Hicham Aboud: « Vous ne faites que confirmer mes accusations »

 

Hichem Aboud à Larbi Belkheïr

« Vous ne faites que confirmer mes accusations »

Le Matin, 09 mars 2002

Suite aux déclarations de Larbi Belkheir au quotidien français Le Monde (lire notre édition du jeudi 7 mars), le capitaine Aboud Hichem, auteur du livre La Mafia des généraux, revient à la charge et « rectifie » les propos du général.

« Tout en saluant votre courage de répondre, à travers une interview accordée au quotidien français Le Monde, aux accusations que j’ai portées contre votre personne dans mon livre La Mafia des généraux, je tiens à vous remercier pour cette intervention qui ne fait que confirmer les thèses développées dans mon ouvrage et permettre l’ouverture du débat sur un sujet crucial. Celui des véritables détenteurs du pouvoir en Algérie. Contrairement à vos pairs qui font appel à des plumitifs de service pour les défendre en versant dans l’insulte, la calomnie et les accusations gratuites, vous prenez vos responsabilités en répondant personnellement. Vous avez bien raison de ne pas faire appel à ces relais médiatiques de la mafia qui ne sont plus crédibles.

Vous avez bien fait de dire que je n’ai aucun compte personnel à régler avec vous, encore moins avec les autres. Quant à dire que je m’attaque au système auquel vous appartenez pour me faire de la publicité, je reconnais votre honnêteté puisque vous, au moins, vous ne versez pas dans l’accusation gratuite comme le font vos pairs. ()

Dans votre réponse, vous niez avoir fait partie de l’école des enfants de troupe de l’armée française et que vous avez fait vos études au lycée de Sidi Bel Abbès jusqu’à 1956. Cependant, vous ne niez pas votre appartenance à cette armée française comme cherchait à vous le faire dire le correspondant d’un quotidien algérien. Vous vous êtes, donc, engagé dans l’armée française bien après le déclenchement de la Révolution armée du 1er Novembre 1954 et bien après les douloureux événements du 20 Août 1955. Vous étiez âgé de 19 ans, donc majeur et conscient du conflit qui opposait le peuple algérien au colonialisme français. Vous ne m’avez pas, non plus, démenti sur la réunion qui s’était tenue à Garn El Halfaya, au printemps 1959, à laquelle vous aviez pris part aux côtés d’anciens déserteurs de l’armée française, dont Abdelmalek Guenaïzia. Vous ne m’avez pas démenti sur la composition du clan (ou l’équipe comme vous la qualifiez) dont la quasi-totalité est issue de l’armée française.

D’où vient votre fortune ?

Concernant votre fortune, vous avez confirmé être propriétaire d’une minoterie à Ghardaïa. Tout comme vous ajoutez à votre villa de Hydra celle de Aïn Taya que je n’ai pas citée dans mon ouvrage n’étant pas sûr qu’elle était votre propriété personnelle ou celle de l’Etat. Merci de m’avoir apporté la précision. Je profite de cette occasion pour vous demander de bien vouloir préciser pour quel montant avez-vous acheté la villa d’Oran et pour quel montant l’avez-vous vendue. Pour quel prix avez-vous acheté les villas de Hydra et de Aïn Taya et quelle est leur valeur réelle ? Et tant qu’on y est, et du moment que le débat est ouvert, je vous saurais gré de bien vouloir nous renseigner sur la superficie de votre villa de Hydra que je connais bien, ainsi que celle de Aïn Taya.

Monsieur Belkheir, dans un pays où des milliers d’Algériens s’entassent à dix et plus dans un-deux pièces, pensez-vous que posséder deux villas à Alger n’est pas une insulte au peuple ? Comment avez-vous fait pour que votre solde de militaire puisse vous permettre de vous payer deux villas si vous n’aviez pas profité de vos fonctions? Dois-je rappeler que la solde d’un général en 1992 ne dépassait pas les 25 000 DA ? Croyez-vous sincèrement qu’il est à la portée de n’importe quel citoyen d’obtenir une ligne de crédit bancaire pour construire une minoterie ? Pouvez-vous nous révéler les noms de vos associés ? Quant aux terres héritées dans la région de Tiaret, vous ne faites que confirmer que votre père était un caïd du temps de la colonisation. Donc, collaborateur avec les autorités coloniales. Corrigez-moi, si je me trompe (). Venons-en maintenant aux affaires et commençons par l’assassinat de Boudiaf. Je ne vous ai nullement accusé d’être le seul commanditaire de ce crime. C’est tout votre clan (ou équipe comme vous voulez) qui en est responsable.

() Dans La Mafia des généraux, je ne me suis pas seulement interrogé sur votre absence à Annaba. Celles des généraux Tewfik, Smaïl Lamari et Benabbès Gheziel, les principaux patrons des services de sécurité, méritent une réponse. Votre absence à Oran lors de la visite du Président Boudiaf n’excuse pas celle de Annaba. Citez-moi une seule visite du Président Chadli Bendjedid à l’intérieur du pays sans qu’il soit accompagné de son ministre de l’Intérieur.

