Les mutineries se propagent à travers les prisons
LES MUTINERIES SE PROPAGENT À TRAVERS LES PRISONS
Ouyahia cherche des boucs émissaires
Par Fayçal Métaoui, El Watan, 9 mai 2002
La série dincendies et de mutineries, onze en tous, dans les prisons na pas ébranlé dun pouce le ministre dÉtat, ministre de la Justice. Ahmed Ouyahia, à la faveur dune conférence de presse animée hier au siège de son département à Alger, a coupé court à toutes les rumeurs sur son éventuelle démission.
«Je nai pas pour caractère dêtre un déserteur», a-t-il dit. Aucune sanction ne sera prise contre les directeurs des pénitenciers où les incidents ont eu lieu. «Je combats toujours en équipe, une équipe solidaire», a-t-il appuyé. Mais il a prévenu que la loi sera appliquée «dans toute sa rigueur» contre les auteurs de «défaillance établie». «Lanarchie est inacceptable», a-t-il déclaré. Le ministre de la Justice sest engagé «personnellement» à rendre publics les résultats des enquêtes judiciaires menées actuellement par les différents parquets. La mutinerie de la prison dEl Bouni à Annaba et celle de Sidi Bel Abbès sont liées, selon ses dires, à des arrière-pensées politiques. Ouyahia, qui nattend pas les conclusions des enquêtes judiciaires, a affirmé que les détenus, condamnés dans des affaires du terrorisme ou à perpétuité, mènent des «mutineries violentes». Selon lui, les détenus dEl Bouni ont exigé la présence de la presse et ont brandi des banderoles. «Nous avons refusé parce que nous ne voulons pas leur donner une tribune politique», a précisé Ouyahia. Il a annoncé que la force publique sera utilisée contre ces mutins sur réquisition du procureur général. Va-t-on rééditer le carnage de Serkadji en 1995 (95 morts) ou Berrouaghia en 1994 (200 morts) ? «Pour linstant, je touche du bois (…) Les moyens de sécurité ont évolué», a-t-il répondu. Ouyahia a refusé de communiquer le nombre de détenus condamnés dans les affaires du terrorisme prétextant les impératifs sécuritaires. «Je ne disqualifie pas les problèmes que vivent les prisons», a-t-il ajouté en tentant datténuer ses propos sur «la politisation» des mutineries. Les incidents de Chelghoum Laïd et de Serkadji sont liés, selon lui, au surpeuplement des cellules. Daprès lui, ce nest pas vraiment le cas à Ras El Oued, Boussouf ou Béchar. Il évoque, sans détailler, «les mesures légales» qui seront bientôt prises pour «réduire le nombre actuel des détenus». Labus dans la détention provisoire, qui est lune des causes de la surcharge des pénitenciers, ne saura, selon lui, être réglé par instruction ministérielle. Il a révélé avoir abrogé 600 circulaires signées par ses prédécesseurs et il a rappelé avoir signé une note, en novembre 2001, pour sensibiliser les chefs de cours, «et à travers eux les juges dinstruction», pour mettre en exécution les nouvelles dispositions relatives à la présomption dinnocence. Il a annoncé que 80 % des 450 magistrats instructeurs que compte le pays ont bénéficié de stage sur la notion de détention provisoire. «Il serait injuste daccuser nos juges dinsuffisance professionnelle», a-t-il répondu, sur la probable incompétence de certains juges, en insistant sur la nécessité de changer les mentalités. Il a même parlé en termes de «révolution», laquelle ne se «fera pas en une année». Et il a concédé : «Les juges ripoux, il peut en exister.» Selon Ouyahia, qui na pas nié lexistence de dépassements dans les prisons, 250 agents pénitentiaires ont été sanctionnés. «250 sur 15 000 agents», a-t-il insisté. Il a évoqué le retour récemment à la mesure de la «liberté conditionnelle» qui est décidée par le ministre lui-même. Ouyahia a révélé que le nombre actuel des prévenus est de 12 000 (soit plus dun quart du total des détenus). Ceux dont le jugement est en appel ou en pourvoi en cassation sont au nombre de 3000. Ouyahia, qui a insisté sur la formation des juges, a ironisé, à ladresse de ceux qui ont critiqué le recours abusif au mandat de dépôt, en disant : «Faut-il quon relâche tous les prisonniers ? Certains commentaires laissent penser que sil y a des détenus, cest presque la faute des pouvoirs publics.» Selon ses dires, sur les 4000 détenus se trouvant à Alger, plus dune centaine sont condamnés pour des crimes graves. Ouyahia sest permis un pronostic : «Le crime va augmenter en Algérie (…) La violence est liée à laffirmation des libertés et au développement.» Il a rejeté la thèse que certains incidents dans les prisons, dont Serkadji, soient liés à des viols homosexuels.
«Du mensonge», a-t-il dit. Mais, il a ajouté : «Il ne faut pas sattendre à des jardins dEden dans les prisons. Le milieu carcéral est dur, où règne la loi du silence.» Il a annoncé que les agents des pénitenciers ont été mis en état dalerte maximum depuis samedi 4 mai 2002. La Protection civile a, selon lui, inspecté toutes les prisons pour «évaluer les moyens de lutte contre lincendie et les conditions daération des cellules». Des «portes ouvertes» sur les prisons vont être organisées bientôt pour la presse. Selon lui, un «programme spécial» pour les prisons sera soumis au gouvernement en juin prochain. «LAlgérie nest pas le seul pays au monde à avoir connu des troubles dans les prisons», a souligné Ouyahia. Et il na pas écarté que derrière les incidents et mutineries dans les prisons se cache une volonté de «déstabiliser le pays». Le ministre nest-il pas lui même ciblé ? «Je suis un homme public, qui accepte de descendre dans larène et qui gère», a-t-il répliqué avec un large sourire.
——————–
«Le ministre nest pas superman»
Ouyahia a révélé hier que dautres prisons ont connu des incidents ces derniers jours : «Un début danarchie» à Tizi Ouzou, et des incendies à Sétif, à Ras El Oued et à Msila.
Il a parlé de «phénomène dimitation» et du rôle néfaste joué par les images de la télévision puisque, depuis 2000, toutes les cellules, ou presque, sont équipées de postes de réception. Les capacités daccueil dans les prisons sont passées, selon le ministre, de 25 569 en 1992, à 38 173 places. Ouyahia na pas communiqué le nombre réel de la population carécrale. Selon lui, le nombre des femmes détenues ne dépasse pas les 800. Le problème des «filles-mères» dans les prisons exige, daprès lui, une refonte de la loi. Le budget du ministère de la Justice a été revalorisé, ces deux dernières années, pour atteindre les 16 milliards de dinars. Cela a permis, entre autres, dassainir la dette des établissements pénitentiaires estimée à 600 millions de dinars.
Le budget destiné à lalimentation des détenus est passé de 450 millions de dinars, en 1999, à 1,07 milliard de dinars en 2002. Il a souligné lachat dautobus et de fourgons cellulaires. «Ces véhicules adaptés permettent déviter la réédition du tragique incident de 1997 qui a coûté la vie à des détenus morts étouffés pendant leur transfert», a relevé le ministre. Interrogé sur le fait quil soit intervenu personnellement lors de la mutinerie de Serkadji, le 1er mai courant, alors quil venait dautoriser lusage de la force publique contre les mutins dEl Bouni, Ouyahia a eu cette réponse : «Le ministre nest pas superman. Il ne peut être partout. Et ce nest pas la présence du ministre qui changera les choses.» Il a précisé que des négociations ont été menées avec les mutins dEl Bouni. Sans résultat, visiblement.
Par F. M.