Algérie: Discours de Said Sadi (RCD), 4 février 1999

DECLARATION LIMINAIRE DE SAID SADI APRES LA CONVENTION NATIONALE

(CONFERENCE DE PRESSE DU 04 FEVRIER 1999)

Mesdames, Messieurs, bonjour.

La Convention Nationale des cadres du RCD, vient de se prononcer par 616 voix contre 04 pour le boycott de l’élection présidentielle d’avril 1999.

Le 11 septembre 1998, le Président Liamine Zeroual annonçait son intention d’organiser des élections présidentielles anticipées.

Premier accroc à l’ordre constitutionnel, ce n’est pas le Président du Conseil de la Nation, dont c’était la mission, qui veillera à l’organisation du scrutin.

En dépit de cette entorse signant un dysfonctionnement majeur de l’Etat, le RCD s’était aussitôt mis en ordre de bataille.

Partant du principe que la moindre faille qui s’ouvrait devait être investie pour élargir le débat et favoriser la diffusion des aspirations populaires à plus de liberté et de justice, le RCD s’est jusque là engagé dans toutes les compétitions électorales. C’est donc tout naturellement que le Conseil National du 17 décembre 1998 avait confirmé le principe de la participation à l’élection d’avril 1999.

Cette option s’était concrétisée dans trois directions :

La première consistait à engager l’ensemble des structures du Rassemblement vers une mobilisation des couches sociales les plus impliquées dans le combat républicain, ces dernières années.

La seconde tâche s’est traduite par un long travail d’écoute de l’ensemble des acteurs politiques et sociaux ne se reconnaissant pas dans l’option islamiste ou ne croyant pas à la manipulation policière ou politicienne d’un mouvement d’une telle ampleur.

La troisième action voyait le RCD exposer ses revendications, en les adressant aux institutions et aux autorités concernées pour éviter au pays le discrédit et les dérives auxquels ont mené les scrutins précédents.

Le départ du Président Liamine Zeroual, au delà des éléments secondaires qui ont pu le précipiter, atteste d’abord et avant tout de l’échec d’une démarche politique qui a mis le pays dans une situation d’une extrême gravité.

Le RCD, qui a beaucoup écouté, a, on s’en est rendu compte, peu parlé. Mais le message qu’il a délivré à ses vis-à-vis peut être ainsi résumé :

A force de manouvres, de calculs, de confusion et de fuite de responsabilités, le pays est menacé d’une implosion chaotique.

Un tel risque dépasse la seule responsabilité de formations politiques. Il doit être appréhendé par toutes celles et tous ceux qui conviennent que le péril de cette fin de siècle qui menace la Nation algérienne est l’intégrisme.

La seule manière d’orienter la prochaine élection présidentielle vers une résorption positive de la crise consiste, avons-nous dit à tous nos partenaires, consiste à travailler à la bipolarisation de ce scrutin.

La crise qui ensanglante le pays est en fait l’expression de l’affrontement de deux conceptions du devenir algérien.

Pour certains, l’avenir de notre peuple algérien ne saurait se réaliser que par le dépassement puis la négation du cadre national pour se fondre dans la Oumma islamique.

Pour d’autres citoyens, très largement majoritaires, notre destin ne peut se concevoir en dehors de cette Nation , telle qu’elle s’est profilée tout au long du début du siècle, avant de se voir solennellement proclamée à travers la déclaration du 1er novembre 1954 et stabilisée dans la plate-forme de la Soummam.

Le reste des enjeux, qu’il s’agisse des institutions ou des autres choix stratégiques en matières économique, sociale et culturelle, fait partie des discussions et débats naturels dans toute démocratie.

Notre proposition consistait donc à aller à cette élection avec un candidat patriote qui affronterait le représentant de la mouvance islamiste. L’Histoire situera un jour les responsabilités de chacun quant au fait que cette solution n’ait pu se concrétiser.

Il est, par contre, possible de dévoiler aujourd’hui les intentions de ceux qui l’ont contrariée . Trois raisons majeures sont revenues à chaque fois qu’il fallait se déterminer devant ce choix.

La première, et la plus importante, tient au fait que les centres de décision majeurs semblent avoir définitivement opté pour le regroupement de la famille islamo-populiste en vue de la recomposition d’un courant hégémonique qui recyclerait l’ensemble des mouvances issues de l’éclatement de l’ex parti unique.

Le RCD a tenu à rappeler, à chaque fois, que c’est précisément l’hégémonie de ces choix doctrinaux qui ont mené le pays au désastre qui l’endeuille quotidiennement.

