Jacques Attali implique Mitterrand dans l’institutionnalisation de la torture

Ancien conseiller de l’ex-président français

Jacques Attali implique Mitterrand dans l’institutionnalisation de la torture

Quant aux poursuites judiciaires contre le général Aussaresses, il y a maintenant une unanimité qui se dessine à gauche pour les souhaiter ou les exiger et certaines personnalités politiques de droite ne les excluent plus

Par Merzak Meneceur, La Tribune, 8 mai 2001

Le débat franco-français ouvert depuis la parution du livre-confessions du général Aussaresses sur la pratique systématique de tortures et d’exécutions sommaires par l’armée française pendant la guerre d’Algérie a pris une tournure de plus en plus politico-judiciaire. Le désir de faire toute la lumière et de reconnaître les responsabilités des gouvernements de l’époque et de voir le général traduit en justice alimentent pratiquement toutes les interventions de la classe politique où les différences droite-gauche sont souvent transcendées, même si les conclusions sur l’histoire, la mémoire et les sanctions ne se rejoignent pas toujours.Sur les responsabilités politiques des gouvernements français qui se sont succédé de 1954 à 1962, l’éclairage donné par le général Aussaresses, mais déjà connu par les historiens, selon lequel le ministre de la Justice dans les années 1956/57, François Mitterrand, était au courant de la sale besogne des services spéciaux et des commandos de parachutes, vient d’être conforté par une révélation de Jacques Attali, ancien conseiller de Mitterrand. Pour Attali, qui se référait à une discussion avec Mitterrand, ce dernier «a créé les conditions légales pour que la torture soit en place […] quand il a comme Gardes des sceaux proposé la loi de mars 1956 qui donnait tous les pouvoirs aux militaires en matière de justice» en Algérie. «Il m’a dit, début 1974 : c’est la seule erreur que je veux bien reconnaître dans ma vie», a ajouté Attali.Cette information, venant s’ajouter à la déclaration de Aussaresses et à d’autres témoignages rapportés et analysés par des historiens, fait que ceux qui veulent limiter les responsabilités aux seuls militaires commencent à livrer, en quelque sorte, un combat d’arrière-garde. Les récentes déclarations de personnalités politiques sont révélatrices de l’amplification de la voix de ceux qui admettent cette évidence. Pour Jean-Pierre Chevènement, le pouvoir politique de l’époque était «bien évidemment» responsable. «Non pas qu’il ait ordonné, mais il a laissé faire», a-t-il précisé. «Le pouvoir politique doit être considéré comme responsable», a déclaré également de son côté François Léotard, ancien ministre de la Défense. «La responsabilité des autorités politiques de l’époque est au moins, si ce n’est plus, au aussi importante» que celle du général Aussaresses. «Qui est le plus responsable ? Celui qui est derrière son bureau et qui donne des ordres dont il sait qu’ils peuvent aboutir à cela ou celui qui les exécute ?», interroge-t-il.Il y a pour qui ce type de constat est déjà acquis. Ils demandent dès lors le dépassement du rôle des historiens pour que l’Etat français reconnaisse toutes ses responsabilités. Ainsi, pour l’historien Benjamin Stora : «On ne peut pas dire : maintenant, c’est aux historiens de travailler […] La plupart des choses ont été dites. Maintenant, place aux aveux des acteurs. Reste que l’armée va se retrouver seule sur le devant de la scène après ces révélations, si les pouvoirs politiques et judiciaires continuent à se sentir non concernés.» Plus précis est un autre historien, Pierre Vidal-Naquet : «Dans l’immédiat, je considère que la reconnaissance officielle par Jacques Chirac, comme par Lionel Jospin, de la torture et des crimes commis au nom de la République pendant la guerre d’Algérie est plus que jamais nécessaire.» Une demande de reconnaissance déjà demandée par les associations de défense des droits de l’Homme et relayée au niveau politique par le Parti communiste et le mouvement des Verts, deux partis représentés dans le gouvernement français actuel. Robert Hue, premier secrétaire du PCF, a demandé «[…] à ce que les plus hautes autorités de l’Etat, le président de la République, le gouvernement décident un acte fort, solennel, pour que la France, aux yeux du monde, condamne ce qui a été fait en son nom […]». Pour les Verts, Chirac et Jospin «doivent reconnaître la responsabilité de l’Etat français […] Sans cette reconnaissance, aucun travail de mémoire ne pourra venir apaiser la cicatrice mal refermée de la guerre».Quant aux poursuites judiciaires contre le général Aussaresses, il y a maintenant une unanimité qui se dessine à gauche pour les souhaiter ou les exiger, et certaines personnalités politiques de droite ne les excluent plus, maintenant que les tribunaux commencent à être saisis de plaintes sur crimes contre l’humanité déposées par des associations, eu égard aux obstacles juridiques annoncés.Enfin, la demande de création d’une commission d’enquête parlementaire formulée par les communistes et les Verts semble marquer le pas. Le Parti socialiste a réaffirmé son opposition à une telle initiative en annonçant hier qu’il était favorable à la création d’une «commission mixte» qui comprendrait des historiens, hommes politiques, juristes, à qui «toutes les archives doivent être ouvertes». L’opposition de droite s’y oppose également. Celle-ci s’est manifestée dans l’édition d’hier du journal le Parisien où Hervé de Charrette, président délégué de l’UDF, ancien ministre des Affaires étrangères, proposait aussi une commission mais d’une autre nature. «Le président de la République, a-t-il suggéré, serait avisé de demander par exemple à l’Institut de France de créer un comité d’historiens et d’intellectuels» qui «serait en charge de fournir aux Français la somme aussi exhaustive et objective que possible des faits de cette période».

M. M.

 

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