Débat autour de la sale guerre sur France Inter
DEBAT AUTOUR DE LA SALE GUERRE SUR FRANCE INTER
Les fausses vérités de Souaïdia
Nadjia Bouzeghrane, El Watan, 20 Février 2001
Laurent Jeoffrin, directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, a consacré lémission «Diagonale, la culture se mêle de ce qui ne la regarde pas», quil anime tous les dimanches de 18 h à 19 h sur France Inter, à la violence en Algérie. Pour en débattre, Habib Souaïdia, signataire de La Sale guerre, deux écrivains, Leïla Sebbar et Salim Bachi qui signe son premier roman Le chien dUlysse chez Gallimard, et Omar Belhouchet, au téléphone depuis Alger.
Omar Belhouchet est formel : contrairement à ce quavance Habib Souaïdia (page 90), aucun journal algérien na fait référence au massacre qui aurait été commis à Zaâtria en mars 1993, et invite ses confrères français à le vérifier. Laurent Jeoffrin à Habib Souadia : «Vous portez des accusations qui sont assez graves sur le comportement de larmée algérienne.» Habib Souaïdia : «Jai raconté ce que jai vu, ce quon a pratiqué.»… «On a tous compris ce qui se passait en Algérie.» «On sait pourquoi ces méthodes de répression ont été utilisées.» «Est-ce quelles vous paraissent plus graves que les exactions commises par les islamistes ?» «Cest pareil … Personne na le droit de kidnapper et dassassiner des gens innocents. Jaccuse et jai toujours accusé les islamistes… On a souvent parlé de ce quils ont fait, mais jamais de ce que larmée a fait.» Laurent Jeoffrin : «Est-ce que vous, vous avez été témoin direct de ces exactions.» Habib Souaïdia : «Oui, jai même vu comment on fait. Je me considère comme complice.»… «De 1992 à 1995, cest des gens bien ciblés que larmée a fait exécuter et après 1995, jusquà maintenant, il y a des massacres un peu partout en Algérie. Et on se demande pourquoi larmée na pas réagi.» Laurent Jeoffrin : «Vous laccusez de passivité, mais pas davoir perpétré elle-même des massacres ?» «Je dis quil y a certains groupes des GIA qui sont manipulés et que larmée a laissé faire.» «Quand vous dites manipulés, vous voulez dire quils sont infiltrés par des agents de la police, de larmée ?» «Par des agents des services secrets.» Laurent Jeoffrin : «Vous dites quon les laisse faire. Pourquoi ?» Habib Souaïdia : «Toute cette guerre est pour leur seul intérêt (les généraux), pour quils restent au pouvoir. Ils devraient quitter le pouvoir, démissionner. Il y a 200 000 morts, cest grave. Alors que ce sont eux qui sont à lorigine du conflit.» Laurent Jeoffrin : «Dans votre livre, y a-t-il des preuves formelles de ce que vous avancez ? Ou bien, cest votre témoignage personnel ?» «Dans ce livre, jai cité des noms.» Laurent Joeffrin : «Vous attendez que les autorités algériennes acceptent une enquête ?» «Une enquête avec des hommes et des femmes honnêtes.» «Y compris une commission denquête internationale ?» «Je ne vois pas où est le problème. Sils nont rien fait, pourquoi avoir peur ?» Leïla Sebbar : «Dans le témoignage de Souaïdia, ce qui ma frappée, cest quil raconte très précisément tout ce qui se passe en donnant des noms. Si on donne des noms, on sengage, on prend des risques. A plusieurs reprises je me suis dit sil sait tout cela, sil participe lui-même à ces actes, comment ne pas se révolter. Et comment continuer, parce quil a continué jusquà aujourdhui où il quitte lAlgérie.» Laurent Jeoffrin : «Entre-temps, il a fait 4 ans de prison quand même.» Le débat prendra ensuite quasiment la tournure dune confrontation entre Belhouchet et Souaïdia.
