Les rivaux de M. Bouteflika crient à la fraude

Les rivaux de M. Bouteflika à l’élection présidentielle algérienne crient à la fraude

par Jean-Pierre Tuquoi, Le Monde, 15 avril 1999

Ils exigent l’annulation des premières opérations de vote


ABDELAZIZ BOUTEFLIKA peut-il être battu ? A vingt-quatre heures du premier tour de de l’élection présidentielle, telle est la question qui résume le mieux la situation. Non pas que les sondages placent en tête l’ancien ministre des affaires étrangères du président Boumediène. L’Algérie est encore une terre quasi vierge pour les enquêtes d’opinion et les rares simulations publiées dans la presse sont plus que suspectes. Personne ne les a prises au sérieux.

Le statut privilégié de M. Bouteflika tient aux soutiens dont il bénéficie et qui ont fait de lui, malgré ses dénégations, le « candidat du pouvoir ». Les directions de quatre partis politiques (FLN, RND, Ennahda, MSP), totalisant plus de 80 % des sièges au Parlement, ont appelé à voter en sa faveur. La centrale syndicale l’UGTA, la seule autorisée est également à ses côtés comme toute une kyrielle d’associations professionnelles. Ce sont autant d’appareils bureaucratiques implantés de longue date dans le pays et capables de mobiliser une clientèle importante que l’ancien ministre a ainsi pu rallier à sa cause.

COUVERTURE « SUR MESURE »

La hiérarchie militaire, qui détient la réalité du pouvoir, s’est bien gardée de parrainer publiquement la candidature de l’ancien chef de la diplomatie algérienne. Dans des éditoriaux publiés dans son organe de presse officiel, El Djeich, elle a au contraire insisté sur sa « neutralité » tandis que le président démissionnaire, Liamine Zeroual, n’a eu de cesse de répéter que le scrutin de jeudi serait « un exemple d’honnêteté et de transparence ». Mais le chef de l’Etat avait pris des engagements similaires lors des élections précédentes entachées de fraudes massives, de l’avis général.

Surtout, la prise de position du général Khaled Nezzar en faveur de M. Bouteflika est venu jeter un doute sérieux sur ces belles résolutions. Le général Nezzar a beau être à la retraite, il a été un tel faiseur de rois depuis le début de la décennie que personne ne croit à une déclaration gratuite de sa part. La présence d’un autre général (à la retraite), Larbi Belkheir, dans l’équipe de M. Bouteflika a accru le scepticisme de nombreux Algériens.

L’argent a fait le reste. Le candidat Bouteflika n’en a pas manqué, même si son patrimoine officiel n’a rien de choquant (il a déclaré être propriétaire de deux maisons, d’un appartement et d’une antique Peugeot 205). Pleines pages de publicité dans la presse des semaines durant, campagne « à l’américaine » avec, par exemple, procession de centaines de taxis dans les rues de la capitale : M. Bouteflika est de loin celui qui aura le plus dépensé au cours de la campagne électorale.

Catalogué « candidat du pouvoir », l’ancien ministre a également eu droit à un traitement de faveur de la part de la télévision. Non pas dans le cadre de la campagne officielle où les sept « présidentiables » ont été traités de façon équitable mais au cours des journaux télévisés. Incontestablement, M. Bouteflika a bénéficié d’une couverture « sur-mesure », ce qui lui a d’ailleurs valu d’être surnommé le « candidat privilégié » par une grande partie de la presse francophone, qui lui est hostile.

Pour autant, chacun s’accorde à reconnaître que la campagne électorale s’est globalement déroulée de façon satisfaisante. En sera-t-il de même jeudi, le jour du premier tour, et lors du dépouillement des bulletins de vote ? L’expérience passée incite à la prudence. D’autant que le commencement du vote, lundi, pour les populations nomades du Sahara, et mardi pour les forces armées (gendarmerie, police, douane) a été l’occasion, pour six des sept candidats, de tirer la sonnette d’alarme et de dénoncer le manque de neutralité de l’administration au profit de M. Bouteflika. « Malgré les garanties données par le président Zeroual et le chef d’état-major des forces armées [le général Mohamed Lamari], les informations que nous avons reçues confirment que la fraude a commencé dans les bureaux de vote itinérants et les bureaux de vote spéciaux [pour les militaires] », a déclaré, mardi, le porte-parole du Front des forces socialistes (FFS), Djamel Zenati, qui s’exprimait au nom des six candidats.

« Nous exigeons l’annulation du scrutin dans ces bureaux et, compte tenu de la gravité de la situation, nous avons exigé de rencontrer d’urgence le président [Zeroual]. A la lumière de cette rencontre, nous déciderons de notre position définitive », a-t-il ajouté. Un retrait collectif n’est pas à exclure.

Devant les caméras, M. Zenati a brandi des bulletins de vote tamponnés par l’administration alors que, légalement, ils ne devraient être disponibles dans les bureaux de vote que jeudi. « Des milliers de bulletins de ce type ont été distribués dans tout le pays », a ajouté le porte-parole du FFS.

« BOURRER LES URNES »

Avant la réunion des représentants des six candidats, un communiqué commun de Hocine Aït-Ahmed (hospitalisé en Suisse à la suite d’un malaise cardiaque), Mouloud Hamrouche, Ahmed Taleb Ibrahimi et Abdallah Djaballah dénonçait « la volonté du pouvoir de procéder à une fraude massive ». Selon eux, les préfectures auraient reçu 25 % de bulletins de vote supplémentaires au nom de M. Bouteflika. Et le communiqué d’ajouter : des « agents de sécurité (…) ont été instruits pour multiplier les entraves aux représentants des candidats de manière à les contraindre à pénétrer en retard [dans les bureaux de vote, le jour du scrutin] ». Cette disposition va permettre à « l’administration de bourrer les urnes », affirme le texte.
Interpellé par ces griefs, le président de la Commission électorale (Cnisep), Mohamed Bedjaoui, a jugé « exagérées » les récriminations des candidats. Selon lui, la Commission n’a reçu que trente-huit plaintes au cours de la campagne. « Ces accusations n’ont aucun caractère de gravité et seront toutes réglées au niveau local », a-t-il conclu.

 

retour