Le patron de l’ANP se démarque des « décideurs »

LE PATRON DE L’ANP SE DÉMARQUE DES «DÉCIDEURS»

Menouar Zeid, Algeria Interface, 18 juillet 2002

Alger, 18 juillet 2002 – Le chef d’état-major, Mohamed Lamari, veut désormais se défaire de l’emprise de l’influent collège d’anciens officiers qui tranche habituellement les questions de pouvoir.

Alger, 18 Juillet – La conférence de presse du chef d’état-major, le général de corps d’armée Mohamed Lamari, le 2 juillet dernier, a fait couler beaucoup d’encre à Alger. Elle a intrigué de nombreux algériens et observateurs d’une scène politique algérienne toujours aussi opaque. Mais elle a surtout déplu au «collège des décideurs.»

Le général Lamari a parlé en «chef de l’armée», confie un fin connaisseur de l’institution. C’est un militaire jusqu’au bout des doigts, qui ne veut plus – et sur cela il y a consensus au sein des responsables de l’ANP – que l’on mette, implicitement ou explicitement, «tout sur le dos de l’ANP.» Le chef d’état-major voudrait désormais, selon cet ancien officier, «clarifier les rôles, en dégageant l’ANP des jeux de pouvoirs dans laquelle elle s’est retrouvée mêlée, au moins de 1992 à 1999.»

De façon gauche et globalement brutale, Mohamed Lamari a en effet adressé une ferme mise au point au très informel mais néanmoins actif «collège des décideurs», ainsi qu’au président Bouteflika. Il a dégagé la responsabilité de l’institution du bilan politique des trois premières années du mandat présidentiel. «Pour les réformes économiques (…), l’institution militaire est la dernière à être informée.» Par cette phrase, il a voulu signifier à l’opinion que l’armée est en dehors de la sphère civile depuis 1999, contrairement à ce qui est communément admis.

Pour convaincre, Mohamed Lamari a fait son mea culpa. Il a reconnu que l’armée s’était immiscée dans la vie politique, face à des institutions «défaillantes.» C’était en 1992, avec l’arrêt du processus électoral. En ajoutant qu’aujourd’hui l’armée «ne s’occupe plus que de sa mission telle que prévue par la Constitution, ni plus, ni moins.»

Entouré des principaux officiers de commandement (le patron des forces terrestres Gaïd Salah, le chef de la première région, Brahim Fodil-Chérif, le patron de la gendarmerie, Ahmed Boustila, le responsable de la coopération et des relations extérieures, Abdelmalek Sassi, le numéro 2 de la sixième région (sud) Sadek Ait-Mesbah…), il a ainsi affiché sa volonté de détacher l’institution militaire des luttes de pouvoir. «Nous avons ouvert une brèche en 1992, nous l’avons refermée en 1999.» Cette phrase, apparemment sibylline, mais lourde de sens, était destinée au «collège des décideurs» auquel, visiblement, il dénie aujourd’hui toute emprise sur l’armée.

Questions de pouvoir
Mohamed Lamari a rappelé qu’en 1992, il avait déclaré que «seul, le bâton ne résoudra pas le problème.» Autrement dit qu’il fallait une démarche globale. À cette époque, les généraux Khaled Nezzar et Larbi Belkheir, respectivement ministres de la Défense et de l’Intérieur, avaient mis en œuvre l’option dite du «tout-sécuritaire.» Mohamed Lamari n’était alors qu’un «second couteau», mis au placard avec le titre de conseiller au ministère de la Défense, avant d’être rappelé pour diriger les forces terrestres.

En 1992, les généraux Khaled Nezzar et Larbi Belkheir, mais aussi les chefs du renseignement Mohamed Mediene et Smaïn Lamari, ainsi que les deux conseiller actuels de M. Bouteflika, Benabbes Gheziel (alors patron de la gendarmerie) et le général Mohamed Touati (qui conseillait Khaled Nezzar à la Défense) avaient pris les choses en main, en formant ce fameux «collège.» Ces officiers tenaient de conclaves, épisodiquement, et en marge des institutions constitutionnelles, pour trancher des questions de pouvoir.

Ce fut le cas pour régler la question de la succession du Haut Comité d’Etat, en 1994, en planchant d’abord sur la candidature d’Abdelaziz Bouteflika, une option qui avait échoué, puis sur celle du général Liamine Zeroual. En 1999, ils ont voulu intervenir pour régler la succession de Liamine Zeroual. Mais, il n’y a eu, selon des sources sûres, aucun conclave: l’état-major s’étant publiquement démarqué du jeu politique. Certains généraux, comme Châabane Ghodbane (ex-commandant des forces navales) et Tayeb Derradji (ex-patron de la gendarmerie) ont voulu que le sujet soit débattu. Ils ont été énergiquement rappelés à l’ordre par Mohamed Lamari, puis mis à la retraite.

Le choix de faire appel à M. Bouteflika a été le fait – avec le soutien de capitales étrangères – par deux officiers: Larbi Belkheir et Mohamed Touati, tous deux aujourd’hui à la présidence. Ils ont bénéficié de l’appui de Benabbes Gheziel, Smaïn Lamari et Khaled Nezzar. L’institution militaire, en tant que telle, n’a pas participé à cette décision. Même au plan personnel, Mohamed Lamari s’est astreint à une stricte neutralité. C’est ce que rappelle aujourd’hui, implicitement, le chef d’état-major, en soulignant que «la brèche a été refermée en 1999.» Une manière également de dire qu’il n’est pas lié au choix fait par «le collège des décideurs.»

Généraux loyalistes
La sortie médiatique du général Lamari a foncièrement déplu à ces anciens officiers, qui ont notamment réagi par un canal détourné et anonyme: celui de l’hebdomadaire «Les Débat » (semaine du 10 au 16 juillet 2002), qui a titré, en «Une», «Au nom de qui parlez-vous M.Lamari ?» Camouflé derrière «un groupe de généraux loyalistes» qui soutiendrait la politique présidentielle, le «collège», a dénié au chef d’Etat major le droit de s’exprimer au nom de l’armée, allant jusqu’à sous entendre qu’il était entré en dissidence.

En réalité, les généraux en retraite ou sans fonction de commandement qui forment le noyau central du «collège des décideurs», veulent conserver leur influence sur l’armée en tablant notamment sur les patrons du renseignement: les généraux d’active Smaïn Lamari et Mohamed Mediene. Or, sur ce point, le chef d’Etat major a souligné lors de sa rencontre avec des journalistes que les «services spéciaux» relevaient de son autorité, un passage qui n’a pas été repris par la presse écrite d’Etat. En les plaçant, ou les replaçant, dans la hiérarchie militaire, il fauche l’herbe sous les pieds du «collège» qui est tenté d’y recourir pour reconduire Abdelaziz Bouteflika ou faire «passer» un autre candidat aux présidentielles de 2004.

Ainsi, le général de corps d’armée Lamari engage publiquement une clarification des rôles, plus conforme à la vie institutionnelle et constitutionnelle, qui ne peut que déplaire aux tenants du pouvoir occulte. «Le statu quo, jusque-là en vigueur dans les sphères du pouvoir, est en train d’être rompu», s’alarme «Les Débats» tout en faisant en clin d’œil aux «services», tant il est vrai que le retour aux normes institutionnelles voulu par Mohamed Lamari dépendra d’eux. Objectivement, note un ancien colonel, ils ont intérêt – autant que le chef d’état-major – à sortir du bourbier de la dernière décennie, car il y va de leur pérennité et de celle de l’armée.