Bonne gouvernance et terrorisme

Bonne gouvernance et terrorisme

Par Abed Charef, Le Quotidien d’Oran, 27 juin 2002

Retour à la bonne gouvernance et abandon de la démocratie, qui se rapproche trop du terrorisme

Avant même la fermeture des bureaux de vote, le 30 mai dernier, l’Algérie recevait le soutien des Etats-Unis et de la France pour le bon déroulement du scrutin. C’était une surprise pour ceux qui pensaient encore que ces deux pays, et l’Occident de manière générale, souhaitent la démocratisation des pays du Sud. Mais, comme le concept de démocratie a été définitivement remplacé par celui de «bonne gouvernance», la surprise n’avait plus de place.

Car, aujourd’hui, les riches de la planète ont définitivement décidé que ce qui est bon pour eux, ne l’est pas forcément pour les autres. Pendant des décennies, ils avaient dénoncé l’absence des libertés dans les pays pauvres, plaidé pour la démocratisation, évoqué la corruption comme étant l’un des blocages majeurs du développement. Jusqu’au jour où de nouvelles vérités sont apparues : l’émergence des libertés au Sud bouscule les intérêts des pays du Nord, la corruption au Sud est systématiquement rattachée à des cercles de pouvoir de pays riches et la répression dans les pays en développement est soutenue par des experts et de l’argent…venus du Nord. En d’autres termes, il est devenu évident que si la liberté est si absente et la corruption si présente au Sud, le Nord en est largement responsable.

L’exemple de la France en est le plus édifiant. Les réseaux de corruption en Afrique sont systématiquement liés à des cercles de pouvoir qui, à leur tour, sont totalement imbriqués dans des cercles proches du pouvoir français. Personne, en France, n’est épargné dans ce jeu de massacre. Du fils aîné de l’ancien président, François Mitterrand, mis en détention, aux proches de Jacques Chirac, mêlés à une sordide affaire de rançon destinée à libérer des otages français au Liban et détournée au profit de milieux opaques, jusqu’au fringant ministre des Affaires étrangères de Mitterrand puis président du Conseil constitutionnel, Roland Dumas, incapable d’expliquer ce qu’était devenu l’argent versé, sous forme de commissions, à Taïwan dans le cadre de l’achat d’équipements militaires, toute la classe politique française s’en est trouvée éclaboussée.

Aux Etats-Unis, George W. Bush est à son tour atteint par l’affaire Enron, un bureau d’études qui l’avait soutenu avant de sombrer. Et la liste est longue, suffisamment longue pour inciter les donneurs de leçons et moralistes du développement à tenter de balayer d’abord devant chez eux.

Plus dangereuse encore, la démocratisation au Sud, à travers les rares expériences réussies, a remis en cause de puissants intérêts illégitimes détenus par les pays riches. Au Venezuela, où un président légitime avait, modestement, tenté de changer la donne économique au profit des plus pauvres, une formidable alliance a été montée contre lui. Pilotée, évidemment, par les Etats-Unis, qui ne peuvent supporter de voir un va-nu-pieds les empêcher de pomper indéfiniment du pétrole.

C’est alors que le concept de «bonne gouvernance» a émergé. On ne demande plus aux pays du Sud d’aller vers la démocratie, mais de ne pas…exagérer dans la répression. On ne leur exige plus la fin de la corruption, car on sait que la préservation des intérêts des pays riches y est souvent liée.

«Bonne gouvernance» rejoint alors une vieille idée, bien de chez nous, celle de la «dictature éclairée», en vogue à la fin des années 80. Les deux concepts supposent que les Algériens et tous les autres habitants des pays sous-développés ne sont pas mûrs pour la démocratie. Mais, comme une bonne vieille dictature, sur le modèle du parti unique, n’est plus viable, on préfère les pousser alors vers une semi-démocratie, comme en connaissent l’Egypte et la Tunisie, depuis des années. Avec une façade démocratique soutenue par une répression aussi féroce que discrète.

La formidable nouveauté dans ce domaine est, cependant, celle qui est proposée aux Palestiniens : Washington a demandé aux Palestiniens d’assurer la bonne gouvernance, chez eux ! On refuse à Arafat le droit de créer son Etat, on accepte que son pays soit occupé par les Israéliens, on admet l’exil de millions de Palestiniens et on demande à un chef de guerre, assiégé de toutes de parts, avec des chars sous sa fenêtre et des militaires israéliens dans l’appartement voisin, d’assurer le bon fonctionnement de son administration, d’engager des réformes judiciaires et de mettre fin aux attentats !

Arafat refuse évidemment de se laisser faire. Il ne veut pas avoir à gérer un banthoustan, selon la formule de Ghazi Hidouci. Il ne veut pas avoir à réprimer les Palestiniens, après que les Israéliens aient échoué dans cette tâche. C’est alors que George Bush dégaine. Il demande, tout simplement, aux Palestiniens de… changer de président. Il les somme même d’en désigner un, qui soit plus docile, qui accepte les conditions américaines et israéliennes avec, en contrepartie, la vague promesse d’un Etat futur.

C’est cela, «la bonne gouvernance». Elle s’accommode avec les projets américains. Quant à la démocratie qui ne donnera, comme chef d’Etat aux Palestiniens, que leur leader historique, Yasser Arafat, elle est mise entre parenthèses. Les partisans de la démocratie sont alors considérés comme des adeptes du terrorisme et de la violence.

De quoi se sentir terroriste…