» Sifaoui a tenté d’altérer le témoignage de Souaïdia « 

M. Gèze, directeur des éditions La Découverte :

 » Sifaoui a tenté d’altérer le témoignage de Souaïdia « 

Daikha Dridi, non publié dans le quotidien d’Oran du 18 février 2001

François Gèze, 52 ans, est à la tête des éditions La Découverte depuis vingt ans, depuis, précise-t-il, que François Maspero lui a confié les éditions Maspero, connues pour l’intérêt qu’elles ont porté à l’Algérie depuis la guerre de libération. François Gèze tient d’ailleurs à souligner qu’il ne fait pas partie de ceux pour qui  » les droits de l’homme se pratiquent à deux vitesses, ça vaut aussi bien pour le Nord que pour le Sud  » et si les tribunaux internationaux n’inquiètent que les criminels des pays pauvres, c’est que  » lui ne contrôle pas la cour internationale de La Haye « , mais se  » bat en tant que citoyen et intellectuel pour faire respecter le droit où qu’il soit « 

Le Quotidien d’Oran : Vous venez d’éditer un livre, La sale guerre, objet d’un litige avec le journaliste Mohamed Sifaoui qui vous accuse d’avoir modifié le texte initial de ce livre, que s’est-il passé ?

François Gèze : Ce qui était prévu initialement avec Mohamed Sifaoui et Habib Souaïdia c’est que le journaliste aiderait Habib Souaïdia à mettre en forme son témoignage et nous avons convenu ensemble que le témoignage serait écrit avec la collaboration de Mohamed Sifaoui. C’est ce qui a été fait effectivement, mais à mesure que le manuscrit avançait je me suis rendu compte que Mohamed Sifaoui a rajouté de nombreux passages attribués à Habib Souaïdia. C’est évidemment un livre écrit à la première personne, le témoignage de Souaïdia et de personne d’autre.

M. Sifaoui affirme que vous êtes intervenu dans le texte pour édulcorer toutes les accusations contre les islamistes et grossir le trait des accusations de l’armée algérienne.

C’est absolument faux et c’est d’ailleurs tellement faux que je le poursuis en pour diffamation parce qu’il me met gravement en cause. Tous les passages supprimés dans la version initiale n’ont qu’un lointain rapport avec le témoignage effectivement publié. Ils ont été retirés à la demande de Habib Souaïdia, parce que lui même m’a dit  » ça je ne le savais pas, ces extraits sont des chose que je ne pouvais pas connaître « . J’ai donc demandé à Habib Souaïdia de relire tout ce qu’avait écrit Sifaoui pour que lui-même élimine tout ce que lui ne savait pas, qui avait été rajouté, et qui aurait gravement mis en cause la crédibilité et la fiabilité de son témoignage. M. Sifaoui est un menteur, j’ai gardé d’ailleurs toutes les traces de ce qui a été supprimé. C’est absolument faux de dire que ces passages concernaient les groupes armés islamistes, la majorité des passages qu’il avait rajoutés et que Souaïdia m’a demandé de supprimer concernaient l’armée ou le pouvoir algérien, quelques-uns étaient une analyse des groupes armés islamistes, mais très détaillée : quel groupe s’était constitué à quel date et comment et qui était l’émir machin, d’ailleurs ça ne concernait pas du tout leurs exactions, là-dessus il n’avait rien ajouté. Monsieur Sifaoui est véritablement un menteur, il m’a mis en cause gravement, je n’ai absolument pas altéré le témoignage, c’est lui qui a non seulement manipulé le témoignage de Souaïdia, mais en plus il a détourné l’argent que je lui avais donné pour qu’il le remette à Habib. Je le poursuis devant les tribunaux et on verra qui a raison et vu les preuves que j’ai, il ne peut qu’être condamné.

Vous affirmiez à la suite de la publication du livre de Nesroulah Yous, que c’est l’armée a massacré des civils et qu’elle continue à ce jour de le faire, je voudrais vous demander sur quels arguments vous basez-vous exactement ?

Ce n’est pas exactement ce que j’ai dit. Je dis qu’on dispose d’un faisceau de présomptions, de faits précis qui ne permettent pas d’interpréter autrement certains des grands massacres. Je ne dis pas tous les massacres, mais en tout cas celui de Bentalha assurément et d’autres qui ont eu lieu à la même époque. C’est absolument impossible d’imaginer que ces massacres aient été faits par des groupes islamises armés indépendants de l’armée. L’armée était impliquée très fortement, alors très exactement à quel niveau ? comment et qui ? cela je l’ai toujours dit, nous ne le savons pas. Ce que nous savons c’est un ensemble de faits précis, pour Bentalha par exemple, les services de sécurité ne sont pas intervenus, un hélicoptère de l’armée a tourné autour du massacre toute la nuit. […] Maintenant, comment et pourquoi, moi je ne pourrai formuler que des hypothèses et c’est pour cela que seule une commission d’enquête indépendante impartiale, nationale ou internationale, pourrait établir les faits.

Il m’a semblé que vous imputiez de manière assez forte aussi l’armée dans les massacres qui continuent à ce jour et j’aimerai savoir pour quel alibi ?

