La soeur de Matoub Lounès menacée

La sour de Lounès Matoub menacée
La famille du chanteur kabyle assassiné déterminée à découvrir la vérité.

José Garçon, Libération, 24 décembre 1999

Il était 22 heures ce mardi et Naïm, 20 ans, se rendait à la maison de Lounès Matoub, le chanteur kabyle assassiné le 25 juin 1998. Comme tant d’autres jeunes du village de Taourit Moussa, il s’est improvisé gardien bénévole de sa demeure depuis sa mort. Mais lui s’est installé dans la villa et s’occupe d’Aldjia, la mère de la vedette abattue dans des circonstances qui restent non élucidées, en dépit d’une revendication des GIA. Soudain, trois individus cagoulés descendus d’une voiture le précipitent dans le véhicule et l’emmènent loin du village.

Pendant plus d’une heure, l’interrogatoire est serré. Les agresseurs demandent qui vit dans la maison et combien de personnes sont chargées de la surveillance. «Une dizaine», bluffe Naïm soucieux de protéger le domicile de son idole. «Arrête de mentir, vous êtes deux: la vieille (Aldjia, ndlr) et toi», s’énervent les kidnappeurs. En fait, ils font mine de poser des questions avec pour seul but de montrer qu’ils savent déjà tout. Et avec un objectif précis: faire de Naïm un intermédiaire pour menacer Malika, la sour de Lounès. Avec sa mère, celle-ci réclame inlassablement une enquête sérieuse sur le meurtre. Toutes deux refusent de croire les yeux fermés au scénario des autorités faisant des GIA les coupables, alors que la procédure judiciaire est au point mort et que toute la Kabylie n’a cessé de manifester aux cris de «pouvoir assassin». «Dis à Malika qu’elle arrête tout et surtout qu’elle arrête de parler, faute de quoi on va s’occuper d’elle», menacent les trois agresseurs. Puis ils laissent Naïm rentrer (à pied) à Taourit Moussa, en lui lançant: «Si on veut faire un carnage au village, on le fera.»

Dès mercredi matin, Naïm a porté plainte auprès de la gendarmerie de Beni Douala. De son côté, la fondation Lounès Matoub, présidée par Malika Matoub, a dénoncé ces tentatives d’intimidation dans lesquelles elle voit une «réponse directe» à ses initiatives pour trouver la vérité. «Je suis résolue à faire toute la lumière sur les circonstances, les auteurs et les commanditaires du crime quels qu’ils soient», affirmait hier Malika Matoub, précisant que «toute pression, intimidation et campagne de dénigrement ne feront que renforcer ma détermination».

Depuis la mort du chanteur, Malika et sa mère réclament une étude balistique et une reconstitution des faits. En vain. Toutes deux répètent aussi contre vents et marées qu’elles ne croient pas un mot des récits rocambolesques faits par des «repentis» présentés par la télévision algérienne comme les auteurs de l’assassinat. Visiblement résolue à tout faire pour que les assassins de son frère soient identifiés et jugés «quels que soient les risques encourus», Malika lançait hier un appel aux amis politiques de son frère. Depuis des années, Lounès affichait volontiers sa proximité avec le RCD, une formation résolument opposée à toute négociation avec les islamistes. «Je demande à toutes les personnalités qui se reconnaissent dans le combat de Lounès de prendre position en faveur de notre exigence de vérité.».

 

Retour: Articles