Le Code de la Famille: la camisole de force

Le Code de la Famille: la camisole de force

Ghania Moufok, vivant univers, nov-déc 1998

Le Code de la Famille réduit la femme au rang de mineure dans sa vie privée. Une pétition intitulée « un million de signatures pour le droit des femmes dans la famille » visait la renégociation, avec le pouvoir, du statut de la femme. Echec cuisant.

La pétition intitulée « un million de signatures pour le droit des femmes dans la famille » a été initiée par un collectif de 14 associations de femmes, à l’occasion de la Journée de la Femme, le 8 mars 1997. Le contexte politique est important: pour tenter de reconstruire la légitimité des institutions, mise à mal depuis 1992, le président Zéroual organise quatre scrutins l’élection présidentielle en 1995, le référendum constitutionnel en 1996, les élections législatives et municipales en 1997. Le vote des femmes est donc un véritable enjeu de campagne.

Un discours anti-islamiste

Les dirigeantes du Mouvement des Femmes appartiennent souvent à la génération de l’après-indépendance. Elles se recrutent dans les élites francophones de l’opposition démocratique et laique mais des femmes proches du pouvoir les rejoignent aussi.

Farouchement opposées au projet islamiste en général et au FIS en particulier, elles ont activement contribué à médiatiser l’image de l’islamiste « ennemi des femmes, barbare et moyenâgeux ». Au niveau national, mais surtout international, leur discours est une aubaine pour le régime algérien car il justifie, après coup l’annulation du processus électoral et la stratégie du tout sécuritaire qui entraîne une militarisation sans précédent de la société algérienne.

Considérant que les succès remportés par l’armée sur la rébellion islamiste sont aussi les leurs, ces associations de femmes attendent en retour, non plus l’abrogation du Code de la Famille, mais la renégociation du droit des femmes dans la famille.

Pour elles, l’Etat doit rompre l’ambivalence: d’une part, il reconnaît aux femmes des droits constitutionnels (droit de vote, au travail, abolition de toutes les discriminations), mais d’autre part, il dénie aux femmes leurs droits dans la famille.

La pétition de 1997 était donc un test et un pari. Le régime algérien était-il prêt à soutenir cette démarche ? Et la société, qui hier encore votait massivement pour les islamistes, était-elle enfin acquise aux valeurs de l’égalité entre les sexes ?

Le collectif proposait 22 amendements au Code de la Famille autour des articles de loi jugés les plus discriminatoires à l’égard des femmes; I’objectif était d’ouvrir le débat sur des propositions alternatives.

Un million ? Non, 50 000…

L’espoir est permis puisque le Premier ministre déclare que la révision du Code de la Famille n’est plus un sujet tabou.

Mais seule la presse privée francophone soutient le collectif en publiant chaque jour un talon-réponse d’adhésion à la pétition. Selon le Quotidien d’Oran, le nombre de signatures n’a pas atteint la barre des 50 000.

Cet échec s’explique sans doute par une certaine candeur des initiatrices de la pétition, qui dans leur enthousiasme anti-islamiste, ont oublié le caractère profondément conservateur de toute dictature, auquel l’Algérie ne fait pas exception un régime dont le socle idéologique reste profondément arabo-musulman.

Le collectif invoque le climat sécuritaire et les massacres horribles qui l’ont amené à taire ses revendications car l’ordre des priorités était bousculé.

D’autres observatrices estiment que le Mouvement des Femmes né dans les années 80, toutes tendances confondues, est arrivé aux limites de son efficacité et de ses contradictions. Impliquées dans des luttes partisanes sous la pression des événements, ces différentes associations sont perçues comme des coquilles vides dispersées dans des luttes de leadership.

La société est ailleurs

Plus globalement, c’est toute la classe politique qui sort affaiblie de six ans de guerre fratricide, dans une société où l’ensemble des problèmes se pose avec la même urgence: statut des femmes, place de la religion, question des langues et donc d’identité, passage à l’économie de marché, chômage, pauvreté, rôle de l’école, etc. Des problèmes jusqu’alors contenus par la dictature de l’armée et du parti unique.

La société d’aujourd’hui est ailleurs. Elle élabore des stratégies complexes pour sa survie physique et matérielle, puisant tantôt dans les valeurs de l’Islam, tantôt dans celles de l’Occident, ce qui n’est pas sans incidence sur le rôle et le statut des femmes dans les familles algériennes.

Bien entendu, l’ensemble de ces changements rend encore plus caduc le Code de la Famille, posé comme une camisole de force sur la liberté des femmes, ce qui continue d’arranger l’écrasante majorité des hommes algériens, y compris les plus modernistes!

Mais d’autres modèles sont nés, véhiculés de façon concurrente et puissante par les mosquées ou par les antennes paraboliques. Ces modèles, rejetés ou adoptés, ont marqué cette nouvelle jeunesse qui rappelle aux dirigeantes du Mouvement des Femmes qu’elles ont vieilli au moins autant que leur mode de séduction de la société.

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