Mohamed Garne a gagné son combat
Mohamed Garne a gagné son combat
K. Selim, Le Quotiden d’Oran, 24 novembre 2001
Ce nest pas Mohamed Garne brutalisé et séparé de sa mère qui est indemnisé. Ce nest pas Mohamed Garne apprenant à 30 ans quil est le fruit dun viol collectif commis par les soldats français dans un camp dinternement sur sa mère Kheira qui est indemnisé. Ce sont les souffrances infligées au foetus de lenfant que deviendra Mohamed Garne qui lui ouvrent la porte à lindemnisation et à la reconnaissance juridique du statut de victime de guerre. Des trois grandes causes de séquelles psychiques «imputables» à lEtat français mises en évidence par le très courageux psychiatre aux armées françaises Louis Crocq dans son rapport dexpertise, les juges honoraires de la cour régionale des pensions de Paris nont retenu que celui de la violence foetale.
Les soldats qui en 1959 ont violé sa mère Kheira, alors âgée de 14 ans, dans un camp de concentration à Theniet El-Had, ont tenté de la faire avorter de force quand sa grossesse est devenue visible. Des coups et des violences qui ne font pourtant pas tomber le foetus qui saccroche et deviendra Mohamed Garne. Ces mauvais traitements sont le seul élément accepté par la cour comme pouvant être à lorigine des troubles dont souffre Mohamed Garne. Cet être tourmenté qui a retrouvé sa mère errant seule au milieu des tombes au cimetière de Sidi Yahia de Hydra se voit reconnaître une modeste pension dinvalidité à 30% à compter du 25 novembre 1998 et pour une durée de trois ans. Le professeur Louis Crocq avait préconisé une pension à 60%.
Le jugement de la cour des pensions de Paris, pour alambiqué quil soit, constitue une première historique. Cest une petite lucarne qui a été ouverte dans le mur en béton des lois damnistie couvrant les crimes commis par larmée française durant la guerre dAlgérie. Car, au-delà de la modestie de la pension, Mohamed Garne vient davoir une reconnaissance dans une instance judiciaire française de sa qualité de victime de la guerre. Il a fallu treize ans de combats et de procédures entre lAlgérie et la France pour aboutir à cette reconnaissance, consentie presque du bout des lèvres, après de longs mois dhésitation par la cour des pensions. Mohamed Garne a eu lui aussi un moment dhésitation avant dadmettre quil a gagné son combat.
«Je suis la première victime de guerre en Algérie, je suis le premier qui a osé défier lEtat. Je dédie cette victoire aux peuples français et algérien, qui ont souffert tous les deux. Quarante ans de silence et brusquement on rouvre ce dossier douloureux, cest fantastique !». Pour Me Jean-Yves Halimi, son avocat, «la raison du droit a prévalu sur la raison dEtat. On sait maintenant que la guerre dAlgérie a fait au moins une victime».
Exiger une pension dindemnité était selon lavocat la seule manière datteindre un juge français, car les magistrats français rejettent systématiquement les plaintes pour crimes au nom des lois damnistie. Les victimes de larmée française durant la guerre de libération nationale rencontrent des obstacles juridiques insurmontables allant de la loi damnistie à celle de la prescription, le système judiciaire limitant la qualification de crimes contre lhumanité à la seule période de la Seconde Guerre mondiale. Ce nest plus le cas depuis 94, mais la guerre dAlgérie est encore exclue de son champ.
Grâce au combat de Mohamed Garne, il existe désormais un arrêt qui fait jurisprudence et qui permet à une partie des victimes de tortures et des femmes violées de demander une indemnité. Une partie seulement car le code des pensions stipule que pour ouvrir droit à une pension il faut être de nationalité française. Mohamed Garne avait été débouté par le secrétariat dEtat aux Anciens Combattants, en février 1999, et, en première instance, par le tribunal des pensions en mars 2000 sous largument quil nest quune victime «indirecte» des tortures infligées à sa mère.
La cour des pensions a fini par lui reconnaître un statut de victime même si elle ne sempêche pas de voler au secours de larmée française en soulignant que le cas de Mohamed Garne a été «rejoint par une persévérante campagne de presse souhaitant faire de son cas une illustration des turpitudes imputées à larmée française pendant la guerre dAlgérie».