Aucun indice dans la presse
Omar Belhouchet a affirmé reconnaître dans lanalyse qui est produite par le sous-lieutenant Souaïdia «une certaine thèse quon a eu à lire ces dernières années, une thèse archi-connue quon remet, à chaque fois, au goût du jour… Souaïdia tend à développer cette idée en disant que cest larmée qui est à lorigine des massacres». Laurent Joeffrin : «Il ne nie pas lexistence de crimes islamistes.» Belhouchet : «La trame du livre est axée sur larmée. Je pense quon est très loin de la réalité. Jai sursauté lorsque jai lu en page 90, une page capitale, que le surlendemain dun massacre perpétré par les militaires en mars 1993 à douar Zaâtria, près de Boufarik (Maâlma), les journaux algériens annonçaient : Une attaque terroriste sur le village de Zaâtria a fait une douzaine de morts. Jai passé trois jours à lire toutes les collections des journaux algériens, je nai trouvé dans aucune dentre elles une quelconque mention à ce massacre. Je suis formel. Je lance un appel à tous les journalistes français pour consulter les journaux algériens de mars 93. On parle dautres accrochages, dautres attentats dans dautres lieux, mais à aucun moment un journal algérien na fait référence à un massacre à Zaâtria. Il y a quelques jours, jai envoyé une journaliste enquêter dans ce village, les habitants sont catégoriques, il y a eu des attentats individuels, mais jamais un massacre. Je demande aux autorités algériennes de donner des visas aux journalistes français pour venir discuter avec les villageois et consulter les journaux de lépoque.» Laurent Jeoffrin sadresse alors à Habib Souaïdia : «Vous êtes directement mis en cause, puisque Omar Belhouchet conteste la véracité de ce que vous dites.» Habib Souaïdia : «Je sais de quoi il parle, je sais quel est le genre de cet homme-là.» Laurent Jeoffrin : «Le genre, cest un journaliste !» Habib Souaïdia : «Cest un journaliste, oui. Je veux revenir à lassassinat de douar Zaâtria. Je nai pas conduit le camion comme il vient de dire, on la escorté. On la quitté ensuite dans un carrefour qui mène à douar Zaâtria qui se trouve à 4 ou 5 km de lendroit où je suis resté. On ma appelé plus tard sur mon talkie-walkie pour me demander de venir récupérer le colis. Jai repris le camion, il y avait un homme en civil que javais vu à la caserne et qui avait des armes du genre de celles récupérées par les forces de lordre sur les terroristes. Ces armes sont illégales dans larmée. On doit opérer avec des tenues et des armes réglementaires qui appartiennent à lANP et non aux terroristes. Ce monsieur (Belhouchet) n’a jamais mis les pieds dans ce village, il ne sait même pas où il se trouve. Il y a des centaines de maisons isolées dans la montagne. Ils (les militaires, ndlr) sont allés dans cet endroit. Quand les journalistes algériens relatent ces faits, ils ne parlent pas de massacres, ils disent : on a trouvé une dizaine de personnes abattues à douar Zaâtria, ou à Boufarik, ce nest pas seulement ce village qui a été rasé.» Puis, interpellant Belhouchet : «Si vous allez vous-même à Boufarik, si vous faites votre travail dinvestigation, vous saurez. Essayez simplement darrêter de mentir au peuple algérien parce que vous êtes en train dêtre complice avec des généraux pourris qui ont massacré tout un peuple. Au moins, dites la vérité sur ce qui sest passé.» Belhouchet : «Nous faisons notre travail depuis des années, de manière correcte et honnête, nous cherchons à dire la vérité, nous avons beaucoup de problèmes avec les autorités, et vous le savez bien.» Laurent Jeoffrin : «El Watan est un journal respecté. Belhouchet : «Dans votre livre, vous dites que le surlendemain du massacre, les journaux algériens faisaient référence au douar Zaâtria. Il ny a pas le moindre indice qui puisse indiquer quil y a eu un massacre ce jour-là. Vous nétiez pas présent au moment du massacre dont vous parlez.» Selon Leïla Sebbar, «ce sur quoi il faut insister, cest la formation de ces jeunes militaires à des méthodes particulières de répression. Ces méthodes, on les retrouve dans toutes les guerres coloniales et dans toutes les guerres dirigées contre des mouvements subversifs dans toutes les dictatures. Ce nest pas propre à lAlgérie. Cela veut dire quil y a une quantité impressionnante de suspects qui sont arrêtés, réprimés, incarcérés, torturés et dont la culpabilité nest pas avérée.» Salim Bachi : «Je ne suis pas daccord pour ces attaques contre la presse algérienne. Sil ny avait pas cette liberté de la presse algérienne, la moitié des choses naurait pas été sue, ne se dirait pas. Il y a une liberté de la presse algérienne, il faut la saluer. Il faut quelle continue.» Laurent Jeoffrin : «Elle est relative. Elle évolue. Elle est peut-être relative, mais les journalistes algériens essaient de faire leur travail, cela, moi, je ne veux pas le remettre en cause. Maintenant, effectivement, il y a des méthodes de larmée algérienne, Souaïdia est là pour en