Du terrorisme à la concorde civile et à la concorde nationale

Discours de Bouteflika au colloque international d’Alger

Du terrorisme à la concorde civile et à la concorde nationale

Le Quotidien d’Oran, 27 octobre 2002

Explication, précision ou mise au point, par son intervention d’hier, le président de la République a tenu, en tout cas, à clarifier ses positions à l’égard de la lutte contre le terrorisme en Algérie et surtout à réitérer sa ferme volonté d’aller vers la concorde nationale.

La tribune qu’offre le col loque international sur le terrorisme que l’Algérie organise depuis hier au Palais des nations semble d’une importance particulière pour Bouteflika. Les participants sont d’horizons divers. Intellectuels, spécialistes de la santé, journalistes, politiques, tous peuvent constituer une oreille d’écoute pour le chef de l’Etat. Il y a surtout les officiers supérieurs des services de sécurité, avec en tête de liste le général-major Mohamed Touati et le colonel Ali Tounsi. Les propos tenus hier par le chef de l’Etat pourraient être interprétés comme étant une mise au point à ceux qu’il a lui-même présentés comme étant contre lui ou contre sa démarche. Il a certainement fait allusion aux réactions qu’a soulevées le discours qu’il a prononcé lors de sa visite à Biskra. Partis politiques, syndicat, militaires à la retraite, journaux, tous ont trouvé à redire à propos de l’insistance du chef de l’Etat à aller vers la concorde nationale. Nombreux sont les milieux qui lui reprochent son rapprochement du courant islamiste. «Je suis venu vous exposer mon avis au sujet du terrorisme sans aucune arrière-pensée», dira-t-il d’emblée à l’assistance.

Entre le discours qui a été remis aux journalistes et celui qu’il a prononcé hier, il y a toute une différence de style et de fond à l’approche que Bouteflika tient à imprégner à sa démarche en matière de lutte antiterroriste. Il improvisera, à ce sujet notamment, pour exprimer sa pensée sur «la politique de concorde nationale que nous avons initiée et qui a été massivement approuvée par le peuple algérien (qui) a pour ambition de briser le cycle de la terreur et de créer les conditions les meilleures d’un retour à la paix». Il précise que «(…) la concorde nationale (qui) s’enracine chaque jour davantage dans le vécu du peuple algérien» est «un processus qui repose sur une démarche globale et dont la portée est hautement humaine et civilisationnelle». Pour lui, la démarche en question «sera confortée par l’accomplissement des réformes que nous avons engagées dans les secteurs les plus vitaux pour une relance durable de l’activité économique et la consolidation de la cohésion nationale». «J’avoue qu’il peut y avoir d’autres avis contraires au mien, je suis prêt à les écouter mais il faut qu’ils se débarrassent de leur arme et acceptent la contradiction», affirme-t-il. Lui, se réclame sans hésiter de ceux qui ont choisi la paix. «Nous voulons la paix et nous allons y arriver», promet-il. «Arrêtez de marchander sur le dos du peuple algérien ! Arrêtez de faire de la religion un fonds de commerce sur la scène politique», a-t-il demandé. Bien que dans son discours écrit le chef de l’Etat a mentionné explicitement la concorde nationale, devant l’assistance il a préféré évoquer la concorde civile.

Dans les coulisses, l’on susurre que Bouteflika entame la deuxième phase de la concorde civile pour la faire aboutir à une concorde nationale. «Pourquoi tergiverse-t-il sur la question ?», demande-t-on dans les coulisses. La question la plus pressante à ce sujet est de savoir avec qui le président veut-il se réconcilier. «Nous voulons bien le croire, mais avec qui il prône la réconciliation nationale ?», s’interroge un officier de l’armée. «Nous sommes venus écouter», nous dit un groupe d’officiers de l’armée, «mais nous tenons à intervenir au niveau des ateliers». Du côté des organisateurs… de l’ombre, il nous est précisé que ce sont les officiers supérieurs de l’armée qui ont tenu à participer à ce colloque. L’on dit d’ailleurs que ce sont eux qui en sont les initiateurs et les organisateurs. L’idée d’une telle rencontre semble avoir commencé à germer depuis au moins une année, le 11 septembre ayant été le détonateur. Ce n’est certainement pas le président de la République qui n’était pas au courant de ce qui se préparait à cet effet. Notons que le général-major Mohamed Touati, dont l’intervention est programmée à la fin du troisième jour du colloque, est conseiller aux affaires de défense à la présidence de la République.

Autant que les militaires, Bouteflika a tenu à expliquer, préciser ou alors faire une mise au point à tous ceux qui trouvent à redire à propos de sa vision des choses sur le terrorisme. Avec comme témoin l’opinion internationale (la présence des étrangers au colloque le certifie), le chef de l’Etat rendra un vibrant hommage au peuple algérien et aux forces de sécurité pour avoir lutté contre le terrorisme. Forces de sécurité (notamment l’armée) et pouvoir politique visent probablement par l’organisation de ce colloque à recentrer leurs positions ou en corriger les défaillances et les faiblesses tout en décelant les points divergents.

L’intervention du général A. Maïza a apporté un certain nombre d’éclairages sur le terrorisme en Algérie. Chiffres à l’appui, l’officier supérieur de l’ANP a, pour la première fois, rendu publics des bilans du désastre vécu au plan national. Le général Maïza a affirmé que «les lois sur le repentir et la concorde civile ainsi que l’implication de la population avec l’armée et les services de sécurité ont permis de gagner la bataille des villes». Cependant, il ne s’est pas empêché de reprendre le chef d’état-major de l’ANP, le général de corps d’armée, Mohamed Lamari, en soutenant que «le terrorisme islamiste est vaincu mais l’intégrisme sévit toujours».

Une phrase qui semble plutôt prévenir le président de la République de toute réhabilitation politique de mouvements islamistes que l’ANP a réussi à vaincre militairement sur le terrain. Elle pourrait aussi être une sorte d’appel à un balisage de l’entreprise de la concorde nationale pour empêcher tout risque de dérapage ou de renforcement de l’islamisme. Le président de la République a reconnu lui-même devant la presse étrangère lors de son voyage à Beyrouth qu’il existe en Algérie «un parti islamiste modéré qui siège au gouvernement et un parti islamiste extrémiste qui siège au parlement». L’allusion est claire, pour le premier il s’agit du MSP et pour le second il s’agit du mouvement Islah de Djaballah. «Les thèmes que vous aurez à débattre renvoient à des enjeux cruciaux dont l’analyse n’a été jusqu’ici menée que de manière partielle, en tout cas dans des aires limitées ou selon des perspectives marquées par des présupposés idéologiques ou géopolitiques que l’accélération subite et dramatique de l’histoire depuis le 11 septembre 2002 a fait voler en éclats». Voilà qui se veut de la part du président une précision sur ce qui s’est véritablement passé en Algérie mais que diverses interprétations ont totalement dénaturé par «des présupposés idéologiques ou géopolitiques».

Le colloque d’Alger sera, selon lui, «l’occasion de contribuer à combler le déficit manifeste de compréhension partagée des multiples facettes du phénomène du terrorisme» et «vos délibérations permettront de dépasser bien des incompréhensions et elles apporteront ainsi un éclairage fort utile à l’affinement des stratégies nationales et internationales (…)».

Ghania Oukazi