Non, Monsieur Belkheïr, ni vous ni les dix autres membres de l’« équipe » des onze ne sauront convaincre le peuple algérien que l’assassinat du Président Boudiaf relève d’un acte isolé. Sur ce sujet, je prends à témoin le peuple algérien, et je vous prie de bien vouloir répondre à toutes les interrogations soulevées dans La Mafia des généraux concernant l’assassinat du Président Boudiaf.

Qui a désigné M. Bouteflika ?

Dans votre réponse à mes accusations, vous réfutez la thèse selon laquelle vous êtes à l’origine de la désignation de Bouteflika à la Présidence de la République. Vous n’avez fait que la soutenir. Qui est donc à l’origine de cette désignation ? A quel titre vient-on consulter un général à la retraite qui s’occupe de sa minoterie de Ghardaïa pour apporter son soutien à la candidature d’un homme qui a disparu de la scène politique depuis plus de vingt ans ? De quel droit décidez-vous, vous et vos pairs, du choix du Président.

Votre équipe est bien celle qui était avec Chadli Bendjedid. Elle nous a menés à la faillite. Pourquoi ne veut-elle pas se retirer ? Pourquoi tient-elle toujours à nous désigner nos gouvernants apparents ?

Vous réfutez la thèse du cabinet noir tout en reconnaissant qu’il y a eu des tractations après la démission du Président Zeroual. Voulez-vous nous dire où se sont-elles déroulées et avec qui ? Ceux qui ont mené ces tractations ne sont-ils pas les mêmes qui ont ramené Chadli et qui l’ont démissionné ? Ne sont-ils pas les mêmes qui ont ramené Boudiaf et l’ont assassiné ? Ne sont-ils pas les mêmes qui ont ramené Zeroual et qui l’ont contraint à la démission ? Ces tractations étaient-elles publiques ? Etaient-elles menées par des hommes politiques connus de l’opinion publique ? Et vous me dites qu’il n’y a pas de cabinet noir ! Si ce n’est pas vous, ni ceux que je désigne dans mon livre, qui sont-ils ces décideurs dont on ne cesse de parler ? Qui est membre de cette mafia politico-financière tant décriée ? Si vous êtes sincère, aidez le peuple algérien à démasquer ceux qui sont à l’origine de son drame.

() Vous remarquez que je n’ai pas rapporté nos débats dans mon livre par respect à l’hospitalité que vous m’accordiez. Mais, je ne me suis pas empêché de les exploiter pour vérifier mes informations en écrivant La Mafia des généraux. Je reconnais que nos débats ont toujours été empreints de respect mutuel et quelqu’un d’autre, à votre place, n’aurait jamais supporté l’acidité et la virulence de mes propos. C’est pourquoi je vous ai toujours respecté. Mais, comme je vous l’ai déjà dit au cours de notre avant-dernière conversation téléphonique, je ne pourrai jamais vous épargner tant que je suis convaincu que vous faites partie de ce système qui a fait beaucoup de mal à mon peuple.

Monsieur Belkheïr, vous et vos pairs, vous avez fait beaucoup de mal à l’Algérie. Ne cherchez pas à jouer aux gentils généraux républicains démocrates qui ont sauvé l’Algérie des griffes de l’intégrisme. Ce discours ne passe plus. Le régime des Talibans, vous l’avez instauré en Algérie bien avant le FIS. ()

L’intégrisme a toujours été votre allié objectif et votre alibi pour réprimer toute revendication démocratique. Les Saci Lamouri, Saïd Guechi, Ahmed Merani et tant d’autres qui ont endoctriné des milliers d’Algériens ne jouissent-ils pas des faveurs de votre régime ? Mahfoud Nahnah, qui reconnaît avoir envoyé nos enfants se faire tuer en Afghanistan, n’est-il pas l’un de vos partenaires les plus gâtés ? La diplomatie algérienne n’a-t-elle pas pour chef de file un intégriste invétéré en la personne de Belkhadem ? Non, Monsieur Belkheir, cette thèse est éculée. Faqou !

Pour clore, je tiens à vous remercier d’avoir ouvert le débat. Un débat auquel je souhaite voir l’intervention des partis politiques, des anciens de l’ALN et de la société civile. Que les intervenants prennent exemple sur vous pour débattre dans la sérénité et en toute objectivité loin de règlements de comptes personnels. Pour le bien de l’Algérie. J’espère que vous ne serez pas aux côtés des censeurs qui interdisent la vente de mon livre en Algérie. Laissez-le circuler librement pour que tous les Algériens puissent prendre connaissance de son contenu et donner leur avis en toute objectivité. »

H. A.