témoigner, je ne veux pas que ce genre de témoignage serve à disculper certaines personnes ou à briser un mouvement comme la presse algérienne. Sans cette presse, je suis certain quon nen serait pas là, quon nen discuterait même pas.» Laurent Jeoffrin au jeune écrivain : «Vous mettriez sur le même plan le comportement des groupes armés et celui de lEtat algérien ?» «Non. Sil y a des tueurs, on ne les a pas fabriqués, cest quils sont prêts à tuer aussi. Quelle est la marge entre la légitime défense de lEtat algérien, des Algériens et une répression qui outrepasse le droit ? Il y a effectivement à discuter. Cest vrai quil y a des disparitions en Algérie, des exécutions sommaires, une torture qui a malheureusement tendance à se généraliser. Cest très bien de le dire, mais cela ne sert à rien de le dire pour aller contre un mouvement démocratique ou pour aller contre une presse libre. Jaimerais apporter un bémol à ce témoignage.» Habib Souaïdia : «Depuis les années 70,80, il y avait des gens qui allaient dans les mosquées, dans les lycées, dans les universités pour entrer en contact avec les jeunes, les endocriner et les recruter. Dans les années 80, cétait pire, des gens sont allés en Afghanistan pour combattre auprès des islamistes afghans. Personne ne les en a empêchés en leur disant que ce nétait pas leur guerre. Je pense que cétait un encouragement. Aujourdhui, des vétérans afghans mènent cette guérilla en Algérie.» Belhouchet : «Ce que vous développez maintenant, à la radio, on ne le retrouve pas dans le livre. Cest le grand reproche que je fais à ce livre, celui davoir occulté lexistence dun terrible mouvement islamiste armé qui existe bien avant larrêt du processus électoral.» Laurent Jeoffrin à Omar Belhouchet : «La responsabilité des généraux vous paraît-elle inexistante, nulle ? A vous écouter, on a le sentiment que vous défendez le régime.» Omar Belhouchet : «Le pouvoir algérien a une responsabilité politique dans la crise actuelle dont les origines remontent à 1962, à la mort de Abane Ramdane en 1956, en remontant lhistoire. Mais je ne crois pas que larmée algérienne soit derrière les massacres. Il y a des tentatives depuis quelques années, en France, de vouloir tout mettre sur le dos de larmée et disculper les islamistes.» Leïla Sebbar : «Larmée algérienne ne remplit pas sa fonction de protection de la population.» Salim Bachi : «La répression se fait avec des méthodes qui ne sont pas dignes.» Omar Belhouchet : «La protection de la population revient aux institutions, et cette protection nest pas assurée pour différentes raisons.» Et à Habib Souaïdia : «On a essayé de vous faire parler. Jai demandé à ma collègue de Paris de vous parler. Vous ne voulez pas parler aux journalistes algériens.» Habib Souaïdia : «Jai rencontré Mme Nadjia Bouzeghrane. Elle a voulu minterviewer. Cétait pour moi quelque chose dinacceptable. Je lui ai posé une simple question : Vous, vous dites que je suis manipulé par la DGSE, dautres disent que je suis un islamiste, dautres que je suis un voleur, dautres encore que je me suis vendu pour de largent. Cest ce que les journaux algériens ont écrit sur moi (les numéros dEl Watan étant accessibles sur Internet ou dans des centres documentaires, il serait aisé de constater que rien de tel na été écrit ni par moi-même ni par aucun autre de mes confrères). Je lui ai demandé ce quelle pensait en tant que citoyenne algérienne et encore plus journaliste. Cest catastrophique, ce quelle ma dit : Je ne suis pas là pour penser. Cela ma rendu vraiment furieux à tel point que
» Laurent Jeoffrin : «Peut-être quelle voulait dire quelle nétait pas là pour avoir une opinion, mais pour vous interroger.» (Jai effectivement voulu rencontrer Habib Souaïdia pour linterviewer et non pour avoir une discussion avec lui sur la situation en Algérie, ou pour engager un débat. Une interview repose sur le principe de questions posées par le journaliste auxquelles la personne interviewée veut bien répondre et non pas linverse. Souaïdia reprend : «Je lui ai dit, Madame laissez-moi tranquille, je ne veux pas dinterview avec vous (il avait, après des réticences, accepté linterview pour linterrompre quelques minutes plus tard), mais elle a continué à me poursuivre jusquau métro et après jétais hors de moi, je lui ai dit : vous allez prendre votre responsabilité, comme je le dis à M. Belhouchet lui-même, je lui dis vous prendrez votre responsabilité devant lhistoire et devant le peuple algérien, parce que vous êtes en train de blanchir ces généraux et un jour ou lautre, vous serez des complices de ces généraux. Allez voir ce qui se passe dans les environs dAlger, allez faire votre enquête à Lakhdaria. Il y a des gens qui ont été assassinés.» Laurent Jeoffrin : «Omar Belhouchet, vous avez les moyens de vérifier les accusations de Souaïdia.» Belhouchet : «Nous sommes en train de travailler, je mets à la disposition de mes collègues français un certain nombre de faits.»