Quelque chose que tous les observateurs honnêtes reconnaissent et les bons journalistes algériens les premiers, est qu’il est extrêmement curieux que le niveau de violence terroriste d’où quelle vienne soit étrangement corrélé aux conflits au sein du pouvoir. On sait par exemple qu’au moment des grands massacres de 1997, il y avait un conflit très important entre le président Zéroual et son conseiller M. Betchine d’une part et, d’autre part, les généraux comme Mohamed Lamari, Smain Lamari et Toufik Mediene, qui étaient en désaccord sur la façon de gérer le dossier FIS, et que ce désaccord était violent. On connaît par ailleurs les traditions de la sécurité militaire et du cœur du pouvoir en Algérie, qui consistent à envoyer des messages sanglants pour régler des comptes, jamais directement mais toujours par le biais de meurtres indirects. D’autre part, on sait aussi que la tradition de manipulation de la violence par le pouvoir, par l’armée, par la sécurité militaire est quelque chose d’ancien, qui remonte à la guerre de libération, beaucoup de choses terribles, des règlements de compte ont eu lieu et ont continué tout au long de l’histoire de l’Algérie indépendante…

C’est donc à partir de déductions, notamment historiques, que vous concluez que les conflits à l’intérieur des hautes sphères du pouvoir se répercutent par des massacres de civils ?

Ce que je dis c’est quand on connaît bien l’histoire de l’armée algérienne depuis la guerre de libération et qu’on connaît le mode de fonctionnement, le comportement, la formation de certains officiers supérieurs, on dispose quand même d’un certains nombre d’éléments. On sait par exemple le rôle qu’a joué Abdelaziz Boussouf à la fin de la guerre, on sait que le président Boumediene était l’adjoint même de Boussouf, on sait que la sécurité militaire a joué un rôle de colonne vertébrale depuis l’indépendance

Oui mais je ne vois pas le rapport direct avec ce qui se passe aujourd’hui… entre le fait que tout le monde sache effectivement que la sécurité militaire est la colonne vertébrale du pouvoir aujourd’hui en Algérie et qu’elle décide de massacrer des civils à n’en plus finir. Ma question est quel intérêt ont ces gens dans le massacre des femmes et des enfants ?

C’est comme un puzzle qu’on peut reconstituer en évoquant les éléments historiques que je vous ai cités, les éléments factuels de la période contemporaine sont également importants. On peut reconstituer un certain nombre de faits, de comportements, de méthodes, de pratiques en matière de lutte antisubversive et antiterroristes qui font que ce puzzle arrive à donner une image un peu globale. L’arme des massacres indiscriminés est une arme utilisée dans la lutte antisubversive. Dès 1992 par exemple des dizaines, centaines, des milliers de jeunes ont été arrêtés, torturés, certains expédiés dans les camps du sud ou purement et simplement liquidés. En octobre 88 l’armée n’a pas hésité à tirer dans la foule. Moi, des choses que j’ai découvertes, en travaillant très sérieusement, en écoutant beaucoup de témoins, c’est le mépris profond, scandaleux et monstrueux dans lequel les généraux algériens tiennent le peuple algérien.

Nous savons bien dans quel mépris nous tiennent nos généraux, mais je ne repère toujours pas l’intérêt qu’ils auraient à massacrer des femmes, des enfants alors que la communauté internationale les accuse gravement ?

Malheureusement des comportements aussi monstrueux paraissent presque banals pour eux, Habib Souaïdia rapporte ce qu’a fait le 12e RPC, comment ses camarades ont assisté à des choses épouvantables, et il raconte comment les colonels de ce régiment, les généraux disent :  » on ne veut pas de prisonniers, tuez-les tous « .
[…]

Revenons au livre, qui s’est très bien vendu à tel point que les stocks en librairies ont été épuisés moins d’une semaine après sa sortie, peut-on connaître son tirage ?

Il a été tiré à 20 000 exemplaires […].

En parlant avec Habib Souaïdia, il m’a semblé percevoir que ses conditions de vie ne sont pas des meilleures, j’aimerai savoir ce que vous faites pour lui M. Gèze ?

Eh bien, je suis intervenu pour qu’il puisse avoir le statut de réfugié politique qu’il a pu obtenir, je lui ai évidemment donné de l’argent, je vais continuer à le faire, d’autant qu’une partie de l’argent qui lui revenait a été donnée à Mohamed Sifaoui parce qu’à l’époque il n’avait pas encore de statut en France et je ne pouvais lui donner de l’argent directement pour des raisons juridiques et comptables. Sifaoui lui a volé l’argent qui lui revenait. On essaie de lui trouver un logement, un travail, c’est un peu difficile, son statut est un peu précaire, on se décarcasse pour l’aider.

Cet homme a pris un risque énorme, pour lui et pour sa famille, j’aimerai savoir si dans ce type de circonstances particulières, les droits d’auteur sont plus conséquents ?

Ce type de cas pour moi ne s’est jamais présenté, les droits d’auteur sont normaux, mais je pense que si le livre continue à se vendre ça pourra augmenter, ses droits d’auteur sont au tarif normal actuellement, c’est à dire de 10 %.

 

 

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