Le pouvoir et les partis face à une responsabilité historique

L’absence d’alternative accentue la contestation populaire

Le pouvoir et les partis face à une responsabilité historique

De fausses solutions risquent de précipiter la maturation des symptômes d’une guerre civile qui frappe à nouveau aux portes de l’Algérie

Par Zine Cherfaoui, La Tribune, 19 juin 2001

L’élargissement de la contestation populaire initiée en Kabylie à d’autres régions du pays conforte l’impasse totale dans laquelle se trouve le pouvoir algérien et démontre, par ailleurs, le caractère quasi général du sentiment de rejet par la société du système politique autoritaire en vigueur depuis l’indépendance. Contrairement aux nombreuses situations difficiles auxquelles il a eu à faire face, le pouvoir -avec la révolte des populations de Kabylie et des Aurès aujourd’hui répandue à d’autres grandes villes du pays- se trouve bien confronté, sans doute pour la première fois, à une lame de fond qui ne saurait se suffire de simples mesures de replâtrages. Le fossé qui s’est creusé entre la société et l’Etat paraît, en tous les cas, trop important pour être comblé par les palliatifs économiques, politiques et sociaux servis habituellement en période de crise ou de tension.Assurément, de fausses solutions risquent de précipiter la maturation des symptômes d’une guerre civile qui frappe à nouveau aux portes de l’Algérie. Devant le caractère légitime et surtout irréductible des revendications de fond et qui plus est sont, cette fois-ci, clairement exprimées par la société, le pouvoir se trouve, pour ainsi dire, pris en étau entre trois choix possibles : satisfaire la (les) demande(s) exprimée(s) ou poursuivre sa logique de répression quitte à assassiner une partie du peuple et prendre, avec cela, le risque d’entraîner l’embrasement de toute l’Algérie. Plus séditieuse, la troisième alternative serait que les décideurs, ainsi qu’il aura d’ailleurs été suggéré depuis peu, perpétuent pour quelques années encore le statu quo en procédant au toilettage de la vitrine du régime. Ni plus ni moins qu’une dangereuse fuite en avant, l’idée consistant, entre autres, à faire croire qu’une élection présidentielle anticipée pourrait être un élément de réponse crédible aux problèmes des Algériens et à la crise qui frappe l’Algérie depuis une dizaine d’années pourrait être l’un des possibles stratagèmes auxquels peut effectivement recourir le pouvoir pour étouffer la contestation et anéantir la mobilisation patiemment tissée par la société civile autour du combat pour les libertés démocratiques et l’Etat de droit. Avec le limogeage de Abdelaziz Bouteflika -dont, dit-on, les projections politiques paraissent, subitement, ne plus faire l’unanimité-, les partisans du statu quo peuvent, pour un temps, créer cette illusion de changement qui permettra justement de repousser, pour un temps encore, la réelle démocratisation de l’Etat algérien. Pour ce faire, il pourrait être provoqué, comme cela s’est fait au lendemain de la révolution démocratique d’octobre 1988, l’émergence (ou le retour) d’un personnel politique resté suffisamment en retrait du système et surtout lavé de tous soupçons qui sera chargé de la mission de rendre vraisemblable la manœuvre. Ce scénario, qui aujourd’hui pourrait ne pas aller sans séduire, peut amener les décideurs et les rentiers du système à se voir céder sur certaines revendications de la société. A condition, bien à l’évidence, que celles-ci ne remettent pas fondamentalement en cause leur pouvoir. Il peut en être ainsi de n’importe quelle revendication dont la prise en charge permettrait peut-être de réparer une ou plusieurs injustices mais sans pour autant participer, dans le fond, à faire avancer le débat, vital, autour de la lancinante question du pouvoir en Algérie (la consécration du principe de l’alternance, l’Etat de droit, le respect des libertés démocratiques, la séparation des pouvoirs, etc.). De la même manière également, dans sa tentative de fragmentation et sabordage de l’énorme potentiel démocratique de la société, le pouvoir cherchera assurément à éluder d’autres questions d’importance telles celles se rapportant globalement à l’économique et à la gestion des richesses nationales. S’étant effectivement toujours montré peu enclin à discuter ou partager la gestion des nombreux domaines de la vie nationale, le pouvoir est aujourd’hui empêtré dans la contradiction suprême mais néanmoins fatale consistant à vouloir en même temps libéraliser et régenter le pays comme il l’a fait durant les années de plomb. Occultée grâce aux différentes alliances tissées depuis dix ans par le pouvoir avec différentes entités économiques et politiques jadis plus ou mois fortes mais actuellement en voie de déperdition, cette contradiction majeure, pointée du doigt par une société qui amorce progressivement son réveil sur la réalité après un cauchemar abominable de près de dix années, interpelle aujourd’hui une redistribution des cartes plus équitable. Soit la mise en place urgente de nouveaux cadres économiques, politiques et sociaux plus aptes à servir les intérêts de la collectivité. Vouloir maintenir à tout prix cette contradiction exposerait l’Algérie et son peuple à un chaos perpétuel. C’est, semble-t-il, là l’unique choix du pouvoir. Ainsi qu’il sera fatalement et inévitablement esquissé par les effets nombreux des pesanteurs internes, le choix du scénario sur lequel doit épiloguer la crise algérienne ne saurait également pas aller à contresens des nouvelles exigences posées par la mondialisation et l’évolution des relations internationales. La réaction, jeudi dernier, de l’Union européenne et de Washington aux événements ayant secoué la capitale en sont, à ce propos, un indice assez clair. Aussi clair que si le pouvoir consent réellement à «ouvrir», et c’est ce que réclame le bon sens, il lui faudra alors assumer, pour une certaine période, le périlleux rôle d’arbitre pour écarter durablement une autre dangereuse confrontation qui risque d’opposer les trois grandes sensibilités politiques (les courants nationaliste, islamiste et laïc) qui, depuis les années 1990, se disputent… le pouvoir. Aujourd’hui menacée dans son existence même, c’est sans doute en ce moment crucial que l’Algérie a besoin d’alternatives politiques capables de la sortir d’une logique de guerre -la crise a montré qu’elle ne menait que vers l’impasse- et ouvrir l’ère de la cohabitation pacifique.

Z. C.

 

 

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