son pétrole et de son gaz. Leur exportation constitue le lien principal vers le nord de la Méditerranée, à travers des réseaux protégés d’oléoducs, les ports spécialisés (Arzew) deux gazoducs… Cette Algérie « utile » assure les revenus d’un régime militaro-pétrolier, détaché du pays réel en proie à la réaction intégriste depuis plus d’une décennie. Le système repose sur le principal trust pétrolier en Afrique, de plus en plus complété par d’autres opérateurs, notamment américains qui ont découvert un complexe militaro-pétrolier assez semblable au leur.

Richesses et privatisation en trompe l’oeil
Dans l’Algérie française les trois quarts de la population algérienne travaillaient dans l’agriculture face à un secteur « moderne » européanisé. De même aujourd’hui, l’activité de la majorité de la population du « pays réel » n’apporte qu’un appoint négligeable au regard du secteur des hydrocarbures. 2 % de la population active assure ainsi les trois cinquièmes des recettes de l’Etat, l’essentiel du PIB et la quasitotalité des exportations.
Certes, il y a eu une privatisation. L’Etat, après avoir été quasiment le seul investisseur, s’est désengagé :

% des investissements 1985 1990 2001
dans les dépenses budgétaires 44 20 26,8
dans le PIB 14 5,8 8,5

 

Toutefois, les liens sont toujours aussi forts entre le secteur bancaire public et le secteur économique étatique. Du coup, l’investissement dans les hydrocarbures mobilise l’essentiel des ressources algériennes aussi bien à travers le budget de l’Etat qu’à travers les crédits bancaires. Le secteur étatique, en dépit de son recul dans le PIB, dont il ne représente plus qu’un tiers, et bien qu’il n’emploie pas plus de main d’œuvre que le secteur privé, reçoit environ les deux tiers des prêts. Les investissements directs étrangers (IDE) restent faibles, et même le capital privé algérien connaît un repli. De 1993 à 2001, la formation brute de capital fixe dans le PIB a baissé de moitié, passant de 41,4 % (soit à peu près l’épargne nationale) à 22,1 %.

Faiblesse des IDE
Les IDE, notamment européens, tendent à diminuer. L’ensemble des pays maghrébins ne représentent pour la France par exemple, malgré les liens culturels et historiques, que 0,3 % des IDE français dans le monde. En Algérie, le montant des IDE français est même devenu inférieur aux espagnols et aux américains. Globalement, l’Europe délaisse sa périphérie.

Flux d’IDE en provenance des pôles mondiaux en direction de leur « sud » (en % du total des IDE) :

Périphérie sud 1986 1996 1997
de l’UE 18,6 2,2 3
du Japon 39,41 60,93 52,4
des Etats-Unis 42 36,88 44,6

A l’intérieur de ce bilan inquiétant, l’Algérie connaît une extrême polarisation sur les hydrocarbures. Les IDE dans ce secteur représentent 1,3 % du PIB algérien, contre 0,2 % pour l’ensemble des autres secteurs. Cette polarisation est financière, technologique et géographique, au point que le secteur des hydrocarbures constitue une véritable enclave dans le pays. Les IDE, notamment français, dans les autres secteurs sont faibles et concernent surtout des PME, les services financiers, l’audit, le conseil, l’expertise, l’assistance comptable et la formation. Ils sont cependant complétés depuis peu par des joint ventures dans l’industrie pharmaceutique, les détergents, la distribution automobile et les pneumatiques. Mais ceux-ci visent la consommation locale, non la production, et encore moins l’exportation.

Dans ce contexte, les autorités algériennes, notamment à l’approche des élections présidentielles, mettent en avant un cadre économique largement normalisé, une dette extérieure de 21 milliards de dollars pour des réserves de change de 22 à 30 milliards, un solde de la balance courante de 7 milliards et des réserves d’or de 173,6 tonnes, soit la première place parmi les pays arabes. A l’inverse, les IDE algériens en France réalisés par le complexe militaro-pétrolier est estimé à environ 20 milliards de dollars.

Cette illusoire prospérité repose entièrement sur les hydrocarbures, dépend donc du cours du baril, et surtout ne connaît qu’une répartition minimale. Le régime maintient et protège ce secteur, devenu attractif pour les IDE depuis son ouverture en 1990, tandis que les autres secteurs ne connaissent que des aides dérisoires. De plus, ces aides aux autres secteurs sont soumises au bon vouloir de la bureaucratie et des monopoles privés qui ont pris en main le commerce extérieur algérien à la faveur de sa libéralisation. Or, malgré les nouvelles découvertes, l’épuisement des réserves est inéluctable. L’économie fondée sur la mono exportation des hydrocarbures apparaît encore plus néfaste que l’agriculture coloniale d’hier : s’agissant de l’Arabie saoudite et des émirats du Golfe, on évoque avec ironie le retour des populations au pastoralisme nomade… Qu’en sera-t-il pour l’Algérie, et sa population jeune et urbaine ? L’effondrement social et humain en perspective ne laisse prévoir aucune issue rassurante.

L’Année de l’Algérie
Cette Année de l’Algérie en France a montré que les intérêts « algérofrançais » communient toujours pompeusement. En 1930 on fêtait le Centenaire de la prise d’Alger dans les flots de vin colonial, tout aussi rouge que le pétrole de 2003. La complaisance réciproque a permis d’éviter tout vrai débat à travers une glorification du confessionnel subi laquelle n’aura aucune contrainte budgétaire. Dans la perspective des présidentielles en Algérie, ces réunions auront permis au candidat le mieux placé de brasser large dans un électorat sensible aux thèses intégristes. Ce monolithisme évite de nuire à l’image de cette Algérie de papa que les deux parties, algérienne et française, voudraient éternelle.

Nourredine Abdi
Chercheur CNRS