« L’Europe doit intervenir en Algérie »

« L’Europe doit intervenir en Algérie »

Hocine Aït-Ahmed, Propos recueillis par Baudouin Loos, Le Soir de Bruxelles, 21 juin 2001

Vétéran de la révolution algérienne, président du parti algérien d’opposition Front des forces socialistes (FFS)

Vous êtes de passage à Bruxelles pour vous entretenir avec les Affaires étrangères belges à quelques jours de la présidence belge de l’Union européenne. Quel est votre message ?

Les événements qui se déroulent actuellement en Algérie – NDLR : les provinces kabyles sont secouées par des émeutes à répétition, les troubles s’étendent en dehors du pays berbère et la répression a fait des dizaines de tués – montrent que la dissidence politique qui s’élargit a déjà eu deux résultats positifs :

1. Elle a rendu lisible la vraie nature du pouvoir, celle d’un cartel de généraux « bunkérisés » exerçant un pouvoir absolu, amassant une fortune monumentale et jouissant d’une impunité totale malgré les massacres à propos desquels des révélations ont été faites sur implication directe et indirecte des services spéciaux.

2. Cette « intifada » a aussi rendu lisible le fait que la société algérienne n’est pas soumise malgré les dix ans de tragédie à huis clos ignorée par l’ONU. Cette jeunesse – trois quarts de la population a moins de 30 ans – veut conquérir sa liberté. Elle dénonce aussi cette guerre sans solution depuis dix ans et la paupérisation qui rend la vie quotidienne tellement impossible que les chiffres de suicides annoncent trois mille décès en deux ans alors que ce phénomène est contraire à nos traditions. Les gens se demandent où passent les dizaines de milliards de dollars de recettes pétrolières. En fait, on a assisté à la privatisation des institutions et des richesses du pays, pendant que 200.000 Algériens mouraient, que 20.000 disparaissaient et qu’un million était déplacé de force

Concrètement, votre requête, ici à Bruxelles ?

Des mesures énergiques doivent être prises par l’Union européenne. Des mesures à l’aune de l’ampleur prise par les violations massives des droits de l’homme. Ainsi, l’Europe pourrait appuyer une demande d’examen urgent de la situation des droits de l’homme par le Conseil de sécurité des Nations unies. Les Europens seraient aussi bien inspirés d’envoyer à Alger d’urgence Javier Solana, Haut Représentant de la diplomatie européenne, pour appeler le régime à la retenue dans sa répression. Mieux encore : les Européens, outre le lancement d’une commission d’enquête visant à faire toute la lumière sur la crise algérienne, devraient immédiatement suspendre les négociations qu’ils mènent avec l’Algérie sur la conclusion d’un traité d’association. Une suspension qui se prolongerait jusqu’à la cessation des violations des droits de l’homme et la mise en oeuvre des principes démocratiques. J’en profite pour saluer l’appel des chefs d’Etat et de gouvernement des Quinze lancé à Göteborg samedi dernier, qui réclamait l’arrêt de la répression et la recherche d’une solution politique.

Aviez-vous prévu ces émeutes ?

Je ne suis pas prophète, mais des signes nous avaient alerté : depuis plusieurs semaines, la gendarmerie avait multiplié les provocations à la limite du racisme en Kabyle : rackets de commerçants, saisies de marchandises, gens battus, etc. Trop de coïncidences, mais toutefois je ne m’attendais pas à ce que le régime prenne le risque de ternir son image internationale. Ce que nous savions, en revanche, c’est que les réactions populaires pouvaient être très fortes. Dans cette région fort politisée, la population, qui a toujours montré sa capacité de mobilisation, était prête à exploser. Ce qui se produisit quand cette jeunesse tourmentée par une immense détresse sociale fut soudain confrontée à l’assassinat d’un lycéen le 18 avril dans une caserne de la gendarmerie à Beni Douala.

« Les Quinze devraient suspendre les négociations sur un traité d’association avec l’Algérie »

Mais la violence pure et simple peut-elle résoudre le conflit ?

Il faut nuancer l’appréciation de cette violence. La plupart des destructions sont le fait de commandos de provocateurs ou de bandes non organisées infiltrées. Le souci du FFS, mon parti, a toujours été de prévenir des réactions violentes et de les canaliser vers la lutte pacifique. Mais il y a eu la goutte qui a fait déborder le vase, le meurtre de ce lycéen, un crime de sang froid qui remettait dramatiquement dans les mémoires celui du chanteur Matoub Lounès, en juin 1999, une vraie exécution qui avait été commise à quelques jours de la mise en oeuvre de la loi portant obligation de la langue arabe – NDLR : peu pratiquée en Kabylie -, dans une conjonction d’éléments qui fait penser qu’on a déjà voulu à ce moment faire basculer la Kabylie dans la violence et le chaos. N’oublions pas que ce régime tient à la persistance de la violence, qui lui permet d’éviter un sursaut citoyen. Le maintien d’une fiction bipolaire armée/islamistes destinée à abuser la communauté internationale annihile aussi l’émergence d’une alternative démocratique.·

 

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