Et si Nezzar avait raison

Et si Nezzar avait raison ?

OUI , MAIS…

Abdelkader TARGA, Libre Algérie, n° 40, 13-28 mars 2000

Abdelaziz Bouteflika peut se vanter d’avoir rattrapé l’occasion perdue de succéder à Houari Boumediene en décembre 1978. Vingt ans après, le rêve et la revanche sur l’histoire se sont réalisés.

L’homme qui n’avait pas milité au Parti du peuple algérien (PPA), ni activé dans l’Organisation spéciale (OS), ni été parmi les 22 qui décidèrent du déclenchement de la révolution armée, ni été l’un des chefs militaires historiques est arrivé au sommet de l’Etat algérien. Il n’hésite pas, pour autant, à le qualifier de « pourri ». L’attraction du pouvoir est plus forte que la répulsion qu’inspire la pourriture. Abdelaziz Bouteflika s’est pincé le nez et s’est jeté dans la mêlée.

Il a rapidement fait le tour de la question nationale en exposant, début 1999, lors de ses derniers discours de campagne, un diagnostic dénudant le monstrueux système de pouvoir, diagnostic dans lequel s’est reconnu la vox populi. Il l’a relativement séduite et elle s’est mise à espérer. Mais les discours post-investiture ont rapidement révélé des hésitations, des tergiversations et de plus en plus de contradictions sur la médication à prescrire et à appliquer, pour finalement ne rien décider de foncièrement novateur. On meurt autant que durant la dernière année de l’exercice de Liamine Zeroual, les problèmes économiques et sociaux se sont aggravés et l’Etat se déglingue lentement, mais sûrement.

Au milieu de l’été 1999, surprenant ses sympathisants et ses amis, il a commencé à menacer de partir, si « tout n’était pas ficelé d’ici le 13 janvier », date butoir de l’application de la loi sur la concorde civile. Message à ses partisans de la première heure : les décideurs. Ils ont, jusqu’à preuve du contraire, tout ficelé puisqu’il s’est ensuite rétracté pour assurer qu’il resterait jusqu’à la fin de son «mandat». Mais durant le dernier trimestre de l’année dernière, il a montré, de nouveau, des signes de désaffection. Il a laissé penser qu’il se heurte à des forces qui contrarient sa conception du pouvoir. « Je ne veux pas être un trois quarts de président », « je veux exercer l’ensemble de mes prérogatives constitutionnelles », n’a-t-il cessé de répéter, provoquant chez le téléspectateur lambda l’hilarité face à cette turpitude ou la perplexité chez celui qui se demandait comment peut-on être président officiel sans les pouvoirs attachés à la fonction. Interrogation élémentaire et logique.

Le temps mis pour nommer un gouvernement et constituer son propre cabinet (8 mois) a montré qu’il n’était pas seul maître à bord, contrairement à ses affirmations. A chaque déplacement à l’étranger, prenant à témoin la presse et l’opinion internationales, et les Algériens accessoirement, il a lancé des piques à ses adversaires politiques (en tenue et en civil). Ce faisant, il a violé un tabou propre à tous les personnels du pouvoir qui veut que l’on ne déballe pas le linge sale du régime sur la place publique et encore moins à partir de l’étranger. Lorsqu’on transgresse cet interdit non écrit, il y a une usure accélérée du cordon ombilical avec le système qui l’a parrainé.

S’il ne veut pas le remettre fondamentalement en cause, il veut en tout cas le dominer. Il veut être le chef du gouvernement. Il ne veut pas que son gouvernement soit désavoué par l’APN, malgré ce que la Constitution a prévu pour ce cas de figure. Il ne se concerte pas avec les

appareils partisans qui, pour le public, le soutiennent mais qui, en réalité, par décideurs interposés, lui ont fait allégeance. Il veut une nouvelle Constitution. Il ne veut pas de vice-président désigné qui pourrait lui succéder, alors que les décideurs planchent sur le sujet depuis une année…

Du « canasson » à « l’homme de la situation »

Il n’avait pas présenté, en automne 1998, ce cahier de revendications quand le sponsor major Larbi Belkheir l’a mis sur la rampe de lancement. Lui et quelques autres « grands électeurs »

sont contrariés. Très contrariés. Auraient-ils fait un mauvais choix ? Le doute a gagné les esprits depuis que, de leur point de vue, il s’est mis à louvoyer pour s’autonomiser par rapport à eux. Cette insupportable velléité a redonné de la valeur à la première réaction négative de Khaled Nezzar, en septembre 1998, à l’idée d’une candidature de Bouteflika,. L’ex-ministre de la Défense avait eu, à l’égard du candidat potentiel Bouteflika, des mots verts. Il l’a d’abord qualifié de « marionnette » (le Matin du 14 septembre 1998). Puis, toujours dans les colonnes du Matin (16 septembre 1998), il s’est demandé « à quels intérêts répond la remise en scelle de tels « canassons », en ajoutant que « seuls des palefreniers sont en mesure de les soigner en utilisant de vieilles recettes de grand-mère ».

Cette sortie incontrôlée, très cavalière, avait secoué les parrains de l’idée. Ils se sont empressés, Larbi Belkheir en tête, de le rallier à leur cause. Il va restaurer l’image de l’Algérie ternie par les violations des droits de l’homme, donner les feux verts que Liamine Zeroual refuse, et il est en mesure d’assurer la pérennité du régime. Tels sont, résumés, les arguments qui avaient fini par convaincre Khaled Nezzar. Le 11 janvier 1999, il déclarait : « Abdelaziz Bouteflika est l’homme de la situation. » Il était loin de se douter que l’homme allait se piquer au jeu en voulant légitimer, a posteriori, son pouvoir pour avoir un maximum de marge vis-à-vis des décideurs et de leurs protégés placés dans les principaux rouages de l’appareil d’Etat.

Il s’en est pris publiquement au directeur général des douanes, toujours en poste malgré sa démission. Il a relevé le directeur général de la télévision pour, moins de deux semaines plus tard, remplacer son successeur par l’ancien ministre Hamraoui Habib Chawki. Ne parvenant pas à remplacer le ministre gouverneur d’Alger, il a fait annuler le statut de gouvernorat de la capitale. La méthode employée a été perçue par les cercles proches des décideurs comme un affront majeur. Elle a en tout cas mis en émoi le sérail et crédibilisé la première réaction radicale de Khaled Nezzar. Cependant, le problème est interne au pouvoir, comme l’ont si bien montré les interventions publiques de l’ex-Premier ministre Ghozali et du directeur d’un ex-hebdomadaire éradicateur. Outre des offres de service, elles n’ont fait que suggérer un remplacement du « calife par un autre calife », conforme aux aspirations exclusives du système de pouvoir. Dans cette affaire, la société est encore une fois non concernée. Comment le serait-elle à partir du moment où elle n’a jamais pu s’exprimer librement et que ses suffrages n’ont jamais été respectés ? Aussi, cette crise qui n’est pas la première pourrait fort bien être réglée par un compromis entre décideurs qui privilégieront la préservation des grands équilibres du système qui se confondent souvent avec leurs propres intérêts. Quelques observateurs se refusent à prendre au sérieux ce qu’ils considèrent n’être qu’un jeu de rôles ou, tout au plus, des tiraillements auxquels est habitué le sérail. Que Nezzar puisse, a posteriori, avoir raison sur le profil du personnage, cela ne lui permettra que de tirer quelques petits dividendes d’influence au sein de la taïfa des décideurs. Tout continuera comme avant. A moins que…

 

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