L’autre raison, qui a privé le pays d’une vraie solution, renvoie aux ambitions de personnes issues du sérail vivant dans la confusion voire de l’escroquerie et qui ne conçoivent le combat politique qu’en fonction du gain personnel qu’il peut offrir… Cela mène à une démarche qui revendique la démocratie tout en cultivant relations et complicités avec l’intégrisme pour ne pas en laisser la manipulation ou la nuisance à la seule disposition du régime. Ces candidats, plus ou moins interchangeables, se sont distingués par des sorties médiatiques qui sont autant d’aveux.

Aucun message n’est destiné au citoyen, seuls l’armée et les islamistes sont courtisés, chacun reprochant à l’institution militaire de ne pas l’avoir retenu comme favori.

Enfin, dernier élément qui a précipité l’instauration de la cacophonie de ces dernières semaines : la volonté simultanée des représentants du sérail et du groupe de Rome d’utiliser le fondamentalisme comme base de surenchère et de chantage réciproques, mais aussi comme élément repoussoir qui leur permettrait de se présenter comme un moindre mal. Le but de ce chantage étant aussi de réduire les chances de l’émergence d’un courant démocratique qui, lui, refuse autant le système en place que l’intégrisme qu’il a produit.

S’agissant de ce qu’il a été convenu d’appeler le pôle démocratique, les Algériens auront remarqué que, là aussi, le RCD s’est imposé depuis des mois la plus grande réserve pour ne pas ajouter à une confusion généralisée.

Je voudrais simplement dire, qu’une fois l’idée de la plate-forme alternative abandonnée après l’annonce de l’élection présidentielle, le RCD a proposé une alliance électorale la plus large possible pour rassembler le courant républicain et patriotique derrière une seule et même candidature. Cela ne fut malheureusement pas possible et les amis du CCDR, dont je salue ici la disponibilité et le dévouement citoyen et que je remercie pour leur soutien sont témoins de la manière dont se sont déroulées les choses.

Mesdames, Messieurs,

Vous connaissez tous les revendications adressées par le RCD à la Présidence de la République à travers un mémorandum rendu public le 30 septembre 1998.

Amendement de la loi électorale

Présence d’observateurs internationaux indépendants et en nombre suffisant

Garantie de l’impartialité de l’Administration avec sanctions pour tout dépassement, y compris en période préélectorale

Protection des média publics de toute gestion tendancieuse ou partisane

Débat à l’Assemblée et publication de l’ensemble des investigations sur la fraude des élections locales.

Vote des corps constitués par procuration ou sur leur lieu de résidence

Vote de l’émigration dépouillé quotidiennement et en présence des représentants des candidats

Réduction au strict minimum des bureaux de vote itinérants.

Commission de surveillance constituée uniquement des représentants de candidats au lieu de ceux de la pléthore de partis qui sont convoqués actuellement pour imposer une majorité dans une commission orientée d’avance.

Il n’échappe à personne qu’à ce jour, ces attentes, hormis le remplacement de 4 membres de l’Exécutif, n’ont pas été prises en considération et chacun peut aussi observer qu’une véritable machine de guerre s’appuyant sur l’Administration, s’est mise en marche dans tout le pays.

Politiquement, la campagne électorale s’engage à travers la culture du parti unique. Les candidats sollicitent la tutelle de l’armée la caution des islamistes et ignorent l’électeur. Les programmes n’existent pas.

Outre le fait que cette amorce brouille le débat politique qui aurait pu loyalement s’organiser autour des parcours, des positions et propositions des candidats, cette tendance à remembrer le parti unique constitue une faute politique grave qui coûtera cher au pays.

C’est au prix de milliers de martyrs, d’immenses sacrifices des survivants et de courage quotidien que l’Algérie existe encore, entretient l’espérance démocratique et a pu défaire l’intégrisme.

C’est d’abord à ces catégories qui constituent la richesse et l’honneur du pays qu’il fallait s’adresser. En tout cas, en ce qui me concerne, c’est à elles que, prioritairement, je m’adresse.

On sait que le pouvoir a fait le choix de la recomposition d’un grand mouvement islamo-populiste. Par ailleurs, le groupe de St.Egidio, neutralisé par la mobilisation citoyenne en 1994 et 1995, aujourd’hui reconstitué, entend bien, lui aussi, contester l’exclusivité du compagnonnage islamiste au régime en faisant la place la plus large aux partis intégristes.

Ce marchandage par le pire a eu une conséquence immédiate : refaire de l’islamisme, rejeté et marginalisé par les luttes citoyennes, l’arbitre de cette élection.

