Kabylie : on tire sur la foule

Kabylie : on tire sur la foule

Kader Sadji, Le Matin, 11 décembre 2001

> Dimanche soir, les CNS ont fait usage de leurs armes : 4 blessés à balles réelles dans la ville d’El Kseur. Les affrontements, qui ont repris entre les manifestants et les gendarmes suite à la protestation de la population contre la rencontre initiée par Benflis avec des dialoguistes décriés par la Coordination des aârouch, ont fait plus de 30 blessés à El Kseur depuis jeudi dernier. > Une véritable chasse aux représentants des aârouch qui ont fui leur domicile a été enclenchée par les CNS dans la ville d’El Kseur. > Dans la même journée, aux environs de 20 h, les affrontements ont gagné la ville de Seddouk au cours desquels plusieurs blessés par balle en caoutchouc ont été signalés. > Une réunion extraordinaire de la CADC de Tizi Ouzou s’est tenue hier en réaction à l’arrestation de 10 manifestants, dont un délégué de la coordination, mis sous mandat de dépôt suite aux émeutes qui avaient éclaté avant-hier au quartier les Genêts. > Ils ont réagi : Ferhat M’henni et un représentant de la Coordination des aârouch d’El Kseur dénoncent « la solution répressive du pouvoir » au moment où il met en avant un faux dialogue.

30 blessés et 15 arrestations à El Kseur
Les policiers tirent à balles réelles
De notre bureau de Béjaïa

La situation à El Kseur a pris une tournure dramatique depuis dimanche soir où un climat de terreur policière continue de régner. Pas moins de 30 blessés, dont 4 par balles réelles, sont à déplorer parmi les manifestants en plus d’une quinzaine d’arrestations. Deux délégués du comité de la société civile d’El Kseur, en l’occurrence MM. Rabouhi Mourad et Hammoumou Azzedine, sont actuellement sous mandat de dépôt et déférés à la prison de Béjaïa sous le chef d’inculpation de « destruction des biens de l’Etat ».
Malgré les multiples démarches du comité auprès du procureur de la République pour libérer les détenus et apaiser la tension, rien n’y fit, ce qui donna lieu à une intensification des émeutes, notamment durant toute la journée et la soirée d’avant-hier. Après de longs et violents affrontements ayant eu lieu au niveau du commissariat de police, les émeutiers se sont dirigés vers la banlieue de Berchiche pour « assiéger » la cité résidentielle de la police.
Il était 21 h lorsque les premiers affrontements ont commencé et ne tardèrent pas à tourner au drame. Aux jets de pierres des manifestants, les éléments des CNS lançaient des bombes lacrymogènes pour disperser la foule. Mais, un moment plus tard, des policiers en civil tiraient à balles réelles avec leurs pistolets automatiques. 4 jeunes manifestants, âgés de 16 à 23 ans, sont touchés (3 au niveau de la cuisse et le quatrième à l’épaule gauche). Les blessés sont transportés par les manifestants eux-mêmes en parcourant une longue distance à pied, puis à bord d’un fourgon de passage jusqu’à la polyclinique de la ville. Une fois les premiers soins prodigués, ils sont évacués à l’hôpital d’Amizour. 2 blessés ont pu rentrer chez eux le lendemain après-midi tandis que les 2 autres sont toujours maintenus à l’hôpital pour subir une opération chirurgicale afin d’extraire les balles. Selon une source hospitalière, le cas de ces deux victimes est hors de danger.
Rencontrés hier au niveau du quartier le plus chaud d’El Kseur, les manifestants et les délégués sont unanimes à dire que l’action organisée à la cité résidentielle de la police de Berchiche est une manière de faire pression sur les éléments des CNS pour qu’« on libère le plus tôt possible les détenus ».

Chasse aux délégués
La journée de dimanche a été également marquée par une vague de répression sans précédent. Une véritable chasse aux délégués est orchestrée par des policiers en civil qui écumaient la ville. Ils circulaient à bord de voitures banalisées pour pénétrer insidieusement dans les quartiers et procéder à des « arrestations arbitraires ». Plusieurs personnes, jeunes et adultes, sont arrêtées et embarquées suite à des descentes de la police. Pour échapper à leurs griffes, tous les délégués ont fui leurs domiciles. « Depuis deux jours, le quartier de Ali Gherbi est encerclé par des policiers en civil qui ont même failli kidnapper son fils », nous confiera un délégué qui vit toujours dans la clandestinité.
A vrai dire, la situation devient de plus en plus inquiétante, due notamment, selon les manifestants, au « comportement provocateur des éléments des CNS qui ont lancé des bombes lacrymogènes dans les quartiers de Aïn-Lahlou et Berchiche à l’intérieur même des domiciles et à cinq minutes de l’annonce de la rupture du jeûne, alors que personne n’était dans la rue ».
Mais ce qui alimenta le plus la colère des jeunes émeutiers, c’est lorsque « des policiers en civil, diront-ils, se mêlaient aux manifestants en scandant : « Ulach smah ulach » et agressaient entre-temps d’autres manifestants avec des couteaux ». Selon un délégué, 4 manifestants ont reçu des coups de couteau dans de pareilles circonstances. Depuis, avant-hier, dira-t-il encore, les blessés sont désormais évacués vers les hôpitaux d’Amizour et de Sidi Aïch, car « la polyclinique a été constamment encerclée par les éléments des CNS pour contrôler et identifier toute évacuation des blessés ».
Voilà qui augure d’une poursuite prolongée des émeutes dont les conséquences pourront s’aggraver davantage si des mesures d’apaisement ne sont pas prises en temps opportun.

 

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