Des intellectuels algériens et européens contre l’accord

baroud d’honneur

Des intellectuels algériens et européens contre l’accord

K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 19.12.01

Le président Abdelaziz Bouteflika est arrivé à Bruxelles, précédé par une pétition d’intellectuels et de militants de droits de l’Homme qui entend rappeler à la communauté européenne le lien direct entre «émigration et terrorisme» et la «dictature et la corruption».

La formule tirée d’un article de l’opposant tunisien, Moncef Marzouki, publié dans le journal Le Monde en réaction aux hommages appuyés de Jacques Chirac au président tunisien Zine El-Abidine Ben Ali. Pour les signataires de la pétition où l’on retrouve le sociologue Lahouari Addi, maître Mahmoud Khellil, l’ancien ministre réformateur, Ghazi Hidouci, Omar Benderra, Tassadit Yacine ainsi que Patrick Baudoin, président d’honneur de la FIDH, la députée européenne Hélène Flautre, l’éditeur François Gèse et l’historien Pierre Vidal-Naquet ainsi que des intellectuels allemands, suisses et italiens (notamment Ferdinando Imposimato) le magistrat auteur de la préface du livre «La sale guerre», le propos du militant tunisien s’applique tout aussi bien à l’Algérie et ils entendent le rappeler à la veille de la signature de l’accord d’association avec la communauté européenne.

Les auteurs de la pétition qui se définissent comme des «citoyens de deux rives» notent que l’accord similaire signé en 95 avec la Tunisie a été un sauf-conduit pour permettre au président tunisien de faire de son pays une «si douce dictature». Ils considèrent que l’accord signé avec l’Algérie donne «carte blanche» à un régime qui a plongé l’Algérie dans un «tourbillon d’horreur sans fin» uniquement pour permettre de perpétuer le système de «commissions clandestines» qu’ils évaluent à plusieurs milliards de francs prélevées sur le flux d’importation et d’exportation.

Critiquant vivement les négociateurs européens et les gouvernements de l’Union européenne qui savent que leurs interlocuteurs «officiels» ne sont que les figurants d’une «Algérie Potemkine», façade présentable construite et constamment contrôlée par les généraux du «cabinet noir».

Les auteurs rappellent que l’Algérie vit sous un régime d’état d’urgence «reconduit illégalement de 1992» qui permet au régime de régenter la société sans pour autant être capable de réagir à une inondation catastrophique dans sa capitale».

Evoquant les «200 000 morts et les 10 000 disparus», les millions de blessés, d’orphelins et de déplacés sans compter les 500 000 exilés, la «sale guerre», les «escadrons de la mort», une «économie sinistrée», une situation sociale terrible sur fond de corruption «du haut en bas du corps social», les auteurs de la pétition tentent de démonter les véritables causes qui poussent l’Union européenne à souhaiter «s’associer» au régime algérien : l’approvisionnement en pétrole et gaz, source de commissions pour les tenants du régime et de «rétrocommissions» dont bénéficient, depuis des années, certains de leurs obligés en Europe. La seconde raison est «idéologique» : les Européens considérant qu’une dictature vaut mieux que le «péril islamiste». Le nouveau contexte international, né après les attentats du 11 septembre à New York, a largement amplifié cette approche qui est aujourd’hui consacrée et il est significatif que l’accord d’association fasse désormais l’impasse sur le «renforcement de la démocratie et le respect des droits de l’Homme» (pourtant considéré comme l’un des engagements essentiels de la fameuse «déclaration de Barcelone» adoptée, lors de la conférence euro-méditerranéenne de novembre 1995, signée aussi bien par l’Algérie que par les Etats membres de l’Union européenne). Les signataires de la pétition considèrent que la lutte légitime contre les criminels responsables du 11 septembre ne saurait en aucune façon justifier le soutien aux autocrates qui contribuent à les «fabriquer» et demandent aux parlementaires européens de ne pas le ratifier et d’exiger, entre autres, la levée de l’état d’urgence en Algérie, une enquête internationale et la mise en place d’un tribunal pénal international pour juger les responsables, «qu’il s’agisse de terroristes islamistes ou d’acteurs du terrorisme d’Etat».

La pétition des intellectuels algériens et européens paraît être un baroud d’honneur qui a peu de chance d’être entendu par des dirigeants européens et des opinions complètement acquises aux thèses du «péril vert» qu’il faut combattre à l’échelon mondial. Ils sont en quelque sorte les derniers partisans en Europe d’une mondialisation des droits de l’Homme.

Le temps est à celui de la mondialisation armée du marché. Même les organisations des droits de l’Homme qui agissent au niveau mondial se sont mises dans une situation de réserve pour ne pas dire se sont mises au pas, au lendemain des attentats du 11 septembre.