En politique comme en d’autres domaines, les mêmes causes aboutissent aux mêmes effets. Cette élection n’augure rien de bon pour le pays. Elle l’enlise davantage dans les contraintes qui en ont bloqué l’émancipation.

Aujourd’hui, pour les responsables, l’essentiel est de soumettre l’Administration et de savoir qui va manipuler l’islamisme à son profit. Mais même en limitant les préoccupations du pays à cette seule élection les vraies questions sont ailleurs :

Comment convaincre le citoyen que cette nouvelle mise à mort du pays mérite sa mobilisation ?

Que faire le lendemain de l’élection puisqu’il a été décidé, une fois de plus, que seule la solution islamo-populiste devait s’imposer au pays ?

En la matière, le problème est moins le 15 que le 16 avril si toutefois la première date est maintenue.

Mesdames, Messieurs,

Le RCD est demeuré constant dans son discours et s’est astreint à la responsabilité dans ses décisions. A chaque occasion, il a tenu à être présent et aux premières lignes, dès lors que l’initiative permettait d’espérer un gain, si minime soit-il, dans les avancées des libertés publiques.

Cette élection n’est pas régulière ; elle engage le pays dans des stratégies dont la vanité a été éprouvée et elle n’apportera pas la stabilité que nous attendons puisqu’elle ne vise que la restauration d’un régime dont nous connaissons les méfaits et les échecs.

Cette élection annihile toutes les mobilisations populaires qui ont permis au pays de rester debout.

Mesdames, Messieurs,

En 1991, je me suis solennellement prononcé pour l’arrêt du processus électoral au moment où beaucoup le souhaitaient sans en assumer la responsabilité.

En 1992, lorsque le Président BOUDIAF, exilé pendant 30 ans, essayait d’assainir la scène politique, j’ai loyalement soutenu sa démarche

En 1994, quand le pays menaçait de s’effondrer devant la terreur islamiste, la démission des uns et la compromission des autres, j’ai pris la responsabilité d’appeler à la Résistance contre le terrorisme intégriste.

En 1995, lorsque l’on donnait l’hypothèque algérienne comme acquise à Rome, je pense avoir contribué à réanimer la mobilisation citoyenne et à rapatrier notre décision politique.

Quand en 1996 et 1997 divers relais internationaux s’évertuaient à exonérer les islamistes de leurs crimes à travers des enquêtes internationales aussi suspectes que dangereuses, je n’ai pas ménagé mes efforts pour enrayer ces coupables complicités.

Enfin et malgré de légitimes appréhensions devant les fraudes qui on entaché les scrutins précédents, nous avons participé aux élections législatives et locales au prix que l’on sait.

Les marchandages occultes et les alliances contre-nature ont piégé cette élection.

J’ambitionnais de faire entendre la voix des justes et des humbles, ceux qui ont permis à mon pays de rester debout et dont on oublie ou nie la présence. Si l’on s’en tient aux candidats qui se sont exprimés jusque-là , ils n’ont de soucis que l’écho que rencontrera leurs appels auprès de l’armée et des islamistes.

J’ambitionnais dans mon programme de débattre devant mes concitoyens et face aux autres candidats de : l’école, de la réadaptation de la couverture sociale, du code de la famille, de la question identitaire, de la résorption du phénomène du terrorisme, d’un plan  »Marshall » pour la jeunesse, de la révision de la Constitution, de la modernisation de l’Etat, c’est à dire de la refondation nationale, du Maghreb et de bien d’autres sujets qui déterminent notre quotidien et engagent notre avenir.

Cela ne me sera pas possible et croyez bien, je le déplore et comprends la frustration de tous ceux qui croient en notre combat, s’investissent dans et pour leur pays et sont convaincus de son avenir démocratique.

Je ne serai pas candidat car cette élection, qui vous le savez, n’en est pas une.

Cette élection est le deuxième tour du scrutin de décembre 91.

Chaque bulletin qui sera mis dans l’urne est à considérer comme l’acte de décès d’un citoyen.

Les structures de l’Etat sont au service d’une aventure politique désastreuse.

En tant que citoyen, en tant que responsable politique, je me suis prononcé pour l’arrêt du processus électoral en 91. Fort de l’appui de mes camarades et conséquent avec mon combat, je me prononce pour un boycott actif. Pour la première fois en Algérie, un président de la République sera élu avec le soutien de partis islamistes.

Il faut disqualifier cette mortelle dérive par un boycott massif.

Comme par le passé, je serai présent parmi mes concitoyens dans cette campagne.

Plus que jamais, je dis à tous mes frères et sours : avec vous ,

L’heure est plus grave qu’en 1991 et beaucoup le savent. C’est une raison de plus pour rester lucide, serein et déterminé.

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